Entretien réalisé par le correspondant du site Agionoros.ru, au Monastère de la Présentation au Temple, à Moscou, à l’occasion de la publication du livre en russe du Métropolite Athanasios de Limassol «Le Cœur ouvert de l’Église», dont la traduction de plusieurs longs extraits est proposée ici. L’article original en russe est sous-titré: L’Église donne réponse aux questions les plus importantes de la vie de l’homme. Voici la première partie de l’entretien.
Despotis, parlez-nous de vos rencontres avec les gerondas de l’Athos.
Au XXe siècle, la miséricorde divine a envoyé en Grèce et à Chypre une pléiade de grands et saints gerondas. La plupart d’entre eux vécurent sur l’Athos, mais il y en eut toutefois beaucoup qui menèrent leur combat hors de la Sainte Montagne. Le Seigneur m’a rendu digne de faire la connaissance de nombreux de ces héros de l’ascèse, et même d’établir des liens spirituels avec eux. Ils jouèrent un rôle décisif dans ma vie. Bien sûr, la rencontre d’un ou de plusieurs saints ne fait pas de vous un saint. Au contraire, cela augmenta ma responsabilité devant l’Église, et vis-à-vis de moi-même. Le fait qu’à notre époque vécurent de nombreux grands héros de l’ascèse et gerondas porteurs de l’Esprit, témoigne de la présence permanente du Christ dans l’Église et dans notre vie. Certains de ces gerondas sont connus dans le monde orthodoxe tout entier. D’autres demeurent inconnus, ou quasiment inconnus. Dans mes entretiens, il m’arrive souvent d’évoquer Geronda Joseph de Vatopedi, Saint Païssios, Geronda Ephrem de Katounakia, Geronda Joseph l’Hésychaste, mais aussi d’autres Saints que le Seigneur m’a jugé digne de rencontrer. Le message essentiel des Saints contemporains à l’humanité est que le Christ est le sens de la vie. Si tout vient du côté de l’homme et rien du côté du Christ, alors, l’homme n’a rien. Si l’homme est avec le Christ, et renonce à tout le reste, alors il est rempli de sens et de contenu, et il n’a plus aucun besoin du reste. Chaque geronda exprime cette loi à sa manière unique, et par l’exemple de sa vie. La vie de ces gerondas est parsemée de très nombreux miracles. Mais le miracle le plus grand, c’est que l’homme devienne un authentique enfant de Dieu. Voilà le signe le plus grand que l’homme puisse voir en sa vie.
Despotis, vous venez de participer au congrès monastique qui s’est tenu à la Laure de la Trinité Saint Serge. Après avoir vu ces moines, avant-garde de l’Église Russe, quelle est votre impression?

Laure de la Trinité-Saint Serge

Un grand mystère se produit en Russie, mystère de l’Église du Christ, qui donne naissance à des enfants de Dieu. Petit à petit, ces enfants de Dieu grandissent, parcourent les différentes étapes de la croissance pour devenir des hommes accomplis en Christ. Dans le monde grec, nous avons aussi parcouru plusieurs de ces étapes du développement du monachisme et de son accroissement. Nous devons faire confiance au Christ, Qui dirige Lui-même Son Église. Il conduit les hommes dans l’Église, afin qu’ils accomplissent Sa volonté. Les paroles que le Patriarche Kyrill adressa à l’assemblée de la Laure de la Trinité Saint Serge m’ont fait grande impression. Son intervention aborda l’essence même du problème de la vie monastique contemporaine. Et j’ai vu briller chez les higoumènes cette qualité que Saint Païssios appelait ‘philotimo’1. Chacun d’entre eux et d’entre elles possède cette aspiration à entreprendre tout ce qui dépend d’eux pour améliorer la vie des moines et des moniales.
Despostis, vous avez bien connu Saint Païssios l’Athonite. Quelle règle de vie spirituelle vous a-t-il donnée?
La vie toute entière de Saint Païssios est pour nous une règle et un exemple. Si on souhaite isoler une idée centrale de son enseignement, c’est le combat pour le ‘philotimo’. Il s’agit d’œuvrer non pour échapper à l’enfer, mais pour ne pas chagriner Dieu. Pour Saint Païssios, le Christ était un père, un frère, un ami. Et tout ce que Saint Païssios faisait était empreint de l’amour pour Dieu. Il ne demandait rien au Christ. Jamais il ne demanda quoi que ce soit pour lui-même. Il ne demandait pas à être guéri quand il était malade. Il ne demandait pas le repos quand il était fatigué. Il voulait une seule chose : ne pas affliger le Christ. Il s’y efforçait chaque jour et s’y employait de toutes ses forces. Geronda voulait que nous apprenions à regarder le Christ comme un exemple, il voulait que nous ne Le regardions pas comme un juge ou comme un policier, mais que nous fussions avec Lui comme avec un père.
Comment l’homme du monde, qui ne dispose pas de l’expérience monastique, peut-il ‘faire mourir’ son ‘je’?
Le Christ sauve l’homme à travers l’Église. Si nous nous unissons au Seigneur à travers l’Église, non seulement nous nous libérons du ‘vieil homme’, mais nous revêtons le nouveau. Le but n’est pas de faire mourir notre égoïsme, mais de revêtir le Christ. L’Évangile n’est pas négatif, mais positif, il ne nie pas, il affermit. Comment ‘faire mourir’ son ‘je’? Chaque jour nous en offre une multitude de possibilités. A travers la patience et l’amour du prochain, nous nous défaisons de notre égoïsme. Mais nous devons accorder de l’attention à autre chose qu’à la mort de notre égoïsme. Nous devons nous efforcer de trouver les moyens de faire entrer le Christ en notre cœur. Quand ce sera le cas, Il guérira notre cœur dont le péché est la maladie. Si nous retrouvons la santé, tous les microbes meurent.
Quels sont les problèmes qui préoccupent les jeunes d’aujourd’hui, et à quoi ceux-ci s’intéressent-ils? En quoi réside le secret du succès du bon pasteur auprès des jeunes?
Ce que je puis vous dire provient de mon expérience de la réalité cypriote, mais je pense que les jeunes de tous les pays font l’expérience de problèmes similaires : problèmes dans la famille, problèmes dans la vie personnelle, incitations à l’usage des narcotiques, de l’alcool, de la violence, nihilisme, dépression. A Chypre, l’absence de sécurité est un gros problème, lié aux Turcs et à certains autres voisins. Mais tous les problèmes que nous pouvons énumérer ont une seule cause : l’absence de Dieu. Si j’enlève mes lunettes, je ne vois plus rien. Si je les remets sur mon nez, je vois tout ce qui m’entoure. Il en va de même avec la présence de Dieu dans la vie de l’homme. Celui qui vit avec Dieu interprète correctement tout ce qui se produit autour de lui. Il voit avec d’autres yeux, il a une autre manière de penser, il déploie une autre attitude face aux difficultés, car l’Église donne réponse aux questions essentielles de la vie de l’homme. L’homme cherche son père, Dieu. Mais il Le cherche aux mauvais endroits; dans les narcotiques, l’alcool, la violence et l’anarchie, on ne trouve pas Dieu. L’Église et nous les pasteurs, devons transmettre à l’homme l’authentique parole de Dieu. Nous devons dire: «Ce que vous recherchez se trouve dans l’Église. Venez voir. Venez goûter». Quand ils voient, quand ils communient à la Vérité, ils comprennent que c’est exactement cela qu’ils cherchaient. Alors, ils trouvent la paix et un sens à leur vie et ils n’ont plus besoin d’alcool, de cigarettes ou de narcotiques. Ils ont trouvés le sens authentique de la vie.
Dans l’un de vos enseignements, vous avez souligné combien il est important pour l’homme de comprendre son destin spécifique dans la vie. Pourriez-vous préciser?
Notre Église Orthodoxe n’est pas monophysite. Nous croyons que le Christ est parfaitement Dieu et parfaitement homme. Et nous, les Chrétiens, devons nous transformer, à la ressemblance du Christ. Plus encore, le juste transfigure, rend plus beau, tout ce qui l’entoure. Et de plus, il rend grâce à Dieu, répétant sans cesse «Gloire à Dieu!». Si l’homme ne sait ce qu’il doit faire dans la vie, il ne doit toutefois pas désespérer. Qui donc, parmi nous, sait cela? Nous devons vouloir une chose: être aux côtés du Christ. Personne ne pourra nous enlever cela. Le reste est secondaire: nous marier ou entrer au monastère, suivre un enseignement supérieur ou non,… Le Christ, on peut l’avoir partout, à la maison, dans un avion, au monastère. Le Christ est tout pour tous. Si nous comprenons cela, nous nous libérons des soucis et des incertitudes vis-à-vis du lendemain. (A suivre)

Traduit du russe

Source

  1. A la page 72 de «Saint Arsène de Cappadoce», écrit par Saint Païssios et édité par le Monastère Saint Jean le Théologien à Souroti, une note propose la définition suivante du terme philotimo (φιλότιμο ) : «…noblesse d’âme, bonté, reconnaissance, amour purifié exempt de tout retour sur soi, de celui qui ne regarde jamais son propre intérêt mais ne cherche qu’à être agréable à Dieu, le Père Païssios considérait cette vertu comme le fondement du progrès dans la vie spirituelle». En outre, le blog ‘Journal d’un Chrétien Orthodoxe Ordinaire’ a consacré un article au concept de philotimo : ici.