L’article ci-dessous est la suite de l’étude de l’histoire de la formation du Canon de l’écriture du Nouveau Testament entamée avec le texte (traduit ici en cinq parties) «Le Nouveau Testament aux temps apostoliques». Le Saint Hiéromartyr, alors Archimandrite Hilarion, y examine la place des livres et la constitution progressive du Nouveau Testament dans l’Église chrétienne dans la période historique qui suivit celle des Apôtres, le temps des apologistes et des auteurs de polémiques anti-gnostiques. Le texte original compte 99 notes de bas-de pages; toutes sont des références (Épiphane de Chypre, Saint Eusèbe, Saint Irénée, Tertullien, etc.). Pour la simplicité de la lecture, nous avons omis ces notes et renvoyons à l’original ceux qui souhaiteront les examiner.

Si à la tête de l’Église de Lyon se trouvait Saint Irénée, évêque originaire d’Asie Mineure, lié par l’intermédiaire de son maître Polycarpe, à l’Apôtre Jean le Théologien lui-même, alors nous pouvons supposer que le Nouveau Testament de l’Église de Lyon devait contenir tous les écrits du Saint Apôtre Jean. Saint Irénée n’ a pas mentionné le nombre des épîtres conciliaires de Jean, mais il a cité littéralement les textes des deux premières épîtres, bien qu’il s’exprimât comme s’il ne connaissait qu’une seule épître.Saint Irénée écrivit: «Jean, le disciple du Seigneur <…> dans son épître, nous en témoigne». Suit un extrait de la première épître de Jean (2, 18-22). Nous lisons un peu plus loin: «Jean, dans son épître susmentionnée, a ordonné...» Mais suivent alors les septième et huitième versets de la deuxième épître de Jean. Et puis directement: «Et il dit encore dans l’épître…», et suivent deux versets de la première épître (4;1-2). Et quelques lignes plus loin : «…Dans l’épître il dit encore», et apparaît le verset (5;1) de La première épître. Il est évident qu’on constate ici une imprécision courante dans le langage; celle par laquelle nous disons souvent: «l’Apôtre Paul écrit dans l’Épître aux Corinthiens», etc., comme si nous ne connaissions qu’une seule Épître aux Corinthiens. Il ne fait aucun doute, par conséquent, que le Nouveau Testament de Saint Irénée contenait deux épîtres du saint Apôtre Jean le théologien. Mais on peut également supposer qu’il avait les trois épîtres de Jean. La troisième épître de Jean, dans son contenu, comme celle de Philémon, donne assez peu de raisons d’en citer des extraits; de plus, elle est si brève. L’absence chez Saint Irénée d’extraits de cette troisième épître est peut-être un simple hasard. En outre, il est difficile d’admettre que Saint Irénée, dans son Nouveau Testament, eût la deuxième épître de Jean mais pas la troisième. Dans l’histoire du Canon du Nouveau Testament, comme nous le verrons plusieurs fois plus tard, ces deux épîtres semblent être inextricablement liées entre elles: soit elles sont toutes deux absentes soit elles font ensemble partie du Nouveau Testament d’une Église locale.
L’Apocalypse de Saint Jean le Théologien est sans aucun doute classée par Saint Irénée parmi les livres du Nouveau Testament. Chez Saint Irénée, on compte jusqu’à 29 passages tirés de l’Apocalypse. Un extrait en est intégré dans le message sur la persécution adressé par les Églises de Lyon et de Vienne aux Églises d’Asie et de Phrygie. En général, quand il cite des extraits de l’Apocalypse, Saint Irénée s’exprime ainsi «Jean (parfois, il ajoute: le disciple du Seigneur) dit dans l’Apocalypse:…». Saint Irénée qualifie l’Apocalypse d’«Écriture», considérant qu’il s’agit d’une révélation proclamée par l’Esprit-Saint. Elle est notamment nommée «Écriture» (γραφή) dans la lettre des Églises de Lyon et de Vienne. Saint Irénée parle de l’origine de l’Apocalypse. «Cette révélation eut lieu peu de temps avant notre époque, quasiment en notre siècle (ἐπὶ τῆς ἡμετέρας γενεᾶς), à la fin du règne de Domitien. Saint Irénée mentionne même les meilleures et les plus anciennes copies de l’Apocalypse, où le nombre de la bête est 666, et non 616.
Parmi les autres épîtres conciliaires, Saint Irénée n’évoque avec précision que la première Épître de l’Apôtre Pierre, à laquelle il renvoie à neuf reprises. Parfois, Saint Irénée introduit ainsi les extraits de cette épître : «Comme Pierre le dit dans son épître,…» . Bien sûr, cela ne signifie pas nécessairement que Saint Irénée n’avait dans son Nouveau Testament qu’une seule épître de Pierre; cependant, on ne sait pas non plus si la seconde en faisait partie.
Saint Irénée ne mentionne pas les épîtres de Jude et de Jacques et n’en cite aucun extrait. On peut toutefois supposer que l’ Épître de Jude était connue de Saint Irénée, au motif que, comme nous le verrons, cette épître était connue de façon générale en Occident (à Rome et à Carthage) comme étant l’un des livres du Nouveau Testament. À propos de l’Épître de Saint Jacques, au contraire, on peut supposer qu’elle ne faisait pas partie du Nouveau Testament de l’Église de Lyon; elle demeura inconnue dans les autres Églises locales d’Occident non seulement au IIe siècle, mais longtemps après.
En outre, il y a des raisons de supposer que Saint Irénée, dans son Nouveau Testament, avait d’autres livres faisant autorité et considérés comme saints. Dans un passage de son ouvrage «Contre les hérésies», Saint Irénée prouve que le monde a été créé par Dieu, et le prouve par divers textes de l’Écriture Sainte. Il cite d’abord le verset (1;26) du livre de la Genèse; puis il poursuit: «…L’Écriture dit bien que (ἡ γραφὴ ἡ λέγουσα), et suit alors un extrait du premier commandement du «Pasteur» d’Hermas, œuvre de l’un des «hommes charismatiques et prophètes», écrite vers le milieu du IIe siècle. Et il poursuit: «Le Prophète Malachie dit bien que…» et il cite Malachie 2;10. «En accord avec cela, l’Apôtre dit que…» et il cite l’Épître aux Éphésiens 4;6. «De même le Seigneur a dit… (Math.11;27)». Ainsi, Saint Irénée relie le «Pasteur» d’Hermas à toute une série de livres des Saintes Écritures de l’Ancien et du Nouveau Testament. Saint Irénée cite le «Pasteur» au même titre que la Genèse et le Prophète Malachie. Le «Pasteur est donc qualifié «d’Écriture». Eusèbe de Césarée rappelle que Saint Irénée non seulement connaissait le «Pasteur», mais qu’il «le reconnaissait».
En résumant tout ce qui vient d’être dit au sujet de l’Église de Lyon, nous pouvons tirer cette conclusion générale: à la fin du IIe siècle, le Nouveau Testament de l’Église de Lyon comptait quatre Évangile, le livre des Actes des Apôtres, treize épîtres de l’Apôtre Paul (pas l’Épître aux Hébreux), l’Apocalypse, trois épîtres de Saint Jean le Théologien. L’Épître aux Hébreux, bien que Saint Irénée la connaissait, n’appartenait pas au Canon du Nouveau Testament. Il n’y avait pas non plus dans ce Canon la deuxième Épître de Pierre, ni l’Épître de Jacques.
Traduit du russe
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