МультатулиPravoslavie.ru a publié le 29 mars 2016 un long entretien avec Pëtr Multatuli, historien, directeur du département d’analyse et d’évaluation de l’Institut des Études Stratégiques de Russie (Российского института стратегических исследований), à propos du lien entre histoire et Providence divine. Le texte ci-dessous propose la traduction de la deuxième partie de l’entretien. La première se trouve ici.

En ce qui concerne ses relations avec la Russie, pourquoi l’occident n’apprend-il pas des erreurs du passé?
Nous devons préciser de quel Occident nous parlons. L’Occident de Charles Martel, des saints Denis et Rustique de Paris, de Sainte Geneviève, Jeanne d’Arc, Shakespeare, Molière, Racine, Schiller, Dürer, Bach, du Roi Louis XVI et de la Reine Marie-Antoinette tué par les Jacobins, et du grand Pasteur, c’est une chose, mais l’Occident des Templiers, de Cromwell, Robespierre, Marat, Bonaparte, Karl Marx, Nietzsche, Freud, Alister Crowley, Hitler et les actuels néocons de Brzezinski et de Norman Podgoretz, c’en est une autre. Aujourd’hui, quand on évoque l’Occident, c’est tout d’abord à ce deuxième Occident, celui de l’apostasie, que nous faisons référence. Mais ceci est correct, car cela fait au moins trois siècles que nous avons affaire précisément à lui. Toutefois, nous n’avons pas le droit d’oublier qu’il existe un autre Occident, un Occident chrétien, d’autant plus qu’il demeure en Occident de nombreux croyants qui n’admettent pas les accomplissements des nouveaux nazis libéraux en Europe. C’est justement en Europe qu’a démarré l’offensive des forces mondialistes antichrétiennes.
A quelle époque intervint cette offensive antichrétienne?
Avec les révolutions, anglaise et française, habituellement appelées bourgeoises, la révolution anglaise de 1649 et la soi-disant «grande» révolution française de 1789. Elles revêtirent avant tout un caractère religieux, c’est-à-dire antichrétien. Leurs objectifs principaux furent l’élimination du monarque chrétien et la destruction de la monarchie. Oliver Cromwell haïssait le christianisme et avait l’intention d’instaurer une nouvelle religion, combinaison étrange d’éléments de l’Ancien Testament et de légende maçonnique à propos de l’attente de la résurrection du roi Arthur, ce qui rappelle fortement l’attente de la venue de l’antéchrist. Les rois Charles Ier et Louis XVI furent sacrifiés pour la destruction de l’Angleterre et de la France chrétiennes. Tous deux moururent en vrais Chrétiens, rejetant les propositions des révolutionnaires qui leur auraient permis de sauver leur vie en échange d’une trahison envers leur devoir de monarque et envers le Christ. La mort en martyrs des rois fut suivie par celle de milliers de leurs sujets. Les églises furent détruites et les prêtres tués. Cette terreur fut particulièrement effroyable en France, où elle prit une dimension génocidaire. Le 10 juin 1794, la Convention, sous la direction de Robespierre, adopta le décret concernant les «ennemis du peuple». La guillotine, invention du docteur Guillotin, fonctionnait sans relâche, mettant fin à la vie de milliers d’innocents. Ce fut le cas de la fille de 17 ans du peintre Joseph Berne, trouvée coupable de spéculation et mise à mort pour avoir détenu 5000 cierges, reçus en paiement d’une dette envers son père. Une parisienne fut également mise à mort pour spéculation; on avait trouvé chez elles des petits pains cuits selon la recette d’un médecin. Dans un village de France, 63 femmes furent mises à mort pour avoir participé à un office religieux célébré en secret. Dans un autre village, un tribunal mobile de campagne condamna à mort environ 300 enfants âgés de 6 à 11 ans trouvés coupables d’être des enfants de riches ou aisés. Robespierre et ses collaborateurs planifièrent l’élimination d’environ 1,5 million d’«ennemis du peuple». Les reliques de Sainte Geneviève furent brûlées publiquement sur la Place de la Grève. Et un pareil sort fut réservé aux reliques de nombreux autres saints. Les tombes des rois et des aristocrates furent profanées et détruites. Dans l’église de la Sorbonne les étudiants jouaient à la balle avec le crâne du cardinal de Richelieu.
Chose curieuse, la révolution avait commencé sous les slogans de liberté et d’égalité mais elle se termina sous une dictature cruelle et une terrible inégalité. Il en fut ainsi en Angleterre, en France et en Russie.
Est-ce l’antireligiosité de l’Occident qui détermine sa haine de la Russie ?
Tout à fait. Quand nous parlons aujourd’hui de l’Occident et de ses relations avec notre pays, nous devons comprendre qu’il s’agit des relations entre l’Occident athée et la Russie Orthodoxe. C’est pourquoi il n’y a pas de «malentendu» dans les relations entre l’Occident et la Russie. Il s’agit de la vieille politique de haine et de rejet, d’une aspiration à la détruire.
Il serait toutefois faux de prétendre que l’opposition entre Occident et Russie commença seulement après les révolutions précitées. L’Occident, infecté par la maladie du papisme est devenu depuis longtemps l’antipode de la civilisation russe. Même les pays protestants qui rejetèrent le catholicisme sont restés dans la sphère de son idéologie en ce qui concerne la Russie. Dès que la Russie orthodoxe 220px-Ivan_III_of_Russia_3devint dans les faits un empire, sous Ivan III et Ivan le Terrible, l’Occident sonna l’alarme. Non seulement un opposant géopolitique naissait, mais aussi une civilisation antipodale. Une guerre commença contre la Russie, d’abord idéologique, en ensuite, une guerre «chaude». On attribua à la Russie (à la Moscovie) l’image d’un pays barbare à la tête duquel siégeait un tyran sanguinaire. Malheureusement, aujourd’hui, la tendance est à la répétition de ce mythe. A quatre reprises au moins, l’Occident organisa une invasion globale chez nous, visant à détruire la Russie, et en premier lieu, l’Orthodoxie.
La première fut…
L’invasion suédoise, menée par Charles XII. Après la guerre patriotique de 1812, et la Grande Guerre patriotique, cette invasion suédoise s’estompa quelque peu dans notre mémoire. Elle ne fut pourtant pas moins dangereuse. Car Charles XII essaya non seulement de vaincre l’armée russe, mais également de forcer l’Église de Russie à s’unir au protestantisme, et de démembrer la Russie en plusieurs États. Et à cette occasion, le monarque suédois reçut l’aide des ancêtres des nationalistes ukrainiens «yarochiens» contemporains. L’Ataman petit-russien Mazepa demeurera éternellement dans les mémoires russes en tant que méprisable traître. Ce n’est pas pour rien que Pierre commanda que l’on fit, en un seul exemplaire, une médaille à l’effigie de Judas, dont il voulait «décorer» Mazepa. La mort priva toutefois ce dernier de cette décoration. Sur la médaille était représenté, pendu, celui qui trahit notre Seigneur, avec l’inscription: «Et Judas, le maudit fils de perdition se pendit à cause de son avarice». On dirait que le moment est venu d’attribuer à nouveau cette médaille.
Les victoires de Pierre le Grand à Lesnaya, à Poltava et à Gangö Oud eurent une signification décisive pour notre pays. C’est précisément grâce à elles que l’empire Russe conquit un statut officiel et commença à jouer un rôle majeur dans la politique mondiale.
La deuxième invasion occidentale fut organisée par Napoléon. Ce fut une des pages les plus dangereuses de l’histoire de la Russie; l’existence même de celle-ci fut mise en jeu.
Quels objectifs Napoléon poursuivait-il?
L’invasion napoléonienne ne se résumait pas à une simple tentative de conquérir un territoire étranger ou un peuple étranger. Ce fut une tentative d’annihiler la civilisation orthodoxe, irréductible ennemi de l’empire maçonnique de Bonaparte qui prétendait régir le monde. Napoléon souhaitait être couronné à Moscou en qualité d’«empereur universel» et de «tsar russe», et démembrer les territoires russes. Il envisageait la création d’une «Cosaquie» indépendante, d’une Lituanie, d’une Petite-Russie, etc. D’ailleurs, Bonaparte était attendu en Russie par ses alliés, emmenés par Speranski, que l’Empereur Alexandre Ier parvint à neutraliser à la veille même de la guerre. C’est précisément la liquidation de la «cinquième colonne» qui explique pour beaucoup l’abandon de Moscou aux mains de la population, abandon organisé par F.V. Rostopchine, Gouverneur de l’ancienne capitale.
De façon générale, la guerre patriotique de 1812 fut un véritable miracle; ce sont bien des troupes immenses venues de toute l’Europe, emmenées par les meilleurs officiers supérieurs et n’ayant subit formellement aucune défaite, qui fondit littéralement sur l’espace russe. Des six cents mille soldats de Napoléon, moins de trente trois mille franchirent la frontière sur le chemin du retour.Alexandre 1er
Ce n’est pas en vain que l’on appelait Alexandre Ier le Tsar Béni. Il comprit très bien la nature de ce miracle. Dans son manifeste de victoire, le tsar déclara:«Le Seigneur a marché devant nous! Il a remporté la victoire!». Alexandre comprenait bien la nature antichrétienne et hostile à Dieu du régime de Bonaparte. C’est d’ailleurs pour cela que le souverain tenait absolument à poursuivre la guerre et à libérer l’Europe.
La Première Guerre mondiale, on l’appelait aussi deuxième guerre patriotique, doit être considérée comme la troisième guerre globale de l’Occident contre la Russie, de 1914 au 2/15 mars 1917. Elle visait à renverser la monarchie en Russie. Bien qu’extérieurement, cette guerre ne sembla pas avoir un caractère aussi flagrant de guerre de conquête que la guerre napoléonienne, ou celle de l’Allemagne nazie, ce fut vraiment son essence.
La guerre de l’Allemagne contre la Russie, au début du XXe siècle, état-elle vraiment inévitable?
Ce fut Guillaume II, alors qu’il était encore prince héritier, en 1888, qui évoqua le premier la possibilité d’une guerre avec la Russie, dans une lettre à Bismarck, qui y apposa une note de marge: La mise en œuvre de pareils plans «serait malheureuse». Cela n’arrêta pas Guillaume. Il intitula la thèse qu’il défendit à l’Académie berlinoise de l’État-major général «Variantes d’une attaque frontale vers les profondeurs de la Russie». Le futur Kaiser y démontrait que pour éviter de répéter les erreurs de Napoléon, qui se satisfit de l’entrée dans Moscou, il convenait d’occuper toute la partie européenne de la Russie, jusqu’à l’Oural, le Caucase et les régions Baltes. Un demi-siècle plus tard un plan semblable fut élaboré au Quartier général d’Hitler, sous le nom de code «Barbarossa».
L’antagonisme entre la Russie et l’Allemagne du Kaiser au début du XXe siècle ne fut pas induit seulement par des oppositions d’ordre géopolitique. Le fondement spirituel et idéologique du Deuxième Reich ne fut pas moins important. Le Kaiser naquit, grandit en forma sa personnalité dans une société imprégnée de la conviction que l’Europe et même le monde entier devaient entrer sous administration allemande. A la fin du XIXe siècle, dans les cercles radicaux-nationalistes allemands se structura l’image de la Mitteleuropa, une Europe Centrale, c’est-à-dire, une Europe unie autour de l’Allemagne qui se trouverait à sa tête. Les frontières de cette composition devaient également inclure la majeure partie de la Russie occidentale, considérée par Guillaume II, et ensuite par Hitler, comme Lebensraum im Osten, espace vital à l’Est.
En ce qui concerne la Russie, les impérialistes allemands élaborèrent le plan suivant : constitution sur le territoire de la Russie d’une confédération d’États sous direction allemande. Ils avaient en particulier planifié la création d’une Ukraine «indépendante», qui serait soutenue par des liens avec l’Allemagne et aurait avec celle-ci une frontière commune.
La Russie devait également être dépouillée de ses provinces baltes, de la Pologne, du bassin houiller du Donetsk, d’Odessa, de la Crimée, des rivages de l’Azov et du Caucase. Nous retrouvons tous les plans de Charles de Suède et de Napoléon, dans un habillage allemand.
Et lorsqu’on évoque l’empire de Guillaume II, il ne faut pas perdre de vue qu’il se trouva sous la puissante influence des maisons bancaires allemandes, intimement liées par les liens du sang avec les principales maisons bancaires des États-Unis.
Une opinion répandue prétend que la Première Guerre Mondiale fut exclusivement une guerre entre les États européens, et que la Russie n’aurait pas de s’y immiscer.
Tsar_nikolaiUn des mythes les plus répandus est l’affirmation selon laquelle l’Empereur Nicolas II aurait «entraîné» la Russie dans la Première  Guerre Mondiale «inutile» pour elle. Il me semble que la bêtise d’une telle affirmation ressort tout d’abord du fait que ce n’est pas la Russie qui a déclaré la guerre à l’Allemagne et à l’Autriche-Hongrie, mais au contraire, l’Allemagne, le 19 juillet/01 août 1914 et l’Autriche Hongrie, le 24 juillet/06 août 1914, qui ont déclaré la guerre à la Russie. Malgré cela, l’accusation envers le Souverain, d’avoir «commencé la guerre» s’est solidement ancrée dans la conscience de la société soviétique et postsoviétique.
De même, déclarer Nicolas II coupable d’avoir commencé la guerre avec l’Allemagne est aussi stupide que rendre Alexandre Ier coupable de la guerre avec Napoléon et Staline de celle avec Hitler. Le mythe vivant de la «guerre impérialiste» fut créé par les bolcheviques pour justifier leurs activités traîtresses pendant les années de la guerre et légitimer leur prise de pouvoir illégale.
La quatrième invasion fut celle des nazis, moins d’un quart de siècle après la précédente tentative d’asservir notre pays?
La quatrième invasion occidentale, la plus sanglante, la plus effroyable, pénétra notre pays le 22 juin 1941, le jour de la fête de Tous les Saints de la Terre de Russie, et prit fin quasiment en même temps que la fête de Saint Georges le Victorieux qui cette année-là coïncidait avec la lumineuse Résurrection du Christ, le 9 mai 1945.
La Grande Guerre Patriotique toucha à des degrés divers chaque famille vivant en Union Soviétique, causant d’incurables blessures dans l’âme de plusieurs générations. Aujourd’hui il n’est pas un seul russe qui ne considère la Victoire dans la Grande Guerre Patriotique comme un événement sacré tant pour toute la société que pour lui personnellement. L’action du «Régiment Immortel», qui se déroula dans tout le pays le 9 mai 2015 est un gigantesque mouvement populaire parti de la base et il prouve, une fois de plus, que la Victoire de 1945 appartient à tout notre Grand Peuple: les Grands-Russes, les Ukrainiens, les Biélorusses, les Tatares, les Géorgiens, les Arméniens, les Tchétchènes, les Azerbaïdjanais, les Juifs,… Les nazis apportèrent la dislocation de la Russie, l’esclavage et le génocide de son peuple. Et aujourd’hui, nous avons droit à la vérité concernant la Grande Guerre Patriotique, concernant la raison pour laquelle elle fut pour nous dès le départ aussi terrible et pénible, ainsi que la raison pour laquelle nous l’avons conclue de façon aussi victorieuse. Nous devons être en mesure de comprendre comment, à partir d’une Armée Rouge quasi fracassée, anéantie, put naître la grande Armée Victorieuse qui écrasa l’«invincible» Wehrmacht, libéra l’Europe et prit Berlin.
Il existe pourtant beaucoup de travaux et d’études consacrés à cette guerre?
Leur nombre est important, mais une approche non-historique, anti-scientifique de la Grande Guerre Patriotique continue à prévaloir chez nous, l’arrachant à l’histoire russe globale et la présentant comme une chose tout à fait particulière, qui ne serait pas reliée aux autres pages glorieuses de l’histoire russe.
La Grande Guerre Patriotique est sacrée, car à son époque se ranima l’idée sacrée selon laquelle la Russie vivrait éternellement. Nonobstant les dogmes soviétiques, ce ne fut pas le Parti Communiste ni le système socialiste et son «progrès» qui gagnèrent la guerre. La guerre fut remportée par le Grand Esprit Russe de la Victoire, celui même qui expulsa les envahisseurs polonais du Kremlin, qui à Poltava, força «l’invincible» Charles de Suède à s’encourir à toutes jambes et qui en 1812 dispersa dans les cendres la grande armée de «l’invincible» Napoléon.
Reconnaître la Victoire de 1945 comme la Divine Miséricorde manifestée envers l’exploit sacrificiel du peuple russe ne signifie pas du tout dissimuler les terribles erreurs et crimes perpétrés par les autorités staliniennes vis-à-vis de notre peuple. Il ne convient pas d’embellir sans relâche la réalité et parler de l’exploit, tout en oubliant  à quel prix celui-ci fut accompli. La Grande Guerre Patriotique a prouvé que vit au sein du peuple le commandement du Sauveur:«Il n’y a pas de plus grand amour que d’offrir sa vie pour ceux qu’on aime». (J. 15;13) C’est exactement cela qui nous a permis de vaincre. (A suivre)

Traduit du russe

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