Signification de Saint Serge pour la Nation russe et l’Autorité de l’État.1/2

Vassili Ossipovitch Klioutchevski (1841-1911), est l’auteur de ce texte, ainsi que d’un magistral «Cours d’Histoire de la Russie».
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Lorsqu’on franchit, en compagnie d’une foule bigarrée de gens se signant pieusement, l’entrée de la Laure Saint Serge, parfois on pense : pourquoi n’y aurait-il pas dans ce monastère, un observateur particulier, comme dans les annales de la vieille ‘Rus, qui observerait d’un regard paisible et égal, et dont la main au mouvement régulier et sans passion inscrirait : «… en la terre russe». Et il ferait cela immuablement, d’année en année, de siècle en siècle, comme s’il s’agissait d’une seule et même personne ne mourant pas pendant des centaines d’années? Cet observateur immuable, et que la mort n’atteindrait pas, raconterait qui sont ceux qui sont entrés au cours de cinq cent ans, pour s’incliner devant le tombeau de Saint Serge, et avec quelles réflexions et quels sentiments ils s’en seraient retournées vers tous les horizons de la terre russe. Il nous dirait, entre autres, comment il se peut que demeure invariable la composition sociale de cette vague déferlant pendant cinq siècles vers le tombeau de Saint Serge. Du vivant de celui-ci, comme le racontent ceux de ses biographes qui lui furent contemporains, des multitudes vinrent à lui, de toutes les contrées et de toutes les villes. Et parmi ces foules, on comptait des moines, des princes, des dignitaires, des gens simples et des villageois. Et de nos jours, de gens de toutes les classes sociales viennent au tombeau du saint, avec leurs pensées, leurs prières et leurs espérances. Arrivent des hommes d’État, lors des moments de crises de la vie du peuple, des gens simples aussi, lors des moments tristes ou joyeux de leurs existences individuelles. Et cette affluence ne change pas, avec le cours des siècles, nonobstant les transformations profondes et répétées de l’organisation et des humeurs de la société russe ; les anciennes notions s’épuisent, de nouvelles émergent et les recouvrent. Mais les sentiments et les croyances qui attirent ici des gens de tous les coins de la terre russe continuent à sourdre jusqu’aujourd’hui, comme une source nouvelle, comme au XIVe siècle. S’il était possible de reproduire par écrit tout ce qui s’est uni à la mémoire du saint, tout ce qui pendant ces cinq cent années fut pensé et ressenti dans le silence devant son tombeau par des millions d’esprits et de cœurs, alors, cet écrit serait profondément imprégné de l’histoire politique et morale de la vie de notre nation. Lire la Suite

Signification de Saint Serge pour la Nation russe et l’Autorité de l’État.2/2

Deuxième partie du texte de Vladimir Klioutchevski dont vous pouvez trouver le début ici.sergij-radonezhskij_b-676x460

(…) Pour renverser le joug barbare, construire un État indépendant stable et introduire les étrangers dans l’enceinte de l’Église chrétienne, la société russe devait s’élever à un niveau lui permettant de faire face à un si grand défi. Elle devait relever et renforcer ses forces morales humiliées par un asservissement séculaire et par l’abattement. A cette troisième œuvre, celle de l’éducation morale de la nation, Saint Serge dédiera sa vie. Il s’agissait d’une mission intérieure devant servir à préparer et à garantir le succès d’une mission extérieure, entreprise par l’illuminateur de Perm. Saint Serge se mit à son ouvrage beaucoup plus tôt que Saint Étienne. Pour ce faire, il pu bien sûr recourir aux ressources de la discipline morale qui lui étaient accessibles et connues en ce siècle, mais parmi ces moyens, le plus puissant fut son exemple de vie, évident accomplissement des règles morales. Il commença par lui-même, s’isolant longuement en une vie de labeurs et de privations, au plus profond de l’épaisse forêt, se préparant à diriger d’autres ermites. L’hagiographe, lui-même membre de la fraternité, instruit par Saint Serge, dépeint cette éducation en des traits vivants, combien elle était progressive et empreinte d’amour d’autrui, de patience et de connaissance de l’âme humaine. Lire la Suite

Le Métropolite Ioann, Saint Philarète de Moscou et Saint Mitrophane de Voronège

Écrits

Le Métropolite Ioann commença à rédiger au cours des années 1960′ une monumentale monographie du Saint Métropolite Philarète (Drozdov) de Moscou, intitulée «Vie et activités du Métropolite Philarète» («Жизнь и деятельность митрополита Филарета»), publiée pour la première fois en 1994 par les éditions «Russkii Leksikon» à Toula. Pour la présente traduction, on s’est référé au texte publié en 1997 par les éditions «Samara Orthodoxe». Cette œuvre du Métropolite Ioann demeure une référence en la matière, et elle fut un des éléments qui alimenta son amitié fraternelle et étroite avec Sa Sainteté le Patriarche Alexis II de bienheureuse mémoire, ce dernier ayant rédigé une thèse de fin de premier cycle à l’Académie, intitulée «Le Métropolite Philarète sous son aspect de dogmatiste». Les deux textes ci-dessous, (extraits des pages 348-349 et 368-369 de l’édition de 1997) lèvent le voile sur l’activité d’historien de l’Église du Métropolite Ioann. Ils n’ont à ce jour pas été traduits en français. Leur aspect apparemment anecdotique ne dissimule pas la fidélité de Saint Philarète aux dogmes de l’Église face aux sollicitations du pouvoir impérial lorsque celles-ci s’opposaient à sa conscience orthodoxe, ni son obéissance toute monastique. Comme on le lira, ces attitudes caractérisèrent également le Saint Évêque Mitrophane de Voronège, qui vécut au XVIIe siècle, et elles furent d’ailleurs aussi des traits de caractère saillants du Métropolite Ioann, auteur du texte.

En mémoire de l’époque inoubliable d’Alexandre Ier, et en mémoire de la calamité endurée par la Patrie , récompensée par la victoire, la gloire et le relèvement de Moscou, l’Empereur Nicolas Ier décida d’ériger dans la vieille capitale un portail triomphal. L’idée du monarque reçut le plein assentiment du Métropolite de Moscou. Le 17 août 1829, Philarète se rendit, accompagné de son clergé, sur les lieux où allait être érigé le monument, et y célébra un molieben solennel sur les fondations de celui-ci. Et il prononça ensuite une homélie remarquable quant à la signification du portail pour les générations à venir. «Ce monument, souligna-t-il, est une prédication silencieuse, qui d’une certaine façon peut être supérieure aux prédications que l’on prononce, car elle ne s’interrompt jamais, et ainsi, elle finit par pénétrer jusqu’au cœur du peuple et de toutes les générations à venir. Le monument est un livre qu’il n’est pas nécessaire de rechercher dans les bibliothèques, car il se dresse sur la route, et le liront ceux-là même qui ne pensaient pas le découvrir». Lire la Suite

Le Saint Hiéromartyr Hilarion (Troïtski) Huit Lettres d’Occident. (18)

C’est par le texte ci-dessous que se termine notre traduction des «huit Lettres d’Occident», écrites par le Saint Hiéromartyr Hilarion (Troïtski). Ces huit lettres, éditées pour la première fois en 1915, sont incluses dans les Œuvres en trois volumes du Saint Hiéromartyr, au tome 3, pp 396 à 458. (Священномученик Иларион (Троицкий). Творения в 3 томах. -épuisé-), Moscou, 2004, Éditions du Monastère de la Sainte Rencontre. Le texte de ces huit lettres fut également publié sur le site Pravoslavie.ru, entre le 16 et le 22 mai 2006. Ces écrits, qui ne relèvent pas d’une démarche académique, plongent le lecteur avec animation et profondeur dans l’atmosphère spirituelle, philosophique, culturelle et sociopolitique du début du XXe siècle; c’est en 1912 que l’Archimandrite Hilarion (Troïtski) effectua un périple dans les grandes villes d’Europe. Voici la fin de la huitième lettre, relative à la Madone de la Chapelle Sixtine. Le début de celle-ci et les précédentes lettres se trouvent ici.

Quand je me rappelle la Madone de la Chapelle Sixtine, les paroles de l’acathiste à la Très Sainte Mère de Dieu me viennent à l’esprit : «Réjouis-toi en qui les contraires sont conduits vers l’Unité,
Réjouis-toi en qui se joignent la virginité et la maternité». Selon notre acception des choses, virginité et maternité sont incompatibles, mais en la Très Sainte Mère de Dieu, les règles de notre nature humaine pécheresse sont vaincues : Sa maternité est virginale. Elle est Mère et Vierge. Dans cette union des contraires,ou pour l’exprimer de façon plus élaborée, dans ce dépassement de l’antinomie, réside le mystère de la Très Sainte Mère de Dieu, ce mystère qui nous est nécessaire et que nous chérissons. Le nom de «mère» est cher à l’homme, et l’humanité a besoin de la «Vierge». Voilà pourquoi Elle nous est infiniment chère, Marie, Vierge et Mère. Lire la Suite

L’Archiprêtre Serge Orlov (1890-1975) Portrait d’un juste.

Le texte ci-dessous est la traduction d’un portait, peu spectaculaire sans doute, mais édifiant, de la vie d’un authentique starets pendant les années soviétiques. C’est également un humble tableau de la vie, parfois joyeuse, toujours intense, de l’Église en Russie à l’époque pendant laquelle elle endura les pires persécutions. Ces éléments permettent de comprendre que l’Église ne s’éteignit jamais en Russie et qu’elle put se redresser avec l’élan et la force merveilleuse que nous lui connaissons.

Le Père Valerian Kretchetov

Le Hiéromoine Seraphim (Père Serge Orlov) a été enterré derrière le mur du sanctuaire de son église, où il servit pendant vingt-neuf ans. Il fut le père spirituel du Père Valerian. Celui-ci se souvient avoir trouvé ici des paroissiens se rappelant les bienfaits du père Serge, qui distribua céréales et farines aux familles pauvres pendant les années de famine ou de disette.
L’Archiprêtre Serge (Serguei Vassilievitch Orlov) nauit le 29 juin 1890 au village d’Akoulovo, dans le Gouvernorat de Moscou. Son père et son grand-père (l’Archiprêtre Piotr et l’Archiprêtre Vassili) desservaient l’église du Pokrov, la Protection de la Très Sainte Mère de Dieu, du village d’Akoulovo. Le futur archiprêtre reçut une éducation profane et religieuse avancée. Après l’école paroissiale de son village natal, il termina à Moscou, le cycle d’études du Séminaire, ensuite, l’Université de Varsovie et même l’Institut Polytechnique de Kiev, dont il sortit avec le titre d’agronome. Serguei Vassilievitch ne tarda pas à se marier, mais un an plus tard, il devint veuf. Il travailla en qualité d’agronome dans des entreprises collectives, en Crimée, en Ukraine, en Sibérie, où il occupa des postes à responsabilités, chargé d’activités organisationnelles.
L’Archiprêtre Valerian, recteur de l’église du Pokrov de la Très Sainte Mère de Dieu à Akoulovo entama son service pastoral lorsque le Père Serge était recteur. Jusqu’au jour de son décès, celui-ci fut le père spirituel du jeune Batiouchka Valerian.

Akoulovo. église du Pokrov

Le Père Valerian se souvient : «Au cours de mes trente années de sacerdoce, le Seigneur m’accorda de servir et célébrer pendant vingt-huit ans à l’église du Pokrov de la Très Sainte Mère de Dieu, dans le village d’Akoulovo, mieux connu sous l’appellation de ‘derrière la gare d’Otradnoe’, dans le faubourg d’Odintsovo. En outre, les quatre première années, par la grâce de Dieu, j’ai pu servir avec l’Archiprêtre Serge Orlov, l’un des exemples de l’idéal du service pastoral de notre époque. Peu de temps avant sa mort, je me rappelle qu’il dit : «Encore un an et notre lignée aura servi pendant un siècle».
Le destin du Père Serge ne fut pas simple. Par sa vie, il montra que le chemin de tout homme n’est pas toujours rectiligne. Le Père Valerian aime raconter qu’au début du XXe siècle, le Père Serge fut tenté par les idées socialistes : «Peut-être à cause de sa jeunesse ou du bouillonnement généralisé de cette époque, il fut attiré par les idées révolutionnaires. Une fois, il me dit : «J’ai étudié en secret le Capital de Marx». Je lui répondis : «Batiouchka, alors, ils devraient ériger un monument à votre mémoire. Maintenant, plus personne n’est capable d’un tel exploit… Vous l’avez lu, quelle fut votre impression?» «Ouiiii, tout est décrit, en filigrane. Seulement, dans la vie, c’est tout le contraire».
«Ayant lu le Capital, le Père Serge décida de repousser les limites de la science… Il termina le cycle d’études académiques de l’Université de Varsovie. Mais cela ne lui suffit pas. Il entra à l’Institut Polytechnique de Kiev… En un mot, il décrocha deux diplômes d’études supérieures. Dans la période prérévolutionnaire. Ensuite, après la guerre, il termina le cycle d’études de l’Académie de Théologie de Moscou, ayant défendu une thèse portant sur l’influence de l’Orthodoxie sur notre culture. Il m’est arrivé d’entendre parler ceux qui connurent le Père Serge, des gens ayant bénéficié d’une éducation avancée. Et ils disaient que jamais ils n’avaient rencontré quelqu’un d’aussi érudit que le Père Serge. Il connaissait n’importe quelle question en profondeur. Et toujours, il restait très simple. Beaucoup me e rappelèrent».

Les Pères Serge et Valerian

Le Père Serge enseigna dans différentes écoles de Moscou et de l’oblast de Moscou. Il devint directeur d’un établissement. A cinquante-six ans, Serguei Vassilievitch entra au service de l’Église. Le 28 juillet 1946, l’Évêque Macaire (Daev) l’ordonna diacre, en l’église de la Déposition de la Sainte Tunique du Seigneur, à Moscou, et le 02 août il fut ordonné prêtre de l’église du Pokrov d’Akoulovo. Quelques temps auparavant, il était allé se confesser, à la Laure de la Trinité Saint Serge. Et il y avait confessé le fait qu’il n’avait pas accédé à la demande de son propre père, et il en ressentait le péché. Son père voulait qu’il lui succède dans le sacerdoce. Le hiéromoine qui le confessait lui donna alors sa bénédiction pour le sacerdoce pastoral.
Entre 1965 et 1970, le Père Serge fut collaborateur bénévole du magazine du Patriarcat de Moscou, et participa aux travaux d’édition du calendrier orthodoxe. Il fut aussi membre de la commission chargée de composer le recueil annuel d’«Instructions liturgiques pour l’année en cours».
Avec la bénédiction du Patriarche Alexis, l’Archiprêtre Serge Orlov reçut la tonsure monastique, et le nom de Seraphim, en l’honneur de Saint Seraphim de Sarov. Espérant la réouverture future, en vertu des paroles de Saint Seraphim, du Monastère de Divéyevo, le Père Serge et sa soeur, Elena Vassilievna, ayant reçu elle aussi la tonsure monastique, rassemblèrent activement des icônes, et particulièrement celles de la Très Sainte Mère de Dieu, destinées à être remises à Divéyevo. Lorsqu’un jeune prêtre émit des doutes quant à la possibilité de réouverture du Monastère de Divéyevo dans un avenir prévisible, Elena Vassilievna lui répondit : «Tu dois y croire! Mais tout comme Moïse n’entra pas en terre promise, tu n’iras pas à Divéyevo». Environ quarante icônes, sauvées par des fidèles de la destruction par les athées furent remises en 1993 à la communauté de Divéyevo. Le Père Serge les avait conservées dans la maison de la moniale du grand schème Agnès (Tchijikova). Il appelait cette maison le ‘podvorié’ de Divéyevo.
Tel Saint Auxence, Batiouchka se distinguait par une incroyable modestie, son abnégation, sa bonté d’âme et son amour pour les gens ; jamais il ne considérait que ce qui était le meilleur lui revint. Et toujours à l’image de Saint Auxence, le Père Serge manifestait un infatigable soin pastoral à ses paroissiens. Ses homélies appelaient à l’amour, à la bienveillance et au pardon chrétien.

L’Evêque Arsène Jadanovski

Dans les années trente, quand il vivait au village de Doubka, près de la gare Pionierskaia du chemin de fer de Biélorussie, il cacha l’Higoumène du grand schème Thamar (Mardjanova), la supérieure de la Skite Saint Seraphim-Mère de Dieu du Signe, avec treize des sœurs. Cette petite maison était devenue une cénobie, et l’Évêque Arsène (Jadanovski) y trouva un paisible refuge à l’époque des persécutions. Le Père Serge rentrait tard, vers trois heures du matin. Il célébrait la liturgie et donnait aux matouchkas la Communion aux Saints Dons du Christ.
Dans les années soixante, à Akoulovo, l’Évêque Stéphane (Nikitine) faisait partie des invités. Il furent nombreux à profiter de l’inoubliable et joyeuse atmosphère créée par la présence des deux startsy, l’Évêque Stéphane et l’Archiprêtre Serge.
Le Père Serge accordait une signification particulière au carême, comme l’une des voies de l’acquisition de l’humilité, car là où il n’y a pas d’humilité, l’Esprit Saint ne peut habiter. Ainsi, il dit dans l’une de ses homélies : «Sans l’Esprit Saint, il n’existe pas de vie véritable en l’homme, pas de paix dans l’âme, pas de lumière divine. Sans l’Esprit Saint, il ne peut y avoir en nous de foi véritable, d’espérance, d’amour, de sainte simplicité, de pureté du cœur, et pas de salut…» Chaque semaine, le vendredi, à l’église du Pokrov on lisait l’acathiste aux Souffrances du Christ. A travers cette instante vénération de la croix sur laquelle souffrit le Seigneur, le Père Serge éveillait la conscience des Chrétiens à accueillir l’éternel Sacrifice Rédempteur. Ce héros de l’ascèse de la foi et de la piété nourrissait également chez ses paroissiens une relation de révérence envers la prière. «Le Christ Se transfigurait au moment de la prière, prêchait Batiouchka lors de la Fête de la Transfiguration, et Il resplendissait de la gloire de Dieu. L’essence de notre vie ne consiste-t-elle pas à aller progressivement de gloire en gloire, de force en force, progressivement, par notre volonté et par l’aide de la grâce de Dieu, et de la sorte, nous nous transfigurons intérieurement, spirituellement, renonçant en esprit à ce qui est terrestre en faveur de ce qui est céleste, renonçant dans notre cœur à ce qui est sensible au profit de ce qui vient d’en haut, renonçant par notre volonté aux péchés et aux passions au bénéfice de l’accomplissement des commandements de Dieu, de la volonté divine?»

Hiéromoine Euphrosyn

Le Père Valerian se souvient encore : «Chez le Père Serge, on peut dire que l’orientation était monastique». Comme il avait été tonsuré secrètement, seuls ses proches étaient au courant. Ce n’est sans doute pas un hasard, si le Père Seraphim attirait vers lui, avant tout, des hommes et femmes aux dispositions ascétiques, comme par exemple l’Archimandrite Dorothée, du Monastère des Danilov à Moscou, et le Hiéromoine Euphrosyn du Désert Saint Zosime. Et l’Évêque Stéphane (Nikitine) se confessait auprès du Père Serge. Et parmi les enfants spirituels de celui-ci, on comptait le Métropolite Antoine (Melnikov), et les vladikas Pitirim, Théodose et Hermogène.
Le Père Serge fut toujours sévère en ce qui concernait les offices. On le considérait quasiment comme le deuxième meilleur spécialiste de l’oustav liturgique, après l’Évêque Athanase (Sakharov).
De façon générale, un de ses traits les plus caractéristiques était la mesure, la retenue. «Parfois, je me levais en retard, se souvient le Père Valerian. Le matin, il y avait la liturgie, et ensuite des offices du trebnik. Je m’étais allongé pour me reposer un peu, mais je m’étais endormi. Je m’éveillai en sursaut. Mon Batiouchka! Déjà cinq heures du matin. C’était l’heure où on lisait déjà la sixième heure! Je me précipitai, mais Batiouchka était assis dans le sanctuaire. «Ne cours pas, ne cours pas… Ils ne commenceront pas sans nous. Ce n’est pas grave…» Il était calme comme ça. Il se maîtrisait toujours, en toutes choses. Ces gestes étaient mesurés quand il célébrait. Il exigeait que le moins possible d’attitudes et de gestes théâtraux». Il soulignait en permanence, en toute humilité, la conscience de son indignité.Je me souviens lui avoir demandé : «Batiouchka, les gens vont chez ce prêtre, il les attire à lui. Quant à celui-là, il est sévère, on se détourne de lui». «Oui et non, répondit-il. Ce n’est pas pour cela. Tout simplement, c’est donné à l’un et pas à l’autre». Le Père Serge rappelait toujours que la grâce du sacerdoce pastoral, c’est un don Dieu;c’est le Seigneur qui accomplit tout. En un mot, Dieu s’oppose aux orgueilleux et donne sa grâce aux humbles. Et pour ne pas perdre cette grâce, il faut sans cesse s’humilier. (…)
Dans la paroisse, le Père Serge respectait strictement le jeûne du carême. Le Père Valerian se souvient que lorsqu’il était enfant, il n’avait jamais abandonné l’huile végétale pendant le carême. Mais chez le Père Serge, il en allait autrement : «Si on dit sans matière grasse, cela veut dire jeûner sans matière grasse». Quand le conversation touchait à l’oustav, au typikon, il soulignait toujours que le prêtre devait non seulement expliquer, mais en premier lieu, accomplir. Le Père Serge était très attentif aux besoins de la paroisse. En famille, les paroissiens vivaient comme ils pouvaient. Ceux qui pouvaient respecter le jeûne carémique prescrit, il leur accordait sa bénédiction pour le faire. Il bénissait également un jeûne strict d’un jour avant la communion aux Saints Dons. Tenir trois jours, c’était dur, les tentations affluaient. «Vous savez, Batiouchka, vous pouvez m’en donner un peu plus, j’ai recommencé à manger gras». «Non, tu ne dois pas manger gras» «Mais cela ne change plus rien». «Si, cela change. Tu l’as fait remarquer, alors cesse». Voilà les principes pastoraux du Père Serge. Et aujourd’hui encore, cette tradition qu’il a lui-même instaurée, est encore observée à l’église d’Akoulovo. Les jours de semaine, en principe, on célèbre le matin. C’est devenu difficile pour les gens de venir à l’église deux fois chaque jour. Le Père était sévère avec lui-même, il s’efforçait de célébrer selon les règles de l’oustav, mais en même temps, il était indulgent envers les autres. Sa Sainteté le Patriarche Alexis octroya la mitre au Père Serge en 1970, car il servit avec zèle pour le bien de l’Église, et manifestait un soin paternel à ses ouailles. En 1974, il fut pensionné pour raisons de santé. Il s’affaiblissait de jour en jour. Mais en qualité de recteur émérite de l’église, il essayait de ne manquer aucune liturgie, disant «Il est possible que ce soit la dernière fois que je célèbre».

Les Pères Serge et Valerian à l’autel

Tous les prêtres font l’objet de sollicitations. Quand on venait chez le Père Serge pour lui demander «Batiouchka, mais que dois-je faire?». «Vous ne savez pas? Mais je le sais encore moins que vous!», répondait-il. «Mais il faut prier. Le Seigneur arrangera les affaires». Et effectivement, en réalité, le Seigneur arrangeait les affaires. «J’ai rarement entendu, se rappelle le Père Valerian, que Batiouchka ait répondu de façon ferme, déterminée. C’était plutôt :’Oui, qui sait, comment dire,… Évidemment,… Eh bien…’, ou il racontait un épisode tiré de sa pratique pastorale. Tout, ses gestes, ses manières, sa façon de s’adresser aux gens, communiquait un certain esprit, l’esprit d’apaisement, de discernement, de calme en toutes choses, et bien-sûr, d’abandon à la volonté de Dieu». Il avait une attitude particulière quand on lui offrait quoi que se soit. Le Père Valerian explique : «C’était un homme solitaire, désintéressé, c’est sûr. Et voilà que quelqu’un voulait lui donner quelque chose. Parfois il acceptait : «Oui, oui, oui…» Parfois, il se mettait doucement debout et partait. Parfois, des enfants lui offraient quelque chose. Il demandait : «C’est pour moi ?» «C’est pour vous, Batiouchka». «Alors, si c’est à moi, je le donne à qui je veux. A toi, voici, c’est pour toi».
Le Père Valerian se rappelle que pendant les années de service du Père Serge à Akoulovo, il y eut des cas de guérison. «On amena une petite fille, couverte de croûtes. Les démangeaisons étaient terribles et elle se grattait sans arrêt. Les gens dirent : «Il y a une icône miraculeuse chez vous». Batiouchka répondit : «Ici, chez nous, toutes les icônes sont miraculeuses. Vénérez-les toutes». La petite fille parcourut toues les icônes, les vénérant l’une après l’autre. Le Père Serge lui donna de l’eau consacrée. Elle s’en lava, et sa peau s’assainit. C’est-à-dire qu’elle reçu l’aide par les prières du Père Serge». Il y eut également des guérisons après la mort de Batiouchka ; le fils d’une paroissienne fut sauvé.
Dans les derniers temps, le Père Serge disait lors des confessions : «Il faudrait reconstruire votre âme selon les dispositions de l’Évangile». Aujourd’hui, c’est le Père Valerian qui répète ce conseil à ses ouailles. Peu de temps avant son départ pour l’autre monde, le Père Serge se rendait systématiquement à l’église pour communier. Il avait des problèmes au système digestif, visiblement, un cancer. Quand on lui demandait : «Batiouchka, comment vous sentez-vous?», il répondait : «C’est à peine si j’arrive à me traîner à l’église. mais c’est de là que je m’en irai». Un jour, il se sentit très mal. Il communia lui-même, et s’allongea, disant : «Comme c’est difficile de mourir, pourtant tous nous devons passer par là». Il demeura couché. Près de sa tête, il y avait une icône de la Dormition de la Très Sainte Mère de Dieu. Il dit : «D’où vient ce chant? Quel beau chant. Qui donc chante?» «Mais où-ça, Batiouchka?» «Juste ici, montrant l’icône, c’est d’ici que vient ce chant ». Et il s’apaisa progressivement. Les enfants spirituels de ce pasteurs affluèrent près de son lit de mort, souhaitant recevoir une dernière bénédiction, ses instructions. Ensuite, le Père Serge bénit en pensée tous ceux d’entre eux qui n’avaient pu venir auprès de lui en ses derniers instants. Embrassant l’icône de la Dormition de la Très Sainte Mère de Dieu, il rendit son âme au Seigneur;c’était le sept février 1975. Les funérailles eurent lieu pendant la trente-sixième semaine après la Pentecôte, le jour de la translation des reliques de Saint Jean Chrysostome. Le cercueil contenant le corps du nouveau défunt fut, au chant des irmos du Grand Canon « le Seigneur est mon Aide et mon Protecteur…», transporté autour de l’église et enterré en face du sanctuaire, à côté des tombes de son père et de son grand-père.
Le Père Serge nourrit spirituellement son troupeau non seulement par ses enseignements, mais surtout par son propre exemple. Chaque jour de sa vie, il s’efforçait de vivre en Dieu, et il avait une foi illimitée en Sa miséricorde.
                                                                         Mémoire éternelle !
Traduit du russe
Source

Métropolite Benjamin (Fedtchenkov): Les derniers jours de Saint Jean de Kronstadt

Le texte ci-dessous est la traduction du dernier chapitre tiré d’un long texte rédigé par le Métropolite Benjamin Fedtchenkov. Ce long texte fut pendant une grande partie du XXe siècle un des très rares témoignages directs contribuant à la diffusion d’éléments biographiques fiables au sujet du Saint Père Jean de Kronstadt. En plus de leur valeur spirituelle, l’intérêt historique de ces textes est indéniable. Voici la traduction d’un dernier extrait, intitulé «Последние дни», les trois premiers sont disponibles ici.
Ivan Fedtchenkov naquit le 2/14 septembre 1880. Il reçut la tonsure monastique en 1907, année au cours de laquelle il termina l’Académie de Théologie de Saint-Pétersbourg. En 1910-1911, il fut le secrétaire particulier de l’Archevêque Serge de Finlande, le futur patriarche. Entre 1904 et 1908, il rencontre le Père Jean de Kronstadt à trois reprises, et à l’une de ces occasion, il concélébra la Divine Liturgie avec lui. Ces rencontres produisirent sur lui une impression intense, et il nourrit toute sa vie une vénération profonde envers Saint Jean de Kronstadt, lui consacrant plusieurs écrits. Il fit partie des fondateurs et fut recteur de l’Église des Trois Saints Docteurs à Paris, et fondateur de la représentation du Patriarcat de Moscou en France. Il fut exarque du Patriarcat de Moscou en Amérique et y devint métropolite. Il termina sa vie à la Laure des Grottes de Pskov, en 1961, et son corps y fut inhumé. Vladika Benjamin a laissé un riche héritage littéraire et spirituel.

Il était notoire que Batiouchka fut malade à plusieurs reprises, mais relativement brièvement et rarement. Lorsque c’était nécessaire, il faisait appel au médecin. L’Apôtre Paul donna un conseil à son disciple Timothée au sujet des maladies: pour ton estomac et tes différentes indispositions, bois un peu de vin coupé d’eau… Mais le Père Jean ne suivait pas toujours les prescriptions des médecins. Un jour, par exemple, les docteurs lui prescrivirent de manger de la viande, pendant le carême, sans quoi il serait menacé par de sérieuses complications. Lire la Suite