Le Site Pravoslavie.ru a mis en ligne le 28 octobre 2016 la version russe du texte ci-dessous, consacré à la vie et l’exploit ascétique de Gerondissa Theophano, appelée dans le monde Viktoria Moraitis, la maman de Geronda Ephrem de Philotheou et d’Arizona. Le texte russe a été composé par Mesdames Olga Zatouchevskaia et Olga Rojniova. La majorité des photos proposées sont reprises du site Pravoslavie.ru.
Le Monastère du Saint Archange Michaïl sur l’île grecque de Tassos,  est un metochion du Monastère de Philotheou, sur le Mont Athos. Gerondissa Theophano, la maman de Geronda Ephrem de Philotheou et d’Arizona, y a passé les dernières années de sa vie ; c’est là qu’elle s’est endormie dans le Seigneur, le 27 février 1986. Gerondissa Ephremia, higoumène du monastère, a accordé sa bénédiction pour que nous récoltions auprès d’elle et des sœurs du monastère quelques récits et souvenirs relatifs à Gerondissa Theophano.
Au Monastère de l’Archange Michaïl, comme de manière générale dans toute la famille spirituelle de Geronda Ephrem, tout le monde appelle Gerondissa Theophano «Grand-mère». Geronda Joseph l’Hésychaste, père spirituel de Geronda Ephrem, c’est «Grand-père», et Gerondissa Theophano, «Grand-mère». Nous allons constater comment une femme «normale», qui a vécu dans le monde la plus grande partie de sa vie, élevant trois enfants, dont un devint higoumène à la Sainte Montagne et Geronda très vénéré, est parvenue à s’élever à de telles hauteurs spirituelles.
Nous espérons que l’exemple de cette Chrétienne Orthodoxe, qui combina les vertus de la maternité et du monachisme, pourra inspirer les lecteurs, laïcs et moines, à la recherche de Dieu et les inspirera dans leur combat ascétique et leurs prières. Nous espérons également que les lecteurs de l’article aimeront Mère Theophano, et, convaincus de son audace devant Dieu qu’elle a tant aimé et servi de tout son cœur jusqu’à son dernier souffle, ils se tourneront vers elle et demanderont l’aide de sa prière, de son intercession et de ses enseignements.

Une Femme de Prière
Gerondissa Theophano (dans le monde, Viktoria Moraitis) aimait les gens d’un amour maternel. De caractère strict, elle était toutefois remplie d’amour. Elle était sévère, tout d’abord avec elle-même, et seulement après, avec autrui, avec ceux dont le Seigneur lui avait confié les âmes pour qu’elle en prenne soin, ses enfants, et puis les jeunes novices. Gerondissa était une femme de prière, habitée par la miséricorde et la grâce, au-delà de sa sévérité.
Elle fut toujours mue par la foi, se rendait régulièrement à l’église. Toutefois, dans sa prime jeunesse, elle ne pratiquait aucune ascèse spirituelle particulière, et il n’y avait pas de geronda qui eût pu la diriger dans sa vie spirituelle. Elle aimait voyager, visiter des lieux inconnus, mais après que sa maison eût à subir un incendie, après un miracle, associé à cet incendie, elle se tourna de tout son cœur vers le Christ. Très rapidement après, le Seigneur lui envoya un père spirituel.

«Nous tous ensemble ne valons pas une seule Viktoria!»
Comme nous l’apprenons dans le livre «Mon Geronda Joseph l’Hésychaste et Troglodyte» (Ο Γέροντας Μου Ιωσήφ Ο Ησυχαστής Και Σπηλαιώτης, traduit en anglais : My Elder Joseph the Hesychast, adapté en russe : Моя жизнь со старцем Иосифом , mais non traduit en français), le Père Ephrem Karaiannis, disciple de Geronda Joseph l’Hésychaste, avait quitté la Sainte Montagne, et était venu s’installer à Volos, où il était devenu le père spirituel de la famille Moraitis, ainsi que de la communauté que formaient Viktoria et ses amies. Certaines de celles-ci choisirent la vie de famille et d’autres la vie monastique. Viktoria se distinguait dans la communauté par son humilité, son Amour pour Dieu et son extraordinaire don pour la prière et les vigiles, ainsi que sa charité, à un point tel que le Père Ephrem, leur père spirituel, disait : «Nous tous ensemble ne valons pas une seule Viktoria!»

Sa lutte ascétique dans le monde.

Dimitrios Moraitis, le mari de Viktoria, était croyant lui aussi. Il fréquentait l’église, mais n’était pas mu par l’ardeur envers Dieu qui habitait son épouse. Quoi qu’il en soit, jamais il ne fit obstacle à la vie et aux combats spirituels de son épouse. Viktoria observait le jeûne en tous temps, pas seulement durant les carêmes de l’Eglise. Pour se préparer à recevoir les Saints Dons, elle observait la pieuse coutume grecque du ‘triimeron’, trois jours de jeûne complet, tout en remplissant les tâches domestiques et celles relevant de l’éducation des enfants. Après les trois jours de jeûne, elle recevait la Sainte Communion et mangeait ensuite ce jour-là. Et le lendemain, elle recommençait un jeûne de trois jours pour se préparer à la Communion suivante. Souvent, la nuit, elle s’éveillait et se levait et s’enfermait dans la cuisine pour prier. Elle priait à genoux, avec larmes, et de nombreuses métanies. Son fils, le futur Geronda Ephrem, lui disait : «Maman, quand tu auras fini tes prières, éveille-moi et nous prierons un peu ensemble». Ainsi, grâce à sa maman, dès son enfance, il aima la prière nocturne. Quand il était tout jeune, prier longtemps était dur pour lui, mais tout de même il faisait l’effort de se lever et de prier autant qu’il pouvait. Comme nous l’avons dit, l’époux de Gerondissa Theophano lui permettait tout ce qui avait trait aux jeûnes et à la vie spirituelle, mais il ne tenta pas d’imiter son combat spirituel. Il était ce que l’on pourrait appeler un ‘Chrétien modéré’. Il avait monté son propre petit atelier de menuiserie où il travaillait avec ses fils, auxquels il enseigna, dès leur tout jeune âge, la pratique de cet artisanat, rêvant de leur léguer un jour son atelier. Finalement ce fut Nicolas, le frère aîné de Geronda Ephrem qui en hérita, et qui y œuvre encore, avec ses fils et petits-fils.

Les Années de Guerre.

Famille Moraitis

Dimitrios et Viktoria avaient quatre enfants. Leur fille Elena naquit la première en 1924. Viktoria était orpheline et avant son mariage, elle faisait les ménages dans le voisinage afin de subsister. Dès onze ans, elle alla « chez les gens » pour y travailler. Une des femmes pour lesquelles elle besognait fut particulièrement bonne avec elle ; elle prit soin d’elle et l’aida même à se marier. Ainsi, quand Viktoria donna naissance à sa fille, elle lui donna le prénom de cette bienfaitrice. Mais Elenitsa, comme on l’appelait, mourut en bas âge. Trois fils naquirent ensuite : Nikolaos, en 1926, Ioannis, le futur Geronda Ephrem, en 1928, et finalement Christos, en 1930. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, la Grèce subit l’occupation. La famine s’abattit sur Vólos et d’autres villes. Il fallut récolter et manger des herbes sauvages pour survivre. Le danger venant de l’occupant menaçait sans cesse les paisibles habitants, mais les prières de Viktoria sauvèrent sa famille et ses enfants au cours de ces pénibles années. A plus d’une reprise, ce fut littéralement par miracle que le futur geronda et ses frères échappèrent à la mort.
En ces années-là, Ioannis et ses frères, pour aider leurs parents à nourrir la famille, marchandaient diverses broutilles sur le bazar de la ville, biscuits, quinine, boutons, allumettes… Un jour, alors que Ioannis et Nikolaos avaient terminé leurs affaires, les Allemands encerclèrent le bazar et saisirent tous ceux qui s’y trouvaient, criant que tous allaient être fusillés sur le champ. Nicolas en réchappa car il avait dû s’éloigner quelques instants auparavant, mais Ioannis comptait parmi ceux que les Allemands allaient fusiller. Au dernier moment, les habitants parvinrent à convaincre les Allemands de relâcher au moins les femmes et les enfants. Ioannis avait environ quinze ans, mais il était petit et à cause de la malnutrition et de sa santé précaire, il avait l’air plus jeune que ce qu’il était réellement. A cette époque, en Grèce, les petits garçons portaient des culottes courtes, été comme hiver. Geronda faisait une tête de moins que les garçons de son âge, et à quinze ans, il portait toujours ses culottes courtes ; c’était le temps où l’on portait ses vêtements jusqu’à ce qu’ils tombent en loques. Et cela le sauva ; sa petite taille, ses vêtements d’enfant et sa maigreur le firent passer pour un tout jeune et on le relâcha au dernier moment avec les femmes et les jeunes enfants. Après quoi les Allemands fusillèrent tous les hommes et les adolescents. Un autre jour, les Allemands se saisirent de Nikolaos, le frère aîné, le battirent et le laissèrent à demi-mort, sans raison.
Souvent, en ce temps-là, on voyait des pendus. On vivait dans la peur permanente et la terreur. Pendant les bombardements, Viktoria tombait à genoux devant les icônes ; ses prièrent protégèrent sa famille de la mort. Quand les bombardements commençaient, les voisins courraient se protéger dans les abris ou dans les caves. Viktoria tombait en prière devant les icônes. Seules sa foi et ses prières protégeaient la famille. Car telle était la puissance de sa foi.

Le Seigneur prévient.

Ioannis Moraitis (Geronda Ephrem)

Très tôt, Viktoria sut qu’un de ses enfants deviendrait moine. Le Seigneur l’en avait prévenue à deux reprises. Voici comment nous avons eu connaissance de ces épisodes. Lorsque j’en parlai à Gerondissa Ephremia et aux moniales du Monastère du Saint Archange Michaïl, elles ne purent se souvenir de quel genre d’annonces il s’était agit. Gerondissa Ephremia conclut qu’il n’y avait qu’une seule façon de trouver la réponse ; nous devions parler avec quelqu’un à qui Gerondissa Theophano avait personnellement raconté ces événements, quelqu’un qui l’avait connue de son vivant. Nous priâmes mentalement Gerondissa Theophano et Geronda Ephrem de nous envoyer pareil messager car nous ne voulions pas nous en tenir à des approximations qui n’auraient pas correspondu à la vérité.
Quelques jours avant notre départ de Grèce, nous nous trouvions dans un des monastères de Geronda, le Monastère de L’Ascension du Seigneur à Proti, dans le Nome de Serres. Un groupe de pèlerin arriva, de Volos, ville natale de Geronda et de Mère Theophano. Madame Elena Xenia faisait partie des pèlerins. Entendant que je venais d’Arizona, elle vint me dire qu’elle était une fille spirituelle de Geronda Ephrem depuis l’âge de douze ans ; elle en avait maintenant soixante-cinq. Et immédiatement, de sa propre initiative, elle se mit à raconter l’histoire suivante, où ses propres paroles sont reproduites après que je les aie enregistrées, mes mots risquant de n’être pas à la hauteur : «Gerondissa Theophano, que j’ai rencontrée à Portaria, raconta un jour à ma mère comment le Seigneur l’avait prévenue à deux reprises à propos de Geronda Ephrem. La première fois, elle aperçut trois couronnes volant vers le ciel. Deux d’entre elles étaient en laurier et l’autre était dorée, et elle volait en direction de la Sainte Montagne. Et elle vit son nouveau né sous l’aspect d’un moine revêtu de tous les ornements de l’higoumène. A l’époque, elle était enceinte, mais elle ne savait combien d’enfants elle finirait par mettre au monde. Un jour, au début des quarante jours qui suivirent la naissance de son troisième enfant, le futur Geronda Ephrem, elle se trouvait entre sommeil et veille quand elle entendit une voix : ‘Viktoria sors de chez toi et vois ton fils, le geronda qui arrive de la Sainte Montagne’. Toute étonnée, elle pensa : ‘Comment est-ce possible ? Je viens juste de le mettre au monde ! Quand a-t-il pu se faire moine?’ Mais elle sortit tout de même, et elle vit le geronda, revêtu des ornements d’higoumène, couvert de fleurs et d’or ».

Pas à moitié, mais complètement, tel que demandé.
Sachant que Ioannis devait devenir moine, Viktoria se montrait particulièrement exigeante à son égard. Mais elle demeurait une mère aimante malgré sa sévérité. Nikolaos, le frère de Geronda, se rappelait qu’elle exigeait toujours que les enfants exécutent ses instructions avec précision : «Pas à moitié, mais complètement, exactement comme demandé».
En 1947, Geronda Ephrem partit pour l’Athos. Son père n’était pas d’accord qu’il quitte ainsi la maison et ne donna pas sa bénédiction pour qu’il devienne moine car il avait besoin de bras à l’atelier de menuiserie où le travail abondait. La maman de Ioannis aida toutefois celui-ci à partir en secret. Elle agit cette fois contre la volonté de son mari, sachant que celle de Dieu était que leur fils se fît moine. Ioannis était âgé de dix-neuf ans et le Père Ephrem, père spirituel de la famille, lui avait béni son départ pour l’Athos. Sa maman l’aida donc à préparer en secret tout ce qui était nécessaire pour le voyage. Le père connaissait le désir ardent de son fils de partir à la Sainte Montagne, c’est pourquoi il le contrôlait de façon stricte et exigeait qu’il l’informe de l’endroit où il se trouvait, de ce qu’il y faisait, d’où il allait et quand il reviendrait. A cette époque, des cours de catéchisme étaient dispensés à a paroisse, une sorte d’école pour jeunes. Ioannis y participait avec assiduité, malgré que son père ne l’autorisât pas à suivre ces leçons données par le père Ephrem. Le jour de son départ pour l’Athos, sa maman lui conseilla d’écrire un mot à son père, expliquant qu’il était parti au catéchisme, et qu’il reviendrait plus tard. Plus tard, dans ses enseignements, Geronda Ephrem racontait que cela correspondait effectivement à la réalité : combien de leçons de catéchisme n’eut-il pas à supporter au début de son séjour sur la Sainte Montagne ? Ioannis griffonna donc un mot, empoigna son bagage et chemina vers le port, jusqu’à l’embarcadère d’où le bateau partait en direction de l’Athos. Revenant de l’atelier, son père demanda à Viktoria où se trouvait leur fils. Elle lui montra le mot, et il se calma. Toutefois, plus tard, lorsque fut passée l’heure à laquelle Ioannis rentrait d’habitude des leçons de catéchisme, le père s’en émeut et interrogea son épouse avec insistance. Finalement, elle fut obligée de lui révéler la vérité. Le père répliqua avec colère : «Cela ne se passera pas ainsi!». Il enfourcha sa bicyclette et fonça vers l’embarcadère, espérant rattraper son fils et le ramener à la maison, mais en chemin, il fit une chute et se blessa assez sérieusement. Il fut incapable de poursuivre sa route et rentra bredouille à la maison. Dans ses conversations, Geronda expliquait que manifestement la volonté de Dieu était qu’il embarque ce jour-là et qu’il navigue vers l’Athos.

La tonsure monastique.
De l’Athos, il écrivit juste une lettre à sa mère, dans laquelle il écrivait : «Ici, maman, on ne se lave pas avec de l’eau. Nous nous lavons avec nos larmes». Après cela, il ne donna plus de nouvelles durant de nombreuses années.  Comme nous le savons, Geronda Ephrem quitta le Mont Athos pour la première fois conformément à la volonté de Geronda Joseph, après la mort de celui-ci, pour se rendre à Volos et prendre en charge la direction spirituelle de la communauté de sœurs qui vivait alors dans une maison du village de Stagiates, au Sud-ouest du Pelion. Ce fut à cette occasion qu’il revit sa mère qui, comme nous le savons également, ne le reconnut pas d’emblée, tant Geronda avait changé après toutes ces années consacrées au labeur ascétique.
En 1962, avec la bénédiction de Geronda Ephrem, la communauté acheta une parcelle de terre dans le petit village voisin de Portaria, au flanc de la montagne qui surplombe Volos, afin d’y ériger un monastère là où il n’y en avait jamais eu. L’icône miraculeuse de la Panagia fut immédiatement amenée sur les lieux. Dès après le transfert de l’icône commencèrent les travaux d’aménagement des bâtiments et du terrain qui les entourait. Geronda Ephrem célébra bientôt le premier office de tonsure dans le nouveau monastère ; ce fut la tonsure de sa maman Viktoria, à qui il donna il nom de Theophano, ainsi que d’une proche amie à elle, nommée Matrona. Geronda donna à sa mère le nom de Theophano en honneur de la Reine bénie Theophano (qui s’endormit dans le Seigneur en 893/894), épouse de Léon le Sage. Geronda la vénérait particulièrement et pour l’honorer, donna son  nom à sa mère, et plus tard, également à toute une série d’higoumènes et de moniales.

La première Novice, et la meilleure.
Après sa tonsure, Gerondissa Theophano ne demeura pas à Portaria. Elle retourna quelques temps chez elle à Vólos. Son mari, le père de Geronda Ephrem était déjà décédé, mais leur fils cadet, Christos, n’était pas encore marié. Gerondissa Theophano resta chez elle jusqu’à ce que son fils fût marié. Ensuite, elle retourna au monastère, à Portaria. Rapidement après la tonsure de Gerondissa Theophano, Geronda Ephrem tonsura également Maria, à qui il donna le nom de Makrina. Elle devint officiellement l’higoumène de la communauté à Portaria. Mais comme Gerondissa Theophano ‘parraina’ sa tonsure, Gerondissa Makrina considéra toujours Theophano comme sa gerondissa et sa mère spirituelle. Très longtemps elles partagèrent une même cellule à Portaria et elles menaient en commun leur exploits ascétiques, tout comme elles l’avaient fait dans le monde, dans la cuisine de Viktoria, où elles s’enfermaient la nuit pour partager des heures de prière à genoux. C’étaient de grandes priantes. Les habitants de la région en témoignèrent ; la nuit, ils voyaient deux piliers de feu s’élever du monastère : les prières des gerondissas Theophano et Makrina. Ainsi, Gerondissa Theophano était devenue la première et la meilleure novice de son propre fils. Comme le soulignaient les moniales, elle faisait preuve d’une obéissance authentique et de prière incessante, et elle avait dès lors à lutter contre d’innombrables tentations.

Toujours la première à l’église.

Le Monastère sur l’île de Tassos

Gerondissa Theophano vécut à Portaria jusqu’en 1983. A cette époque, sa santé s’était dégradée ; le climat de Portaria ne lui convenait guère. Compte tenu de sa maladie, Geronda Ephrem décida de la transférer au Monastère de l’Archange Michaïl nouvellement inauguré sur l’île de Tassos. Voici ce que rapportent les sœurs du monastère de Tassos. Au cours de cette dernière période de sa vie, Gerondissa Theophano était toujours la première à l’église. Jamais elle ne s’asseyait pendant les offices, elle restait debout. Dans les églises grecques on trouve en plus des ‘stasidia’ le long des murs, des rangées de chaises, souvent à l’arrière, mais parfois à l’avant de l’église. Les fidèles s’asseyent périodiquement pour reposer jambes et dos, compte tenu de la longueur de certains offices. Gerondissa restait toujours debout, égrenant son komboschini ; jamais elle ne le lâchait. Comme elle priait sans interruption, elle dû supporter maintes attaques des démons qui l’entendaient et l’observaient. Elle racontait aux sœurs que dès qu’elle rentrait dans sa cellule et s’allongeait sur son lit pour se reposer avant les vigiles, les démons arrivaient pour l’empêcher de dormir. Ils lui criaient : «Hé, vieille femme ! Vieille femme!», et ils la bousculaient et tiraient sa couverture. Elle les voyait clairement. Ils la tourmentèrent tellement un soir qu’elle ne parvint pas du tout à s’endormir. Ils la quittèrent très peu de temps avant le début de l’office et Gerondissa céda au sommeil. Le son de la simandre résonna, rassemblant les sœurs pour les vigiles. Ne voyant pas arriver Gerondissa Theophano, sœur Isidora se rendit à sa cellule pour l’éveiller. Elle frappa à la porte. Mais Gerondissa Theophano s’imagina que les démons étaient de retour pour la persécuter et elle cria : «Fichez le camp, arrêtez de me battre!». Une autre fois, elle raconta que le diable l’avait battue toute la nuit pour l’empêcher de dormir.

L’Épreuve finale.
Le 20 décembre 1983, Gerondissa eut 92 ans. Elle fut victime d’un accident vasculaire cérébral et demeura paralysée. Jusqu’à ce moment elle avait prit seule soin d’elle-même et aidait à la cuisine, préparant les repas pour les sœurs et leur montrant comment faire les prosphores et les instruisant en diverses tâches ménagères. Étant elle-même une ménagère hors pair, tout ce qu’elle entreprenait était un succès. De plus, elle travaillait dur, sans jamais s’arrêter pour se reposer. Sans cesse, elle se donnait au labeur et à la prière. Lors du premier carême qui suivit son accident vasculaire, tous crurent qu’elle allait mourir. Geronda Ephrem quitta la Sainte Montagne et vint à Tassos où il demeura quarante jours, le temps du Grand Carême, auprès de sa maman. Il voyait une foule de démons autour d’elle, qui ne laissaient pas son âme en paix. Il se mit à prier avec ardeur, implorant le Seigneur de délivrer sa maman des puissances démoniaques. Par la puissance de ces prières, Gerondissa guérit de sa maladie, revint à elle et demeura lucide jusqu’à ce qu’elle s’endormît dans le Seigneur… deux ans plus tard. Dans un des entretiens, enregistrés, de Geronda Ephrem, celui-ci raconta la dormition de sa mère.
Récit de Geronda Ephrem
«Le climat de l’île de Tassos lui était plus favorable que celui de Portaria. Je l’y ai donc transférée. Elle approchait lentement de la fin de sa vie. Deux ans avant sa mort, à 92 ans, elle fut paralysée. Elle ne put dès lors plus quitter son lit. Mais gloire à Dieu, comme dit l’Evangile : «Et quiconque aura quitté, à cause de mon nom, ses frères, ou ses sœurs, ou son père, ou sa mère, ou sa femme, ou ses enfants, ou ses terres, ou ses maisons, recevra le centuple, et héritera la vie éternelle » (Mat.19,29). Ce fut ce qui arriva à ma mère ; pendant sa maladie, des sœurs bienveillantes l’entouraient, les sœurs du monastère prirent soin d’elle avec un grand zèle. Où donc trouveriez-vous pareil amour dans le monde aujourd’hui? L’amour de la sœur infirmière qui prit soin de ma mère est indicible. Elle était tellement gentille, tellement douce. Elle dormait même avec maman, sa tête contre sa tête…
Pendant sa maladie survint une chose qui arrive très rarement. Et lorsque cela arrive, c’est uniquement avec des êtres spirituels, afin de les mettre à l’épreuve et de les rendre plus expérimentés. Cela survint une nuit. Maman était comme morte, depuis plusieurs jours déjà. Elle ne mangeait plus, ne buvait plus et n’ouvrait plus les yeux. Elle ne buvait plus une seule goutte d’eau. Elle était déshydratée, gardait les yeux fermés, comme ceux qui sont en train de mourir… A ce moment, je me trouvais à ses côtés, avec les sœurs infirmières et Gerondissa. Il faisait sombre. Les lampes à huile brûlaient. La nuit précédente, elle avait ouvert un peu les yeux, à peu près à cette heure-là. Voilà qu’elle les ouvrit à nouveau et se mit à regarder autour d’elle, comme si elle s’attendait à ce que quelque chose se produise, ou se soit produit déjà. Elle sembla mal à l’aise, comme si elle écoutait ou voyait quelque chose ou quelqu’un. Après avoir été longtemps inconsciente, c’était la première fois qu’elle manifestait une certaine attention à ce qui l’entourait. Incapable de se mouvoir, elle demeurait couchée, ses yeux grands ouverts balayaient de droite à gauche et de haut en bas. Au fur et à mesure des minutes qui s’écoulaient, son visage manifesta un état de crainte extrême, d’agonie, comme un torrent de crainte. Je lus cette crainte sur son visage, comme quand un meurtrier s’approche avec un couteau, prêt à frapper. Je la couvris de signes de croix et répétais la Prière de Jésus à haute voix, pour la calmer. Je compris qu’elle était victime d’une tentation démoniaque. Après quelques temps, le danger passa, les puissances invisibles s’en allèrent. Maman se calma, tout en restant consciente. Je lui demandai alors : ‘Maman, qu’est-ce qui s’est passé ? Qui était là ?’ ‘Si nombreux, ils sont si nombreux!’. Et à partir de cet instant, maman se mit à prier : ‘Panagia sauve-moi!, Panagia, sauve-moi !’. Jour et nuit ! Ses lèvres ne s’arrêtaient jamais de bouger avec la prière. Jour et nuit elle implorait la Toute Sainte Mère de Dieu de la sauver. Il est frappant qu’aucune pensée ne la traversait. Pourtant, d’habitude, les malades succombent facilement aux pensées. Grâce à son mode de vie, travail et lutte ascétique permanents, maman avait acquis une patience exceptionnelle. Cette patience lui permit de se maintenir en prière tout ce temps. Je lui demandai : ‘Que s’est-il passé?’. Et elle répondit ‘La Panagia m’aide!’ Et la prière continuait : ‘Oh Panagia, sauve moi, Panagia Sauve moi!’. Au bout d’un certain temps, le tourment s’est estompé et elle se calma complètement. Elle ferma les yeux. La nuit suivante, exactement à la même heure, ses yeux s’ouvrirent à nouveau. La même crainte, la même agonie, apparurent sur son visage, et le scénario de la veille se répéta exactement. Tout cela était atroce. Je me demandai alors pourquoi le diable avait autorité sur cette sainte âme. Je comprenais bien entendu que cette tentation était autorisée pour lui permettre de conquérir une couronne ; à travers cette tribulation elle acquerrait de l’audace devant Dieu. A un certain moment, alors qu’elle se trouvait dans cette situation, je me dis : ‘Il ne convient pas que cela se poursuive. Il est grand temps de mettre fin à cela’. Je rentrai dans ma cellule et tombai à genoux et commençai à prier : ‘Oh, Seigneur, je T’en supplie, interviens. De deux choses l’une ; soit Tu la prends immédiatement, pour qu’elle puisse connaître la paix, car elle est digne de cette paix, ou alors chasse le démon loin de cette sainte âme. Elle a peiné pour Toi si longtemps, l’heure de son repos est arrivé’. Voilà comment j’ai prié. Et la nuit suivante, à la même heure, quand ses yeux s’ouvrirent, elle resta calme. ‘Maman, comment vas-tu?’ ‘Ils sont partis…’ L’épreuve était terminée. Commença alors la période finale bénie de sa vie. Les jours s’écoulèrent dans cet état béni. Son aspect changea progressivement, elle devenait de plus en plus belle. Bien sûr, il ne s’agissait pas d’une beauté physique, mais spirituelle. J’ai voulu la photographier. La grâce qui l’habitait était clairement visible. C’est ainsi qu’elle s’approcha peu à peu de la mort».

J’ai vu son âme monter au ciel sans rencontrer d’obstacle.
«L’année suivante, pendant les jours de fête qui suivent la Nativité, je suis retourné au monastère pour la revoir», poursuivit Geronda. «Elle parlait et comprenait se qui se passait, et elle répétait incessamment la prière. Dans les derniers instants de sa vie, son visage fut transfiguré ; elle resplendissait de bénédiction. Elle se tourna vers la droite, révélant ses yeux rayonnants et fixa quelque chose qu’elle semblait voir. A ce moment je ressentis en mon âme une Joie Pascale, une résurrection, telle que si j’avais reçu la grâce de dix nuits pascales. C’était la première fois de ma vie que je ressentais cela. Bien sûr, quand mon Geronda Joseph partit vers le Seigneur, ce fut quelque chose de spécial aussi, mais maintenant cela se produisait avec ma propre mère. Je ressentais un tel bonheur ! Je le ressentais et je le voyais… Je ne sais comment cela se produisit, mais je vis comment son âme s’élevait vers le ciel, sans rencontrer aucun obstacle. Quand le médecin arriva, il refusait de croire qu’elle fût déjà morte, tellement elle semblait vivante. Son corps était tiède et doux, comme celui d’un vivant. ‘Kyrie eleison, je ne parviens pas à y croire!’, s’écria le docteur. Il s’agissait d’incorruptibilité. Je rappelai au médecin ce que dit le Christ : la mort n’est qu’un rêve et chacun s’éveillera le jour de la Seconde Venue, au son de la trompe de l’Archange.
Après le départ du médecin, nous cousîmes autour d’elle son habit monastique, avec trois croix cousues dessus. Et entretemps, je continuais à faire l’expérience de cette Joie Pascale, à un point tel que je voulais descendre dans la rue et crier ‘Christ est ressuscité!’ Elle était si belle après sa mort. Elle avait 95 ans, mais elle semblait en avoir quinze. C’était le résultat de toute sa vie, de tous ses labours. Ce fut la récompense pour tous ses labeurs».

Ses reliques étaient «très belles»
Les sœurs me racontèrent que lorsque le corps de Gerondissa Theophano fut emmené au cimetière, des brebis et des colombes approchèrent. Les brebis s’étaient échappées de leur enclos et elles accoururent auprès de la tombe et commencèrent à bêler. Elles rebroussèrent alors chemin et s’en retournèrent dans l’enclos. Ensuite, un vol de colombes vint survoler la tombe et disparut dans les hauteurs des cieux.
On trouva ses reliques «très belles». En Grèce subsiste la tradition d’exhumer les os au bout de trois ans, et de les placer dans un ossuaire, non seulement à la Sainte Montagne, mais aussi dans d’autres monastères et même chez certains laïcs dans des cimetières normaux. La couleur et l’odeur des reliques renseignent à propos de la situation ‘post-mortem’ de l’âme du défunt. Parfois, le corps ne se dissout pas, ou les reliques émettent une odeur fétide. On considère alors que la situation de l’âme du défunt n’est guère favorable et requiert l’aide de prières. La famille demande des cycles de quarante jours de prière pour le défunt et distribue des aumônes pour le repos de l’âme de ce dernier. Certains signes particuliers indiquent par contre que l’âme du défunt a trouvé grâce aux yeux du Seigneur : les reliques ont alors un couleur ambrée et dégagent une odeur agréable. Parfois, les reliques ont acquis l’incorruptibilité.
Ainsi, lorsqu’on ouvrit la tombe de Gerondissa Theophano, ses reliques étaient ambrées et embaumaient ; son âme avait trouvé le salut. On fit fabriquer un reliquaire pour le crâne. Il est conservé au monastère de l’Archange Michaïl sur l’île de Tassos.
Par les prières de nos Saints Pères, Seigneur Jésus Christ, aie pitié de nous !

Traduit du russe.

Source.