Écrits

Le Métropolite Ioann de Saint-Pétersbourg et Ladoga, de bienheureuse mémoire, est l’un des auteurs russes les plus traduits sur le présent blogue. Sa vie est longuement abordée dans la rubrique qui est consacrée à Vladika Ioann.
Le texte ci-dessous est la suite de la traduction inédite en français d’un long chapitre, en réalité un addendum, d’un livre édité à partir de leçons données par le Métropolite Ioann, alors encore Archevêque de Samara, à l’Académie de Théologie de Leningrad en 1989, au sujet de la situation de l’Église en Russie au début du XXe siècle, des schismes qui l’ébranlèrent et des grands confesseurs de la foi qui la maintinrent à flots contre vents et marées. La vie de trois d’entre eux est abordée par Vladika Ioann: le Saint Métropolite Benjamin (Kazanski) de Petrograd et Gdov, le Saint Archevêque Hilarion (Troïtski) de Vereya, et le Saint Hiéromoine Nikon (Beliaev) d’Optino. L’original russe est donc l’addendum du livre «Rester debout dans la foi» (Стояние в вере), publié à Saint-Pétersbourg en 1995, par les éditions Tsarskoe Delo.

L’Archevêque Hilarion (Troïtski)
(…)Bien que le Grand Hilarion ne connaissait pas tout de la vie de l’Église, il n’était pas un spectateur indifférent de certains désordres et malheurs de l’Église qui frappèrent le peuple orthodoxe. On lui demandait conseil, on lui demandait ce qu’il fallait faire pour que l’Église retrouve la paix dans les nouvelles conditions de la vie politique. La question était très compliquée. Et l’Archevêque Hilarion y apporta une réponse très profonde et analysée, basée sur les canons de l’Orthodoxie et la pratique de l’Église. Voici ce qu’il écrivit dans sa lettre du 10 décembre 1927:
«Ces deux dernières années, je n’ai pu participer à la vie de l’Église, et je n’en ai que des informations fragmentaires et peut-être inexactes. C’est pourquoi il est difficile pour moi de juger des détails et des particularités de cette vie, mais je pense que la ligne générale de la vie de l’Église, ses défauts et ses maladies me sont connus. Le principal inconvénient ressenti auparavant était l’absence des conciles dans notre Église. Depuis 1917, c’est-à-dire au moment même où ces conciles étaient particulièrement nécessaires, puisque l’Église russe était entrée, non sans la volonté de Dieu, dans des conditions historiques complètement autres, des conditions inhabituelles, très différentes des conditions les plus anciennes qu’elle connut, les pratiques ecclésiastiques, y compris les décisions du Concile de 1917-18, ne sont plus adaptées à ces nouvelles conditions, car l’Église s’est formée dans d’autres conditions historiques. Et la situation s’est considérablement compliquée avec la mort de sa Sainteté le Patriarche Tikhon.
La question du locum tenens, à ma connaissance, est également très confuse, l’administration de l’Église est en plein désarroi. Je ne sais pas s’il y a des gens naïfs et myopes au sein de notre hiérarchie et en général parmi les membres conscients de l’Église qui nourriraient des illusions ridicules au sujet d’une «restauration» et du renversement du pouvoir soviétique, etc., mais je pense que tous ceux qui veulent le bien de l’Église sont conscients de la nécessité pour l’Église Russe de s’organiser dans les nouvelles conditions historiques. Par conséquent, nous avons besoin d’un Concile, et tout d’abord nous devons demander au pouvoir d’État d’autoriser la convocation d’un Concile.
Mais quelqu’un doit convoquer le Concile, effectuer les préparatifs nécessaires à son déroulement, bref, conduire l’Église jusqu’au Concile. Par conséquent, nous avons besoin maintenant, avant le Concile, d’un organe de l’Église. Je distingue un certain nombre d’exigences relatives à l’organisation et au fonctionnement de cet organe, exigences que je pense avoir en commun avec tous ceux qui veulent l’équilibre de l’Église, et non des troubles dans le monde ou de nouvelles confusions. Je vais indiquer certaines de ces exigences.
1. L’autorité ecclésiastique temporaire ne doit pas être arbitraire dans son principe même, c’est-à-dire qu’elle doit avoir le consentement du locum tenens.
2. Dans la mesure du possible, doit faire partie de l’autorité ecclésiastique temporaire, celui qui a été désigné comme locum tenens, le Métropolite Pierre (Polanski), ou Sa Sainteté le Patriarche.
3. L’organe ecclésiastique provisoire doit unir et non séparer l’épiscopat, il n’est ni juge ni punisseur des dissidents; ce sera une tâche du Concile.
4. L’organe provisoire de l’Église doit penser sa tâche de façon modeste et pratique : la convocation du Concile.
Les deux derniers points appellent des éclaircissements particuliers. Au-dessus de la hiérarchie et des gens d’Église plane le fantôme hideux de la «Direction Supérieure de l’Église» de 1922. Les gens d’Église sont devenus suspects. L’autorité ecclésiastique provisoire doit craindre comme le feu la moindre similitude de ses activités avec les activités criminelles de la «DSE». Sinon, il n’en sortira qu’une nouvelle confusion. La «DSE» a commencé sur base du mensonge et de la tricherie. Tout doit être basé sur la vérité.
La «DSE», organe complètement autoproclamé, s’est déclarée haut-responsable des destins de l’Église Russe, pour lequel le respect des lois de l’Église et en général de toutes les lois divines et humaines n’est pas obligatoire. Notre organe de l’Église ne sera qu’un organe temporaire, avec une tâche spécifique: convoquer le Concile. la «DSE» a commencé à persécuter tous ceux qui ne lui obéissaient pas, c’est-à-dire tous les gens décents de la hiérarchie et d’autres personnalités de l’Église. Menaçant d’exécutions à droite et à gauche, promettant la miséricorde aux soumis, la «DSE» suscita ainsi des plaintes envers le pouvoir, plaintes peu souhaitables pour le pouvoir lui-même.
Ce côté odieux de l’activité criminelle de la «DSE» et de son successeur, le soi-disant Synode, avec ses conciles de 1923-25, leur valut un mépris mérité, suite au lot de chagrin et de souffrance infligé aux innocents, il n’apporta que du mal et eut pour conséquence le fait qu’une partie de la hiérarchie et des gens d’Église inconscients de se qui se passait se plaça hors de l’Église, créant une société schismatique. Rien de semblable, jusqu’à la moindre possibilité d’allusion, ne doit exister dans les actions de l’organe temporaire de l’Église. J’insiste particulièrement sur cette idée, car c’est là que je vois le plus grand danger. Notre organe ecclésiastique doit seulement convoquer un Concile. Les prescriptions suivantes sont obligatoires pour ce Concile.
5. L’organe provisoire de l’Église ne doit pas se réunir pour constituer un Concile, comme cela a été fait en 1923. Le Concile ainsi choisi n’aurait aucune autorité et n’apporterait aucun réconfort, mais seulement de nouveau troubles au sein de l’Église. Il n’est guère besoin d’augmenter le nombre de conciles de brigandage dans l’histoire ; c’est assez avec ceux d’Éphèse en 449 et les deux de Moscou 1923-25. Pour ce qui est du futur Concile, mon souhait est qu’il puisse prouver son absence totale d’implication et de solidarité vis-à-vis de toute orientation politiquement peu fiable, afin de dissiper ce brouillard de calomnie infecte et malhonnête, qui enveloppe l’Église Russe suite aux efforts criminels de gens maléfiques (rénovationnisme). Seul un vrai Concile peut être revêtu d’autorité et apporter le réconfort dans la vie de l’Église, donner la paix aux cœurs épuisés des gens d’Église. Je crois que le Concile comprendra toute l’importance de ce moment de responsabilité dans la vie de l’Église et qu’il organisera cette vie en fonction des nouvelles conditions.»
Ce n’est qu’avec la conciliarité de l’Église, pensait et affirmait l’Archevêque Hilarion, que viendra la pacification de l’Église et que l’activité normale de l’Église Orthodoxe Russe pourra être déployée dans les nouvelles conditions de l’État soviétique.
…Son chemin de Croix touchait à sa fin. En décembre 1929, l’Archevêque Hilarion fut envoyé en réclusion à vie, d’abord dans une installation d’Asie Centrale, dans la ville d’Alma-Ata. Il passa d’une prison à l’autre. En chemin, il fut dévalisé, et il atteignit Leningrad vêtus de haillons infestés de parasites, et déjà malade. De l’hôpital de la prison de Leningrad, où il fut placé, il écrivit: «Je suis gravement malade du typhus, je suis couché dans l’hôpital de la prison, j’ai été infecté, sans doute chemin faisant; le samedi 15 décembre, mon sort se décide (crise de la maladie), il est peu probable que j’en sorte».
À l’hôpital, on lui annonça qu’il devait être rasé, ce à quoi Son Éminence répondit: «Faites maintenant de moi ce que vous voulez». Dans son délire, il disait: «Maintenant, je suis complètement libre, personne ne me prendra.» L’ange de la mort se tenait déjà aux côté du malade. Un médecin vint auprès de lui quelques minutes avant sa mort et dit que la crise était passée et qu’il pourrait se rétablir. L’Archevêque Hilarion chuchota de façon à peine audible : «Comme c’est bien! Maintenant, nous voilà loin de…» Et à ces mots, le Confesseur du Christ expira.
Le Métropolite Serafim Tchitchagov, qui occupait alors la chaire épiscopale de Leningrad,obtint la permission de prendre le corps pour l’enterrer. Un ornement épiscopal blanc et une mitre blanche furent amenées à l’hôpital. Le défunt en fut revêtu et transporté à l’église du monastère Novodievitchi de Leningrad. Il avait terriblement changé. Dans le cercueil, on voyait un vieil homme aux cheveux gris, pathétique et rasé. L’un des parents du défunt, le voyant dans le cercueil, s’évanouit tellement il était devenu différent de l’Hilarion d’auparavant. Il fut inhumé au cimetière du Monastère de Novodievitchi, non loin la tombe des parents de l’Archevêque (par la suite Patriarche) Alexis. Participèrent aux funérailles, en plus du Métropolite Seraphim et de l’Archevêque Alexis, les Évêques Ambroise (Libine), Serge (Zenkevitch) et trois autres.
Ainsi s’en alla dans l’éternité ce preux colosse par l’esprit et le corps, âme merveilleuse, doté par notre Seigneur de dons théologiques exceptionnels, et qui offrit sa vie pour l’Église. Sa mort fut la plus immense des pertes pour l’Église Orthodoxe Russe.
Mémoire éternelle à toi, Saint Père Hilarion, digne de béatitude. (A suivre)
Traduit du russe

Source :