Sainte Xénia et Napoléon; le rôle de la Personne dans l’Histoire.

Le texte ci-dessous est la traduction d’une homélie prononcée à Moscou le 06 février 2006 par l’Archimandrite Syméon (Tomachinski), hiéromoine du Monastère de la Sainte Rencontre, enseignant à l’Académie Spirituelle de Moscou (où il enseigne la littérature russe et étrangère) ainsi qu’au Séminaire de la Sainte Rencontre. Rédacteur pour le site Pravoslavie.ru, il dirigea les éditions de la Sainte Rencontre entre 2003 et 2014. Il fut en outre nommé Recteur du Séminaire de Koursk en 2015.
Au Nom du Père et du Fils et du Saint Esprit !
Il n’existe probablement aucun livre d’histoire qui parle de Sainte Xénia de Petersbourg dont nous venons de célébrer la mémoire. Par contre, tous les livres d’histoire mentionnent Napoléon et ses entreprises. Tous deux ont pourtant vécu approximativement à la même époque : le passage du XVIIIe au XIXe siècle. Leurs contributions respectives à l’histoire sont-elles tellement incomparables ?
Les accomplissements de Napoléon sont renommés : des centaines de milliers de victimes, dont certaines sont enterrées ici, au Monastère de la Sainte Rencontre, des églises dévastées et pillées, et pas seulement en Russie, mais aussi, par exemple, à Venise et à travers toute l’Europe, et une multitude de vies ruinées. A son époque, Napoléon exerça aussi une influence spirituelle tout à fait considérable, comme le prouvent les œuvres de Tolstoï et Dostoïevski. Raskolnikov, tourmenté par le doute, «Suis-je une créature tremblante, ou ai-je le droit?», frappa de sa hache la vieille usurière avec, pourrait-on dire, aux lèvres le nom de Napoléon.
La vie de Sainte Xénia nous est bien connue, elle aussi. A l’âge de vingt-six ans, toute jeune femme encore, elle devint veuve. Abandonnant sa demeure, elle assuma dès lors l’ascèse de la folie-en-Christ, et erra, invariablement vêtue d’une veste verte et d’une jupe rouge ou d’une veste rouge et d’une jupe verte. Elle priait sans discontinuer, faisant l’objet des moqueries et des insultes. En contrepartie de son exploit ascétique incompréhensible pour le monde, et qui se prolongea pendant des décennies, Sainte Xénia reçut de Dieu la grâce de secourir les gens avec promptitude et efficacité. Son rôle fut manifesté de façon claire et triomphante dans des milliers de destins.
Son don particulier consistait à aménager la vie familiale des gens. Ainsi, un jour qu’elle rendait visite à la famille Golubev, Sainte Xénia déclara à la jeune fille de la maison, âgée de dix-sept ans : «Tu prépares du café ici pendant que ton mari enterre son épouse à Okhta. Cours-y vite!». Toute troublée, la jeune fille ne savait comment réagir à de tels propos étranges. Mais Sainte Xénia la poussa littéralement, avec un bâton, à se mettre en chemin vers le cimetière d’Okhta à Saint Petersbourg. A cet endroit, un médecin qui venait d’enterrer sa jeune épouse morte en couches pleurait de manière inconsolable et finit par perdre conscience. La famille Golubev s’efforça de le consoler tant bien que mal. C’est ainsi qu’ils firent connaissance. Et ils entretinrent cette relation, si bien qu’un an plus tard, le médecin proposa à la jeune fille de devenir son épouse. Et leur union fut des plus heureuses. Sainte Xénia aménagea de la sorte la vie d’innombrables familles. Elle fut en vérité créatrice des destins humains.
Napoléon fut inhumé à Paris, à la Cathédrale des Invalides, où les touristes se précipitent pour voir son sarcophage de porphyre rouge monté sur un piédestal de granite vert. Personne ne vient le prier ou lui demander quoi que ce soit. Pour l’homme contemporain, Napoléon se résume à une pièce de musée, un passé momifié. Aujourd’hui, son influence est réduite à la portion congrue, au mieux, un matériel banal pour le cinéma, ou encore pour les exercices pseudo-historiques de graphologues débutants.
Quant à la tombe de Sainte Xénia, depuis deux siècles, elle s’est révélée source de guérison et d’aide efficace dans les circonstances difficiles de la vie, source de résolution des problèmes insolubles. Ainsi, Sainte Xénia apparut à un homme souffrant d’alcoolisme et le morigéna de la sorte : «Cesse de boire! Les larmes de ta mère et de ton épouse inondent ma tombe». Est-il nécessaire d’ajouter que l’homme ne toucha plus à la bouteille ? Chaque jour des milliers de pèlerins défilent devant la tombe de Sainte Xénia, lui demandant son aide au moyen de petites notes portant leur appel au secours. Et ces notes ornent la chapelle, telles des guirlandes. Des centaines, des milliers, des millions de petits bouts de papier, l’appelant par son nom… Déposa-t-on jamais un seul pareil petit papier sur la tombe rouge de Napoléon, montée sur son piédestal vert ?
L’expression «histoire sociale» se fait de plus en plus commune dans le cadre des sciences historiques contemporaines. Il s’agit d’une orientation prometteuse, signifiant l’importance du destin des hommes simples, le sens des «petites choses» de la vie de la société, ainsi que le rôle déterminant des gens ordinaires dans le processus historique.
Ce serait erroné d’imaginer que l’histoire culmine dans les grands de ce monde, dans une Olympe politique ; l’histoire n’est pas du tout ce qu’on nous montre à la télévision. La véritable histoire se déroule dans le cœur de l’homme, et si celui-ci se purifie par la prière, le repentir, l’humilité, la patience dans les afflictions, alors le rôle qu’il joue dans sa propre destinée, et donc dans celle de ceux qui l’entourent, et donc dans l’histoire de l’humanité, augmente considérablement.
Sainte Xénia ne dirigeait pas un État, elle ne constitua pas une armée de nombreux milliers de soldats, et elle ne mena donc aucune armée en campagne. Tout simplement, elle pria, jeûna, humilia son âme et endura toutes les offenses. Mais son influence dans l’histoire de l’humanité est bien plus importante que celle de n’importe quel Napoléon. Mais cela, aucun manuel d’histoire ne le mentionne…
Toutefois, le Christ nous en parle dans l’Évangile : «Et que sert-il à un homme de gagner tout le monde, s’il perd son âme?» (Marc 8,36). Les exemples de Sainte Xénia et Napoléon confèrent grande conviction à ces paroles.
L’histoire n’est pas façonnée au Kremlin, à la Maison Blanche, à Bruxelles ou à Strasbourg, mais ici et maintenant, dans notre cœur, pour autant qu’il s’ouvre à Dieu et aux hommes». Amen.
Traduit du russe.
Source

La majorité des illustrations viennent d’un site russe consacré à Sainte Xénia.

Geronda Ephrem, Cathigoumène de Vatopedi. De la Persona postmoderne à la Personne. 2/2

Le 8 Janvier 2017, le site ‘Pemptousia.com’ a publié dans ses pages anglaises un long texte rédigé par Geronda Ephrem, l’higoumène du Saint et Grand Monastère de Vatopedi, et consacré à la notion de ‘personne‘. (L’original grec fut publié le 18 juillet 2013) La traduction française de ce texte est proposée en deux parties, compte tenu de sa longueur. Pour des raisons pratiques, il a été choisi de ne pas reproduire l’abondant appareil de notes, la plupart du temps des références, dont sont dotés le texte anglais et l’original grec, certaines de ces notes étant directement intégrées à l’adaptation en français. Voici la seconde partie du texte.

La Purification des Passions par la Prière du Cœur
Les fidèles nourrissent leur faculté de raisonnement au moyen de la prière de Jésus: «Seigneur Jésus Christ, aie pitié de moi». Quand il ‘tourne’ dans le ‘noûs’ des fidèles, le nom du Christ apporte l’illumination divine et ils peuvent alors discerner les pensées qui induisent les péchés en action et sont capables de les abattre dès leur naissance, c’est-à-dire avant qu’elles n’adoptent une image provocante. Et lorsque les passions ne sont pas activées, elles meurent progressivement, avec l’aide de la Grâce divine, ou plutôt, elles sont transformées, comme l’explique Palamas. Lors de ce processus de nécrose-transformation, les passions deviennent contemplation et là, devant «le trône de Grâce du cœur» , elles découvrent une nouvelle énergie, celle de la connaissance directe. C’est alors que se produit l’union du ‘noûs’ et du cœur. Notre ‘noûs’ est sans doute le thème fondamental de l’anthropologie ascétique, thème le plus malaisé à cerner pour ceux qui ne sont pas ‘spirituels’, qui sont ‘terrestres’. De nombreux Pères nous ont transmis une description du ‘noûs’. En résumé, ils le considère comme la force ou l’œil de l’âme. Toutefois, Palamas définit le ‘noûs’ et ses fonctions de façon précise, unique et révélatrice. Il considère le ‘noûs’ comme une substance indépendante et suprêmement active. Mais il faillit à ses propres fonctions et perd sa valeur lorsqu’il est réduit à l’intellect, qui se meut selon un mode terrestre dont le siège se trouve dans le cerveau. Notre ‘noûs’ est doté de substance et d’énergie. L’énergie de la connaissance directe, dissipée vers l’extérieur à travers les sentiments et, à l’intérieur, mélangée à la raison, doit retourner à la substance du ‘noûs’, dont le siège est dans le cœur, le principal organe calculateur du corps. Et ce retour s’effectue à travers la prière. Lire la Suite

Geronda Ephrem, Cathigoumène de Vatopedi. De la Persona postmoderne à la Personne. 1/2

Le 8 Janvier 2017, le site ‘Pemptousia.com’ a publié dans ses pages anglaises un long texte rédigé par Geronda Ephrem, l’higoumène du Saint et Grand Monastère de Vatopedi, et consacré à la notion de ‘personne‘. (L’original grec fut publié le 18 juillet 2013) La traduction française de ce texte est proposée en deux parties, compte tenu de sa longueur. Pour des raisons pratiques, il a été choisi de ne pas reproduire l’abondant appareil de notes, la plupart du temps des références, dont sont dotés le texte anglais et l’original grec, certaines de ces notes étant directement intégrées à l’adaptation en français. Voici la première partie du texte.

Comme le révèle la tradition ascétique hésychaste, la théologie de la personne est le contre-argument le plus significatif à l’individualisme et au relativisme postmodernes. L’ascétisme de l’introversion et de la paix consciente (hésychia) n’est pas une proposition, mais l’unique et authentique voie de transformation du «masque repoussant» en une personne. Lire la Suite