Né en 1888, le Saint Hiéromartyr Nikon (Beliaev) fut hiéromoine à la Skite du Monastère d’Optina. Il en fut un des derniers startsy, ayant eu pour père spirituel Saint Barsanuphe, lui-même fils spirituel du Saint Starets Anatole (Zertsalov) d’Optina. Un récit de sa vie a été traduit en plusieurs parties sur le présent blogue et est accessible ici. Le Monastère a publié le journal tenu par le novice Nicolas pendant les trois premières années de sa vie monastique. (Дневник послушника Николая Беляева (преподобного Оптинского старца Никона). Le texte ci-dessous est la traduction (sur base de l’édition de 2016) des premières pages de cet ouvrage remarquable, inédit en français. Le début de la traduction se trouve ici.
22 mars, Dimanche des Rameaux
Profitant d’une minute de temps libre, je vais écrire un peu.
Le 14 mars, Batiouchka m’a donné deux cuillères en bois, une pour moi personnellement, et une pour Ivanouchka.
Le même jour, au déjeuner, Batiouchka a dit ce qui suit.
«A Kazan, l’Archevêque était Vladika Athanase. On a dit beaucoup de choses à propos de lui. Par exemple, alors qu’il venait tout juste d’entrer à Kazan, il se précipita à la cathédrale. Après avoir célébré la liturgie, un moleben et prononcé quelques mots, il se mit à bénir le peuple des fidèles. Dans cette grande foule, il y avait une certaine jeune fille de famille aisée. Il la bénit mais ne lui tendit pas sa main pour qu’elle la baise. Elle pensa qu’il avait fait cela par précipitation, pour terminer plus rapidement la bénédiction. Mais alors, elle se présenta une seconde fois pour recevoir la bénédiction, et une fois de plus, il la bénit mais ne lui permit pas d’embrasser sa main. Elle l’approcha ainsi plusieurs fois, et la même chose se répéta. Elle lui dit alors: «Votre Éminence! Suis-je si pécheresse que je ne suis pas digne de vous embrasser la main?» Alors, Son Éminence répondit : «Non mais voilà, j’ai des grandes paluches de moujik». La jeune fille rougit, se rendant compte que Son Éminence avait lu dans ses pensées, car il avait dit exactement ce qu’elle avait pensé pendant qu’elle avançait pour la bénédiction.
Il y eut beaucoup d’autres cas similaires qui prouvaient sa clairvoyance… Son Éminence Athanase manifestait également une trait caractéristique de certains saints, nommer les invités avant qu’ils ne se présentent, les accueillir chaleureusement et les choyer. Il aimait s’entourer d’invités lors des fêtes. Comme dans le cas suivant.
Dès la fin d’une liturgie, il rentra directement de l’église avec ses invités. Après avoir pris le thé et conversé avec les invités, Son Éminence proposa de passer à table. Instruction fut donnée à un auxiliaire de servir le dîner, et l’Archevêque s’assit avec les invités à la table. Un énorme brochet parfaitement cuit fut servi. En le regardant, Vladika dit:
– Impossible de le manger. Il est maudit !
Tout le monde, quelque peu surpris, regarda Son Éminence.
– Il est maudit, il ne peut être mangé, répéta Vladika.
Il appela son auxiliaire et lui ordonna d’enlever le met de la table; l’homme n’osait même pas l’enlever. Alors Son Éminence fit appeler le cuisinier. Celui-ci arriva. Vladika le regarda et, remarquant un doigt bandé, lui demanda:
– Qu’est-ce que tu as à ton doigt?
Je me suis coupé par inadvertance, Saint Vladika.
– Et qu’as-tu dit?
– Pardonnez-moi, Vladika, j’ai dit: que tu sois… je n’ai pas bien parlé.
– Tu vois, on ne peut plus le manger. Jette-le, et prépares-en un autre.
Vous voyez, même la malédiction d’un homme simple, un cuisinier, agit si fortement…»
– En fait, Batiouchka, demandai-je, comment Vladika Athanase l’a-t-il appris? C’est incompréhensible! Et pourquoi ne peut-on pas manger dans le cas d’une malédiction?
– La malédiction du cuisinier a opéré certains changements dans le poisson, que Son Éminence a remarqué avec ses yeux clairvoyants. En raison de ces changements, il est devenu impossible de manger ce poisson. Cela explique pourquoi dans le monde, dans les maisons riches proposant les plats les plus coûteux, il n’y a pas ce goût que nous ressentons dans notre soupe aigre: là, on cuisine sans prière, avec des jurons et des malédictions, et dans nos monastères avec prière et bénédiction.
Récemment, j’ai reçu la bénédiction de Batiouchka pour lire le cinquième volume d’Ignace Briantchaninov. J’y aspirais tant.
Les 12 et 14 mars, Batiouchka m’a donné à lire les «Réponses de l’Évêque Théophane aux questions d’un moine sur la prière de Jésus et les diverses activités de la vie monastique».
24 mars
Le Seigneur m’a trouvé digne de me confesser, juste maintenant, moi le pécheur. Aujourd’hui, j’ai fait toutes les lectures du jour. L’an dernier, le Grand et Saint Mardi, je l’avais également fait.
25 mars
Aujourd’hui, le Seigneur m’a trouvé digne de communier aux Saints Mystères du Christ, me joignant ainsi à toute la fraternité de la Skite. Gloire à Dieu! Je n’ai dû m’y préparer que pendant deux jours. C’est peu, mais on se préparait déjà à la Grande Fête, car «Le jour de notre salut est arrivé».
29 mars, Pâques
Pâques, la Pâque du Seigneur! C’est la troisième que nous célébrons au Désert d’Optina, et la deuxième dans ma vie à la Skite. Après avoir passé des jours entiers chez Batiouchka, cette année, je n’ai pu éviter une certaine agitation. Mais, malgré cela, ici tout le monde célèbre généralement la Fête de façon spirituelle. Après avoir terminé mon obédience juste avant 20 heures hier soir, je suis allé à l’église, comme il convient, pour écouter les Actes des Saints Apôtres. Ainsi, on console pleinement les vaines pensées agitées, lors de cette lecture révérencieuse dans la pénombre devant l’épitaphios.
Tranquillement et calmement, je me suis rendu au monastère, où j’ai participé à la célébration de la joyeuse et grande Fête. Calme et paix dans l’âme. Gloire à Dieu!
30 mars
Pour autant que je me souvienne, le Grand et Saint Vendredi, et de façon générale pendant la Semaine Sainte, Batiouchka a affirmé cette vérité attestée par les Saints Pères: «Si ceux qui veulent entrer au monastère connaissaient toutes les tribulations inhérentes à la vie monastique, alors personne n’entrerait au monastère. C’est pourquoi le Seigneur leur cache délibérément ces tribulations. Et si les gens connaissaient la béatitude qui attend les moines, le monde entier accourrait au monastère sans regarder en arrière…»
Batiouchka est tombé malade et il n’accepte même plus de recevoir les frères pour la bénédiction.
Le matin, après la liturgie (célébrée par deux hiéromoines et le Père Archimandrite, car Batiouchka ne le pouvait pas), Batiouchka m’a dit: «Cette nuit, j’ai failli mourir.» Quelle maladie était-ce, je n’en sais rien. On dit que le changement de nourriture affecte tout le corps, en particulier l’estomac. Ce matin, extérieurement, on ne remarquait rien de spécial à la vue de Batiouchka, seule la lenteur de ses mouvements et son irritabilité témoignaient de sa maladie. Je prie pour Batiouchka, que le Seigneur lui fasse miséricorde.
J’ai reçu deux lettres de Moscou: de maman et de ma sœur. Leurs vœux. (A suivre)
Traduit du russe
Source :
Saint Père Nikon, prie Dieu pour nous.