Le Site russe Pravmir a publié le 31 mars 2014 le texte ci-dessous dans sa version russe. Il s’agit de la transcription d’un entretien accordé par Despotis Nikolaos à une chaîne de télévision grecque, dont la traduction est proposée ici en deux parties dont voici la première.

A notre époque, l’homme se trouve en recherche permanente, parmi de nombreuses options religieuses, dont celles d’Orient. Dites-nous ce qui peut inciter l’homme à choisir l’Orthodoxie.

Je ne sais trop, étant moi-même né Orthodoxe ; j’essaie de protéger et d’aimer ce que j’ai. Je dispose évidemment d’une certaine expérience de communication avec des représentants d’autres cultures, d’autres confessions, qui ont décidé d’adopter la foi Orthodoxe, de même qu’avec des athées qui sont entrés dans l’Orthodoxie.

Personnellement je considère le choix de l’Orthodoxie comme l’observance d’une sorte de «commandements de nos pères» ; nous naissons Orthodoxes et nous le demeurons…

Je trouve plutôt qu’il s’agit d’une recherche. Vous savez, les «commandements de nos pères» peuvent, à un certain moment, ne plus «fonctionner», et à partir de ce moment nous ne vivons plus dans la vérité. Sur la carte d’identité de beaucoup de monde, il est mentionné «Religion : Chrétien Orthodoxe». Mais malgré cela nous vivons au milieu de non-croyants, de gens qui n’ont pas de lien avec Dieu. Cette époque est surprenante ; je l’appelle les temps effroyables, car ce qui se produit aujourd’hui, au siècle du progrès technologique, c’est une autodestruction, la chute loin de l’homme loin de Dieu, à cause de son impudence. Par contre, ce dont nous venons de parler est tout autre chose. Le choix de la Foi Orthodoxe est le résultat d’une aspiration, de recherches et d’investigations spirituelles.

Mais comment ne pas nier Dieu quand tout autour se déploie une guerre dans laquelle meurent des milliers de gens? On voudrait dire : «Dieu, Qui es-Tu, pour permettre tout ce qui se passe?». Par exemple en Irak…

Il est le Dieu qui fut crucifié pour le monde entier. Dieu le Père permit que se produisît la crucifixion de Son Fils. Peut-il exister quelque chose de plus horrible? La guerre en Irak, ce n’est rien à côté de la crucifixion du Dieu-Homme. Et c’est en ce Dieu que nous croyons. Je crois en Dieu crucifié, mais aussi ressuscité. Ce n’est pas rien. Et je ne suis pas le seul à croire de cette façon. Vous aussi, et tout le peuple. Voilà le résultat de nos recherches.

Comment expliquez-vous que de nos jours les gens soient confrontés à un pareil nombre d’idéologies, de religions, de confessions différentes ?

Les relations entre religions ont toujours été complexes. Il y eut en tout temps des idéologies et des religions variées. Chaque religion a son histoire, son origine. Mais il me semble que ma tâche essentielle consiste en mon témoignage à propos de ce que nous voyons ici et maintenant. Parmi ceux à qui nous annonçons la Vérité de l’Évangile, nombreux sont ceux qui vivront cette Vérité beaucoup mieux que moi. Lorsque vient à moi un Chrétien hétérodoxe, un croyant d’une religion non-chrétienne, ou encore un athée, afin de partager ses problèmes, j’ai le devoir de l’écouter avec humilité. Et nous devons respecter le passé de ces gens, même s’ils ont été athées, car c’est précisément leur passé qui a fini par les pousser vers nous. Et nous devons confesser devant eux notre précieuse foi. Et pour ce qui doit en advenir, cela dépend de Dieu.

Souvent on a l’impression que l’Église défend ses positions très catégoriquement, sur base de principes…

Par exemple ?

Elle repousse par exemple tout ce qui selon elle, n’est pas chrétien, ou orthodoxe.

Je ne comprends pas très bien votre question, mais je vais essayer de donner un exemple simple. Si j’étais né en Orient, vous seriez maintenant assise devant moi revêtue de la burqa. Si j’étais né en Occident,…

… Vous auriez été cardinal et officieriez à la Cathédrale Saint Pierre à Rome.

Par conséquent, l’homme n’est pas responsable des circonstances dans lesquelles il a grandi. Si nous vivions au Proche Orient, vous devriez porter la burqa, et comme vous l’avez dit, je serais un cardinal occidental (dans le meilleur des cas…) ou un mollah oriental.

Et donc… ?

Et donc, je pense que nos cadres historiques…

Mais comment peut-on affirmer que le salut de l’homme est accessible par le seul baptême, si l’une porte la burqa et l’autre est cardinal ?

Vous êtes convaincue que nous serons sauvés et les autres non ?

Mais c’est vous qui affirmez cela !

J’ai répondu par une question à votre question. Dieu sait ce qu’Il fait. Mais nous possédons l’inestimable trésor de la Foi Orthodoxe…

Pardonnez-moi d’insister, mais alors, on peut penser que quel que soit le Dieu en Qui on croit, cela ne fait aucune différence. Si l’homme est bon, il sera sauvé…

Je n’ai pas dit cela, absolument pas ; vous déformez mes propos. J’ai dit : «Vous pensez donc que nous seulement serons sauvés, nous deux ? Ou nous cinq, ou nous dix… ? »

Seuls les Orthodoxes seront sauvés…

Je ne sais ce qu’il adviendra après, mais je sais que l’Église, l’Orthodoxie, sa Tradition, un événement concret (la Résurrection du Christ), l’ineffable bénédiction de tous nos saints, la théologie (que malheureusement nous ignorons), tout cela nous transfigure. Dieu vient vers nous, et cela renverse toute logique. Je vous l’ai dit : toutes ces choses «rétrogrades» forment en même temps notre formidable possibilité de nous défaire de notre vieil habit qui, tel une lourde chaîne, nous tire vers le bas, vers la terre, et de revêtir l’ornement festif de la Résurrection. Celui qui a accompli cela ne peut se retenir de partager son expérience avec autrui. C’est pourquoi ce dont je vous parle aujourd’hui a un lien direct avec la Résurrection et est désigné par une très belle expression : la Lumière sans déclin. «Venez et prenez la Lumière de la Lumière sans déclin!». Cela signifie qu’il n’y a plus de déclin, plus de crépuscule, tout est rempli d’une claire lumière. Vous aussi êtes remplie de cette Lumière.
Et il s’agit également d’une régénération de la vie. Voilà en quoi consiste la richesse de l’Église. Notre tragédie est de ne pas vivre de tout ce dont jouit l’Église. L’homme faible pourrait en effet, et de façon extraordinaire, puiser un bénéfice unique de cette piscine de bénédictions.

Souvent, pendant la retransmission de nos émissions, des jeunes nous appellent. L’un d’entre eux me demanda : «Si Dieu vient à juger chacun selon ses œuvres, à quoi bon toutes les missions orthodoxes et toutes les démarches semblables?».

C’est vous qui avez affirmé que chacun serait jugé selon ses œuvres. Voici ce que j’en pense. Je ne sais comment et dans quelle mesure chaque homme particulier sera sauvé. C’est un Mystère qui repose dans les mains de Dieu. Mais clairement, nous ne serons pas les seuls à être sauvés, nous à qui Dieu offrit au cours de notre vie un don tel que la Foi Orthodoxe. Dieu a les moyens de sauver les autres hommes aussi. Quels sont-ils, je ne le sais, et j’ignore également ce qu’il adviendra de chacun et chacune en particulier.
Pour ce qui concerne le prosélytisme et les missions, ce sont des choses toutes différentes. Le prosélytisme est une tentative d’amener d’autres gens à la foi du prosélyte, à les faire entrer dans sa communauté, à leur faire admettre ses convictions. La mission, c’est mon témoignage au sujet de ma foi. Et si suite à cela un autre souhaite adopter ce qui illumine toute ma vie, il le fait. C’est très différent. Le prosélytisme provoque l’intolérance religieuse, le fanatisme, les passions (comme le crypto-égoïsme), c’est une chose mauvaise…

Et qui ne correspond pas à l’Orthodoxie…

Cela ne lui correspond effectivement pas. Mais en même temps, quelle bonne chose que les missions. Je possède une chose qui me nourrit, qui m’enrichit ; je viens vers vous et je vois que vous avez faim, que vous êtes pâle, que vous souffrez… Et je vous dis : «Vous en voulez? Prenez! Je partage la nourriture qui garnit ma table, car je ne supporte pas de voir que vous souffrez de faim et de maladie». Quelle bonne chose que voici!

Régulièrement, on entend l’Église dire sa préoccupation par la limitation du nombre d’heures consacrées dans les écoles à la matière «Fondements de l’Orthodoxie» (une seule leçon par semaine), et aussi par la manière dont l’histoire est enseignée (et effectivement, le nouveau manuel d’histoire ne me convainc guère), et surtout par la manière d’enseigner les dogmes.

Quand j’étais élève dans les classes terminales, cela ne m’inspirait guère. Mais pourtant, parmi ceux qui enseignaient les dogmes, on comptait maints théologiens, des gens dignes et bons. Mais on constate un petit problème. Quand on doit limiter à une seule leçon l’examen de la liberté de la foi, cela génère des difficultés. Vous avez mentionné le fait que les prêtres donnent souvent des conseils. Imaginez un confesseur donnant des conseils. Nous lui posons des questions et il y répond dans le détail, de façon complète. Maintenant, imaginez le prêtre à qui nous racontons nos misères, qui en pleure et souffre avec nous. Peut-être qu’en nous confessant, nous avons justifié nos péchés, ou nous avons partagé nos problèmes, mais l’homme n’a rien répondu. De manière générale, donner des conseils et partager les souffrances du prochain, ce sont des choses différentes. Il est nécessaire d’enseigner ce genre de catégorisation à la jeunesse, mais il est également nécessaire de combiner la transmission de connaissances et la transmission de l’expérience.

Et que manque-t-il à ces leçons?

La transmission de l’expérience. L’expérience fait défaut.

Il revient donc aux familles de palier ce déficit ?

La famille, sans doute, mais aussi les médias, la société elle-même. Chacun fait ce qu’il peut. Je m’efforce de faire ce que je puis. Quant à vous, vous aviez la possibilité de m’inviter, ou non, à votre émission. Vous n’étiez pas obligée de le faire.

On entend régulièrement les représentants officiels de l’Église déplorer la déchristianisation du peuple. Nous perdons notre foi, à l’image des autres pays d’Europe?

Je n’en suis pas convaincu. D’une certaine manière, nous perdons notre identité chrétienne, parce qu’aujourd’hui, elle n’est pas claire. D’une manière générale, notre société s’éloigne toujours plus de Dieu, pourrions-nous dire. De nos jours, l’homme compte plus sur ses propres facultés que sur l’aide de Dieu. Nous ne croyons plus en celle-ci.

Sans doute l’Église y contribue-t-elle…

Très vraisemblablement ; il s’agit effectivement d’une zone de responsabilité de l’Église.

De l’Église et de la société.

Je ne puis parler qu’en ce qui me concerne, et j’aimerais tellement que l’Église puisse intervenir. Mais nous vivons en des temps très difficiles. Aujourd’hui, tout le monde est convaincu de ce que l’homme peut tout. En physique existe la théorie du tout, selon laquelle nous tous serions simplement le résultat d’une distribution de particules de rien. Est-ce possible? Selon les adeptes de cette théorie, l’homme n’est essentiellement rien. Une répartition du vide. Nous ne serions rien. Le corps humain serait apparu d’une façon ou d’une autre de ce rien. Pareilles idées, formulées en des mots très doctes et convaincants, paraissent à notre époque comme de grandioses réalisations de l’humanité. Mais de Dieu, Qui est tout, il n’en est plus question. Dans la théorie du tout, nous n’avons pas trouvé Dieu. Voilà comment on convainc aujourd’hui. Mais que signifient encourager et favoriser ? Lorsque quelqu’un souffre et que des questions surgissent en lui à cause de cette souffrance, la meilleure réponse, ce ne sera pas les arguments, mais les larmes de la compassion, la retenue dans les mots, le soutien humain. Ceux qui en sont capables et qui en plus ont la foi trouveront toujours la bonne attitude. Voilà ce que signifient encourager et favoriser. Cela veut dire donner l’inspiration, donner vie à la parole.

Mais les actes doivent venir confirmer les mots.

Je parlerais plutôt de l’expérience personnelle. Mais je pense aussi que s’il ne se trouve personne juste à nos côtés pour nous inspirer à la recherche de Dieu, nous disposons d’une série d’autres voies.

Et quelles sont ces voies ?

Par exemple l’humilité. Si je dis : «Que Dieu apparaisse devant moi et alors je croirai en Lui», il s’agira des paroles d’un égoïste. Mais si je dis : «Je ne parviens pas à me faire à ce monde, je n’arrive pas à comprendre cet univers immense. Je suis juste planté ici et j’attends, pétri par la crainte de Dieu. Je ne suis pas le centre de l’univers, je ne suis rien», cette prise de conscience m’ouvre largement une porte et me donne la force de ne pas tomber. Le problème de notre époque ne réside pas dans les caractéristiques des dogmes, ni dans quoi que ce soit, sinon dans l’absence d’humilité. La Foi Orthodoxe possède ce trésor qu’est l’expérience de l’humilité. C’est pourquoi je suis heureux d’être Orthodoxe.

La Résurrection, c’est un acte d’humilité?

La Résurrection fur précédée de la Croix, cette kénose immense. Dieu sur une croix…

Et quel est le sens du passage de l’Évangile à propos des Pèlerins d’Emmaüs ?

Ce passage de l’Évangile est bouleversant. La clef se trouve dans ces mots : «Notre cœur ne brûlait-il pas au dedans de nous ?» (Lc 24,32). Ils font allusion à ce feu que le Christ alluma par Ses paroles dans le cœur des disciples alors qu’ils cheminaient accablés par le doute et la tristesse.

Mais malgré cela, ils ne Le reconnurent pas.

Effet de l’incompréhension, du doute et de la tristesse. Plus tard, Il arriva auprès des apôtres et d’autres disciples, et eux-mêmes ne Le reconnurent pas d’emblée (Lc 24,37) bien qu’Il S’ouvrît à eux, leur donnant la vision spirituelle. Voilà encore un don miséricordieux de Dieu, la vision spirituelle. Elle nous permet de voir ce qui est imperceptible à première vue. Il y a une telle beauté dans le Mystère de Dieu. Et nous ne recourons pas au terme «mystère» afin d’occulter ce qui est incompréhensible dans notre foi, mais pour indiquer qu’habituellement, l’esprit de l’homme est incapable d’approcher la Vérité de Dieu. Alors, nous y aspirons et nous demandons à Dieu de nous donner la vision spirituelle et ainsi nous pouvons nous délecter de ce qui dépasse notre compréhension dans la réalité. Les découvertes scientifiques elles-mêmes nous parlent de cette beauté. Comme nous l’a annoncé la science au cours de ces dernières années, il existe dans le monde, beaucoup plus de choses cachées aux yeux de l’homme qu’accessibles à ceux-ci. Il en va de même avec la réalité divine, dans une mesure plus grande encore. A peine découvrons-nous Dieu qu’Il entre secrètement dans notre cœur, Se cachant à nos yeux. Et la Résurrection est la preuve de ce que le Christ est Dieu. Voilà la plus grande vérité dont nous, les Chrétiens, nous pouvons témoigner devant qui que ce fût.
Traduit du russe
Source.