En 2012, Geronda Ephrem, le Cathigoumène du Saint et Grand Monastère de Vatopedi a prononcé un enseignement (sans qu’il soit précisé où et à quelle occasion particulière), portant sur la repentance, selon Saint Grégoire Palamas (Η Μετάνοια κατά τον Άγιον Γρηγόριον τον Παλαμάν). Le texte a été mis en ligne le 30 novembre 2012 dans les pages anglaises du site Pemptousia.gr, lié au monastère de Vatopedi.  La version française est proposée en deux parties compte tenu de la longueur de ce texte. En voici la seconde. (La première se trouve ici).

Selon Saint Grégoire Palamas, l’affliction est l’expression la plus naturelle, la plus spontanée de l’âme blessée par le péché et venant à se repentir. Le saint recourt à une merveilleuse comparaison pour prouver que ce sont les blessures de l’homme qui provoquent la souffrance, et non le repentir en soi, qui ne procure à l’âme que joie et réconfort. Si quelqu’un s’est blessé à la langue, le miel aura un goût acide, et la blessure devra être cicatrisée pour qu’il procure à nouveau le goût de la douceur. Il en va de même de la crainte de Dieu : dans les âmes qui la connaissent, l’écoute des paroles de l’Évangile procure la tristesse car ces âmes sont couvertes des blessures des péchés, mais dès que celles-ci sont effacées, par le repentir, elles ressentent la joie de la bonne nouvelle. (Homélie 29). Voilà pourquoi la divine tristesse est qualifiée de ‘joyeuse’.

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Examinant la seconde béatitude, qui fait référence à l’affliction, Palamas justifie le fait que le Christ l’ait placée immédiatement à la suite de la pauvreté spirituelle par le fait que l’affliction coexiste avec la pauvreté spirituelle.
Caractéristique de ceux qui vivent la divine affliction est leur refus de transférer la responsabilité de leurs péchés sur autrui. Il s’agit du principe fondamental souligné par Palamas lorsqu’il parle des divins remords : nous devons nous fustiger nous-mêmes pour nos péchés, sans jamais en reporter la responsabilité sur les autres. (Homélie 29). Ce fut évidemment le report sur autrui de la responsabilité d’avoir enfreint le commandement de Dieu qui priva Adam et Eve de l’affliction pénitentielle (Gen.3,12-13). Dieu avait donné à Adam et Eve la liberté de choix, ils avaient reçu, selon Saint Grégoire Palamas, «l’impérial droit de maîtrise des passions dans le royaume de leur âme» et « rien ne leur avait été soustrait ou imposé». (Homélie 29). Dès lors, à travers le contrôle d’eux-mêmes et la divine affliction, ils auraient pu être capables de regagner ce qu’ils perdirent en refusant la responsabilité de leur péché. C’est pourquoi, s’efforçant de définir l’affliction, Saint Grégoire écrit : «Il s’agit d’une divine tristesse pour notre salut, pour trouver les causes en nous-mêmes et non en ce que d’autres n’auraient pas accompli correctement. Nous devons nous affliger et nous réconcilier avec Dieu au moyen de la confession de nos péchés et de la contrition empreinte de tristesse». (Homélie 29). Le contrôle de soi est un état qui imprègne l’âme humble. Il commence par induire la peur de l’enfer. Il suscite l’idée des terribles châtiments décrits par le Seigneur dans l’Évangile, et qui deviennent plus terribles encore lorsqu’ils prennent une dimension éternelle. Ainsi, ceux qui s’affligent immédiatement de leurs péchés et s’en attribuent le blâme, évitent l’inutile et pénible affliction infinie qu’engendre la reconnaissance des péchés au moyen du châtiment. Car alors, en l’absence de tout espoir de rédemption et de salut, la souffrance de l’affliction est multipliée par les dures réprimandes de la conscience. Et cette expérience de l’affliction permanente, dans la mesure où elle ne prend jamais fin, conduit à la profondeur d’un inexprimable découragement. (A Xénia). Saint Grégoire Palamas invoque l’exemple opposé à celui d’Adam et Eve, celui de Lamech, qui se blâma et fut contrit suite à ses péchés. (Homélie 29).

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Il convient de souligner qu’au sein de la Tradition Orthodoxe, l’ascétisme est intimement entrelacé avec le chagrin. Les moines vivent dans une joyeuse affliction la douleur de la chute et la joie de la résurrection. La pauvreté et l’humilité du corps, vécues par la soif, la faim et les affections corporelles, qui sont des moyens de placer le corps sous contrôle, non seulement engendrent l’affliction, mais ouvrent le flot des larmes. Saint Grégoire donne une explication claire de cet état spirituel dans sa lettre à la moniale Xénia. Il y expose que tout comme le bien-être corporel, la relaxation et le plaisir provoquent l’insensibilité, l’indifférence et la dureté de cœur, une alimentation sobre, maigre, absorbée avec modération procure un cœur brisé et contrit. Et ainsi, les plans du mal sont déjoués et une joie douce et indicible est conférée à l’âme. Sans la contrition du cœur, personne ne peut être libéré des passions. La contrition du cœur ne peut être atteinte qu’au moyen de restrictions en matière de sommeil, nourriture et bien-être corporel. Quand l’âme est libérée des passions et de l’amertume du péché au moyen de la contrition, elle reçoit alors les délices spirituels. (A Xénia). Voilà le bien-être dont le Seigneur dit qu’il sera la part de ceux qui sont affligés. C’est l’unique façon d’expliquer comment la transformation de la tristesse en joie, dont le Seigneur parla à ses disciples, devient l’expérience avec laquelle le moine se familiarise jour après jour. L’affliction devient joyeuse et bénie parce qu’elle transforme en réalité la promesse de joie éternelle pour l’homme.
Le contrôle de soi et le sens du péché sont les conditions qui préparent l’âme à l’affliction. Très longtemps, dit Saint Grégoire, comme un poids invisible sur la partie raisonnante de l’âme, ils l’écrasent et la pressent de telle sorte qu’en est extrait le vin du salut «qui réjouit le cœur de l’homme». Ce vin est celui de la contrition qui, grâce à l’affliction et à l’aide de la partie active de l’âme, en écrase les éléments passionnés, et, une fois le sombre poids des passions éliminé, emplit l’âme d’une joie bienheureuse. (A Xénia).
Toute douloureuse que puisse être cette affliction au cours des premières étapes, car elle existe côte à côte avec la crainte de Dieu, avec le passage du temps, alors que l’âme prospère spirituellement, elle en devient d’autant plus joyeuse car l’homme en voit les doux fruits bénis. Au plus longtemps l’affliction subsiste dans l’âme, au plus l’amour de Dieu augmente et s’unit à elle d’une façon que l’on ne peut concevoir. Dans la mesure où l’âme vivra profondément l’affliction, elle goûtera à la consolation de la bienfaisance du consolateur. C’est pour l’âme une expérience tellement sacrée, douce et mystique, que ceux qui n’y ont pas personnellement goûté ne peuvent même suspecter son existence. (A Xénia). Un élément fondamental de la théologie de l’affliction est que non seulement l’âme, mais aussi le corps y participe. Et la «consolation» dont le Seigneur dit qu’elle est bénédiction pour les affligés est un fruit que non seulement l’âme, mais aussi, comme le dit Saint Grégoire, «le corps reçoit d’une multitude de manières». (A propos des Hésychastes). La preuve de cette réalité réside en «larmes de deuil par lesquelles ils s’affligent de leurs péchés». (A propos des Hésychastes).
Un autre fruit des divins remords consiste en ce que l’homme s’affermit dans la vertu ; comme le dit l’Apôtre Paul : «En effet, la tristesse selon Dieu produit une repentance à salut dont on ne se repent jamais» (2Cor. 7,10). Car en effet, pour Palamas, l’homme peut devenir pauvre selon Dieu, et humble, mais s’il n’acquiert également les remords, ses dispositions s’altéreront facilement. Elles pourront tout à fait retourner aux actions pécheresses et inadéquates qu’il avait abandonnées et transgresser à nouveau les commandements de Dieu, dans la mesure où le désir et l’appétit pour la vie pécheresse surgira de nouveau en lui. Mais s’il demeure en cette pauvreté que le Seigneur déclare bénie, et s’il cultive en lui l’affliction spirituelle, alors il s’affermit en sécurité dans la vie spirituelle, repoussant tout danger de retour a son point de départ. (A Xénia). Cette divine affliction attire la consolation et le pardon de Dieu, garantie de joie éternelle, mais en outre, elle protège les vertus de l’âme car, selon Saint Grégoire, l’âme qui a appris à s’affliger est beaucoup moins prompte à se laisser aller au mal. (A Xénia). Dans son ouvrage sur les passions et les vertus, consacré en grande partie à l’affliction, l’hésychaste athonite et Évêque de Thessalonique fait appel à un exemple des plus expressifs pour indiquer le chemin suivi par l’homme pour atteindre les remords. Il compare le commencement de l’affliction au retour du Fils Prodigue, ce qui explique pourquoi la personne habitée par les remords est dépourvue de joie et encline à dire ‘Père, j’ai péché contre le ciel et sous tes yeux’. Mais ensuite le tableau se termine sur l’étreinte essentielle de Dieu le Père «dans laquelle, du fait de la richesse de l’incomparable pauvreté qu’il a souffert et qui lui a permis d’acquérir joie et franchise, il embrasse et est embrassé. Il entre et s’assied pour manger avec le Père, tous deux jouissant de l’éternelle béatitude». (A Xénia).
C’est pourquoi l’expression «lumineuse tristesse» qu’emploient les ascètes pour décrire l’expérience de la transcendance eschatologique de la souffrance, est peut-être le symbole le plus expressif de toute la vie ascétique, une vie faite surtout de larmes et d’affliction.
Au cours de cette présentation des positions de Saint Grégoire Palamas au sujet du repentir, présentation brève et que certains diront ‘grossière’, nous voyons que Saint Grégoire, exceptionnel représentant de la vie intérieure, s’intéressait non seulement à ce que nous corrigions nos manquements extérieurs, mais aussi à notre repentir intérieur, avec larmes et affliction. Il était lui-même homme de repentir, et il le prêchait en vérité.
En ce début de Grand Carême, prions humblement pour qu’en ce qui est, selon Saint Grégoire Palamas, le temps essentiel du repentir, nous puissions «tomber et pleurer devant notre Dieu», afin que nous puissions goûter à la bénédiction de Son Règne. Souvenons-nous de ce que la correction de nous-mêmes et de la société toute entière, commence avec et est fondée sur le repentir personnel de chacun d’entre nous. Quoi qu’il en soit, le ‘repentir permanent’ est, comme le souligne Saint Grégoire Palamas, l’esprit du monachisme athonite. Amen.

Saint Père Grégoire, prie Dieu pour nous.

 

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