L’original russe de ce long texte a été préparé par Madame Olga Orlova et publié le 15 mai 2017 sur le site Pravoslavie.ru, sous le titre «Vivez en paix, restez avec le Seigneur Dieu! Souvenirs de la Moniale du grand schème Théodosia (Kossorotikhina)». («Живите в мире,оставайтесь с Господом Богом!» Памяти схимонахини Феодосии (Косоротихиной)). Voici l’introduction de Madame Orlova.(…) Nous nous souvenons de Matouchka Théodosia, la staritsa qui décéda le 15 mai 2014. Matouchka priait sans relâche, clairvoyante, elle jouissait de nombreux dons spirituels. Physiquement, elle était non seulement invalide, mais immobile. Elle demeura allongée, paralysée, presque soixante ans, dont quasiment vingt dans une sorte de coma. Mais en esprit, Matouchka demeurait vive, elle était toujours avec Dieu. Elle resta toujours une travailleuse. Maintenant, elle travaille dans le champ spirituel ; elle console, encourage et aide par ses conseils et ses prières une foule de gens toujours grandissante.

Matouchka s’étonnait : «Pourquoi les gens n’aspirent-ils pas à Dieu aujourd’hui ? Les églises sont ouvertes, les bus roulent, presque tout le monde a une voiture…» Cette situation ressemble à celle qui prévalait voici environ un siècle, avant la révolution de 1917, que les chercheurs appellent aujourd’hui la «révolution des rassasiés». Et Matouchka ne donnait pas sa bénédiction pour détruire les anciens poêles et les remplacer par les installations au gaz. «Mes petits enfants bien-aimés, je vous observe, comme vous êtes jeunes, et je vois ce que vous allez devoir vivre…» Parfois, elle soupirait. Mais en aucun cas elle ne voulait faire peur, que du contraire, elle encourageait : «Priez Dieu, et le Seigneur vous donnera la force de tout supporter. Quand vous avez quelque chose, remerciez Dieu. Quand vous n’avez rien, remerciez Dieu aussi! Aujourd’hui tout est en abondance, il faut se réjouir. Quand viendra le manque, il faudra rendre gloire au Seigneur». Elle donnait sa bénédiction pour qu’on conserver au moins quelques réserves et provisions à la maison. Elle disait : «Tout peut arriver en une minute. Vous ne vous y attendrez pas et cela arrivera. Attention, je ne vous exhorte pas à être avides,mais a sentir ce qu’il vous faut pour l’avenir. Maintenant, tout est en abondance. Prenez une part de votre abondance et offrez-la au monastère ou à une famille nombreuse. Pour ces dons charitables, le Seigneur prolongera vos bonnes années».
«Son visage est si vivant»
Natalia avait dix-huit ans quand la guerre commença. Eux, les jeunes, étaient envoyés au front pour creuser les tranchées. «Où nous envoient-ils? Où vont-ils nous emmener? Où allons-nous vivre? Qu’allons-nous manger? On n’en savait rien, on ne voyait que le travail». Après la guerre, de nouveau le travail et encore le travail. Elle travailla avec les prisonniers de guerre, à la mine, ensuite, dans une brigade de construction… A cette époque, beaucoup de gens devenaient estropiés ou invalides au travail. Toute l’année on les transportait dans les bennes ouvertes des camions à benne basculante. C’est ainsi que Natalia eut son premier accident, avec sa jeune sœur Olga, au début des années 1950. Le camion qui les transportait bascula. Les blessures étaient importantes, on voulu même déclarer les sœurs invalides, mais elles refusèrent : «Comment ça ne plus rien faire? Les jeunes ça doit travailler!». Ces circonstances voulues par la Divine Providence révèlent au monde celle qui allait intercéder sans cesse lorsqu’il ne lui resterait plus d’autre possibilité que de se consacrer entièrement au soin d’autrui. Les soeurs avaient faim. Elles voulurent trouver un fiancé à Natalia. A cette époque, peu d’hommes étaient revenus de la guerre. Natalia faisait une fiancée de premier plan. «Seigneur, ne permets pas que je sois fiancée», pria-t-elle l’Époux auquel elle aspirait, en revenant de la communion lors de la fête de la Dormition en 1953. «Ce fut le dernier office auquel j’allai assister sur mes deux jambes», se souvint Matouchka par la suite. C’était le jour même où les fiançailles étaient prévues pour la soirée, et le jour où survint le second accident. Lorsqu’on déchargea les briques, la ridelle du camion bascula sur ceux qui travaillaient. Un homme fut tué sur le coup, laissant quatre orphelins, qui jusqu’à nos jours vinrent fréquemment prendre conseil chez Matouchka. Natalia fut emmenée à la morgue, où une infirmière dit : «Son visage est si vivant…». On plaça un miroir devant sa bouche et il se couvrit de buée. Ils refusèrent longtemps de rendre Matouchka à sa famille, prétextant qu’elle ne disposait pas des moyens nécessaires pour faire face aux soins d’une telle malade. Ils voulurent l’envoyer, comme ils faisaient d’habitude dans ces cas, à Moscou.
Alors, le mari d’Olga la soeur cadette, qu’il venait juste d’épouser, rédigea une déclaration signifiant qu’il prenait sa parente dans le coma sous sa responsabilité. Seulement, il était militaire, et on venait de l’envoyer dans un lointain cantonnement. C’est dès lors Olga qui se consacra aux soins de sa soeur alitée. Le mari, elle ne le virent plus jamais.
Qu’est-ce qui se passa dans l’âme de Natalia pendant toutes ces années, seuls le Seigneur et Sa Très Sainte Mère le savent. «Le Sauveur est avec nous, la Mère de Dieu est avec nous», répétait souvent Matouchka Théodosia. Et elle ajoutait : «Priez le Seigneur et aimez Mamouchka (ainsi appelait-elle la Très Sainte Mère de Dieu)».
«On m’a instruite là-bas.»
Matouchka reprit conscience lors de la clôture de Pâques 1973, bien qu’auparavant, en fait, son âme manifestait mystérieusement sa présence dans son corps endormi. Lors des funérailles de Thècle, la soeur aînée, Natalia dit soudain «Mam-ma». La soeur aînée avait été une mère pour eux-tous. Leur frère Tikhon vint demander pardon à Natalia, et ensuite il mourut. Quand on emmena le corps dans son cercueil, des larmes coulèrent sur les joues de Matouchka. Plus tard, il lui arriva de dire sans raison apparente à un parent: «Petia, transmets mes métanies à mes parents». Et bientôt, ce même parent décédait prématurément… Matouchka connaissait les dates de départ de chacun d’entre nous. Mais elle n’en parlait pas à tout le monde. On dit quelque chose à quelqu’un, mais on ne sait pas comment il va réagir, explique l’Archiprêtre Oleg Vorobiov, responsable du Doyenné des Danilov à Moscou : je me souviens qu’un jour j’étais à Jérusalem et Matouchka m’a téléphoné : «Dis à untel qu’il célèbre et communie chaque jour». Littéralement le lendemain, je rencontrai ce prêtre , qui avait vu Matouchka une fois, en tout et pour tout. «Matouchka m’a demandé de te dire… » «Pourquoi donc?» «Pourquoi, Eh bien ?!??»… Exactement un an, jour pour jour, après que Matouchka m’ait téléphoné, ce prêtre décéda. Elle le lui révéla car il construisait une église dédicacée au Saint Archange Gabriel, messager de la vie, et de la mort. Et je me souviens aussi que décéda l’Archiprêtre Mikhaïl Khaliouta, doyen à Alouchta. Il n’était jamais allé voir Matouchka, mais un jour que j’étais chez elle, je lui racontai qu’il était mort. Matouchka sembla perdre conscience, comme elle en avait l’habitude, et puis, revint à elle. «Tu sais, là-bas, il a rencontré la Sainte Megalomartyre Barbara». Je fus ébahi. Je téléphonai à son fils Serguei, aujourd’hui doyen à Sébastopol. Je lui répétai mot pour mot ce que Matouchka avait dit… Et il répondit : «Père avait une grande icône du XVIIe siècle représentant la Sainte Mégalomartyre Barbara. Toute sa vie, il l’emmena dans les paroisses, où on faisait des molebens et des acathistes devant elle. Et avant sa mort, il l’a placée pendant deux ans dans l’autel de sa dernière église à Alouchta, l’église de tous les Saints de Crimée et de Saint Théodore Stratilate, et y a lu l’acathiste chaque semaine jusqu’à sa mort».

Matouchka voyait le monde invisible de même que le monde visible, physique, même quand ses yeux étaient encore fermés quand elle est sortie du coma. Par la suite, clouée au lit, elle voyait des choses qui se produisaient loin dans le temps et dans l’espace. «Natacha, tes yeux, quand vont-ils s’ouvrir?», demanda une parente quand Natalia s’éveilla. «A l’Ascension», répondit-elle. Et effectivement, ils s’ouvrirent au cours de cette année, lors de cette fête. Parmi les premières paroles de Natalia, on se souvient de ceci : «Pourquoi m’avez-vous donné à manger? La Très Sainte Mère de Dieu Elle-même me nourrissait». Et par la suite encore, certains jour, sa jeune soeur Olga lui apportait un repas, mais c’était comme si elle n’en avait pas besoin. «Mais avant, quand tu étais inconsciente, tu mangeais?…». Et puis elle se souvenait que sa soeur avait une sorte de parenté céleste. Certains entendaient Natalia prononcer des prières qu’elle n’avait pu connaître en sa jeunesse… «Comment les connais-tu?» «On m’a instruite là-bas». Qui avait enseigné quoi? Devant elle se trouvait un labeur colossal de quarante années de prières. La croix de staritsa qui doit nourrir les fidèles.. (A suivre)

Bienheureuse Matouchka Théodosia, prie Dieu pour nous!
Traduit du russe
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