Le Saint Tsar Nicolas II
Le texte ci-dessous est traduit du livre «Le Tsar et la Russie (Réflexions à propos du Souverain Empereur Nicolas II)», publié par les Éditions Otchii Dom à Moscou en 2017. Ce livre est un recueil d'articles dont les auteurs se sont fixé pour objectif de commenter, sur base de faits et de témoignages personnels, le règne du dernier Empereur de Russie, ainsi que la signification spirituelle que prend cette période tragique de l'histoire de leur patrie pour le destin futur de la Russie et du monde entier. Un des buts poursuivis par l'édition de ce livre est de dénoncer mensonges et calomnies, et de témoigner de la vérité. L'extrait ci-dessous est un chapitre de la seconde partie du livre, qui intègre des travaux, homélies et réflexions de clercs du Patriarcat de Moscou et de l’Église russe hors Frontières et qui tente de répondre aux questions: A quelle fin le Seigneur permit-il la révolution, quel est le sens du chemin de croix et de la mort des Martyrs impériaux, quelle doit être l'essence de notre repentir et quelle signification spirituelle devons-nous tirer pour nous-mêmes de la catastrophe russe ? Ce chapitre fut rédigé par l'Archiprêtre Alexandre Chargounov, ancien maître de conférences à l'Académie de Théologie de Moscou, dirigeant du «Comité pour la Renaissance morale de la Patrie», recteur de l'église moscovite Saint Nicolas en Pyji, Malaya Ordynka..

Pour tous, c’est évidemment un miracle, une révélation de la Divine Providence, que la coïncidence du jour de naissance du Tsar-Martyr Nicolas Alexandrovitch avec celui où l’on célèbre la mémoire de Saint Job (le 6/19 mai). Le Souverain lui-même voyait dans ce fait une préfiguration de son destin, lorsqu’il dit «J’ai non pas le pressentiment mais la pleine conviction d’être prédestiné à de terribles épreuves, et je n’en recevrai pas la récompense ici, sur terre. Combien de fois me suis-je appliqué à moi-même les paroles de Job : «Ce que je crains, c’est ce qui m’arrive; Ce que je redoute, c’est ce qui m’atteint. Je n’ai ni tranquillité, ni paix, ni repos. Et le trouble s’est emparé de moi» (Job 3,25-26)1 , et encore «Je nourris la conviction ferme et absolue que le destin de la Russie, mon propre destin et le destin de ma famille se trouvent entre les mains de Dieu, Qui m’a placé à l’endroit où je me trouve. Quoi qu’il arrive, je m’incline devant Sa volonté, avec la conscience de n’avoir jamais eu d’autre pensée que celle de servir le pays qu’Il m’a confié».2
Le Livre de Job, comme toute la Parole de Dieu, éclaire l’histoire de l’humanité du rayon de la lumière divine et nous aide à comprendre la profondeur des événements récents et de ce qui se produisit avec notre dernier Tsar. Nous savons, par la grâce du Saint Esprit, que notre Tsar est un saint. C’est pourquoi nous pouvons le comparer à un autre saint, le Juste Job. Selon une interprétation admise, le nom «Job» signifie «haï ou «respecté pour ses ennemis». D’autres avancent l’interprétation «celui qui est rempli de chagrin» et «celui qui gémit». De Job, on dit avant tout qu’il fut un homme pieux. Il «était intègre et droit; il craignait Dieu, et se détournait du mal». «Intègre» ne signifie pas «sans péché», comme il l’admet lui-même: «Suis-je juste, ma bouche me condamnera» (Job, 9,20). Mais lorsque l’homme s’efforce d’observer avec une pieuse crainte tous les commandements de Dieu, aspirant à la perfection, son cœur est innocent et son regard, pur. Tout cela s’applique pleinement à l’Empereur Nicolas II. Il suffit de regarder, sans partialité, les photographies du Tsar pour s’en convaincre. Oui, le Souverain était juste dans ses relations avec Dieu et avec les gens, jamais il ne trahit quelque confiance que ce soit. La crainte de Dieu déterminant entièrement son comportement. Ce que l’on peut dire de plus important au sujet de Job et du Souverain, c’est qu’ils étaient des hommes croyants, sincères dans leur foi.
On écrit de Job qu’il était un homme, c’est-à-dire qu’il vivait, comme tout le monde, une vie normale. Mais derrière cette normalité se cachait une exceptionnelle richesse spirituelle. Et on peut dire de même du Souverain. Ainsi, par exemple, nombreux sont ceux qu’étonne la simplicité de ces notes journalières, le temps, les promenades, les rencontres. Mais ces notes étaient comme codées, compréhensibles à lui seul. Et toute la dimension cachée sous-jacente à ces événements demeure le secret de son âme.
Job était riche, prospère selon les critères terrestres des hommes, et sa dévotion était l’ornement de sa richesse, car elle lui offrait une possibilité accrue de faire le bien. Il était juste, c’est pourquoi sa richesse grandit. On ne dit pas en vain que l’honnêteté est la meilleure des politiques et la dévotion, la voie la plus sûre vers la prospérité. Les possessions du Tsar Nicolas Alexandrovitch étaient immenses: l’Empire de Russie et comme Job, il avait une multitude de serviteurs. Job était un homme investi de pouvoir. Le privilège des terres sur lesquelles il régnait, était d’avoir pour maître un homme si bon. Nous apprenons plus loin quelle compassion Job éprouvait envers le peuple, et ce qu’elle était chez notre Tsar-Strastoterpets. «N’avais-je pas des larmes pour l’infortuné? Mon cœur n’avait-il pas pitié de l’indigent?» (Job 30,25). Et nous savons quel soin attentionné notre Souverain accordait à ses sujets, à l’épanouissement de l’Empire russe, pendant la période de son règne. Job avait une grande famille. Et notre Tsar, tout comme Job, était père et chef d’une famille, chrétienne. C’était pour eux une consolation particulière que de voir leurs enfants non seulement jouir du bien-être et d’une bonne santé, mais de s’aimer les uns les autres. Comme on le lit dans le livre de Job, de la dévotion découlait une grande sollicitude vis-à-vis de ses enfants. Job «se levait de bon matin et offrait pour chacun d’eux un holocauste» (Job 1,5). Il priait pour chacun de ses enfants selon leurs tempéraments, leurs talents et particularités. Car les parents ne peuvent donner la grâce à leurs enfants (seul Dieu donne la grâce et sanctifie tout), mais ils prient et font tout pour permettre chaque jour leur sanctification. Job était non seulement riche et grand, il était aussi sage et bon, et il semblait que sa prospérité et sa citadelle jamais ne seraient ébranlées. Mais de sombres nuages s’amoncelèrent au-dessus de sa tête. Le diable, qui envers Job nourrissait une redoutable hostilité, tout comme envers le Souverain, à cause de leur dévotion exceptionnelle, reçut la permission de les martyriser. Ils avaient piété et richesse avant que ne s’abattent de grandes afflictions, pour nous montrer que rien ne peut nous protéger des vicissitudes de la vie. La piété ne nous en préserve pas, comme le pensaient erronément les amis de Job (et comme le pensaient certains théologiens, adversaires de la glorification du Tsar Nicolas II), et d’autant moins la richesse, comme le monde le pense avec futilité. Voilà donc que satan apparaît parmi les fils de Dieu, l’adversaire (comme son nom le signifie) de Dieu, des hommes, du bien et de la vérité. «Les fils de Dieu vinrent un jour se présenter devant l’Éternel, et satan vint aussi au milieu d’eux» (Job,1,6). «L’Éternel dit à satan: D’où viens-tu?» (Job,1,7). Le Seigneur sait parfaitement d’où, et dans quel but, il venait: les bons Anges venaient faire le bien mais lui venait recevoir l’autorisation de faire le mal. Mais le Seigneur, exigeant une explication claire, voulait lui montrer qu’il se trouvait sous la domination et le contrôle de Dieu. Il répondit à Dieu qu’il venait «de parcourir la terre et de [s]’y promener» (Job,1,7). Tant que nous sommes sur terre, nous demeurons à sa portée. Et il surgit avec une malice, une telle rapidité et une telle ardeur dans tous les coins de la terre, que nulle part, nous ne pouvons être à l’abri de la tentation! Dans la réponse de satan, nous sentons à nouveau son orgueil et son éternelle insatisfaction. Il va et vient sans jamais trouver le repos. Et Dieu lui demande : «As-tu remarqué mon serviteur Job?» (Job,1,8). Quel honneur Dieu rendit alors à Job lorsqu’il parla de lui : «Voici Mon serviteur Job. Il n’y a personne comme lui sur la terre» (Job,1,8). En réponse à la louange de Dieu envers Job, nous lisons la malicieuse calomnie du diable adressée à ce dernier. Il ne peut nier que Job craint Dieu, mais il prétend que sa religiosité est calculée, qu’il est hypocrite: «Ne serait-ce pas d’une manière intéressée que Job craint Dieu?» (Job 1,9). Pour le diable, il est évidemment insupportable d’entendre des louanges adressées à un homme, quand c’est Dieu qui les adresses. Mais il s’agit ici d’un homme particulier. C’est avec malice qu’il le qualifie d’hypocrite, ne l’affirmant pas ouvertement, mais demandant «Ne serait-ce pas»? C’est la manière habituelle des calomniateurs, des envieux, des perfides. Ils affirment sous forme de question, leur affirmation n’étant fondée sur rien. Les interventions des adversaires de la glorification du Tsar Strastoterpets nous l’ont rappelé voici peu. Les gens mauvais et envieux prétendent que l’unique raison pour laquelle les gens pieux servent Dieu réside en ce que Dieu leur donnera la prospérité. Et comme preuve de ce mensonge, satan demande la permission de dépouiller Job de ses richesses et de son pouvoir. Et dans le cas de notre Souverain s’ajoute la liberté. «Qu’il soit soumis à l’épreuve, dit-il, rend le pauvre, prive-le de tout, étends Ta main» (Job,1,11), et nous verrons alors où sera sa foi. Touche à tout ce qu’il possède, et alors on découvrira quel genre d’homme il est. Non seulement il oubliera sa dévotion, mais, sans aucun doute, il Te maudira devant Ta face. Nous voyons ainsi que Dieu permit à satan d’affliger Job afin de mettre à l’épreuve la sincérité de sa foi. Nous ne pouvons nous empêcher de nous demander pourquoi Dieu accorde une telle permission à satan. Il la donne pour la gloire de Dieu, pour l’honneur de Job, pour nous ouvrir la profondeur de la Providence divine et consoler les affligés dans les siècles des siècles. Incommensurables furent les adversités qu’endura notre Souverain. Même les jours les plus lumineux de sa vie furent assombris par le malheur: son couronnement de Tsar, par la catastrophe de Khodynka, la naissance tant attendue d’un héritier, par la maladie incurable de celui-ci, la guerre russo-japonaise, la révolution de 1905, la Première Guerre mondiale, la révolution de 1917, la trahison de la part de ceux qui paraissaient être les plus proches, l’écrasement de la monarchie orthodoxe, le début de la persécution de l’Église.
Quand satan reçoit l’autorisation de commettre le mal, il ne manque jamais de traîtres, de gens prêts à être les instruments de la réalisation de ses intrigues. Tous nous comprenons ces paroles du Tsar-Strastoterpets: «Autour de moi, tout n’est que trahison, lâcheté et tromperie». Trahison et lâcheté de la part des Grands-ducs, des ministres, des généraux, et finalement, tromperie de tout le peuple. Un des chagrins du Tsar concernait ses enfants. Précisément comme pour Job, dont les enfants furent enterrés sous les décombres de la maison où ils festoyaient. Ce fut la plus grande des pertes de Job, c’est pourquoi le diable la garda pour la fin, au cas où les autres tentations n’auraient pas atteint leur but. Cela parviendrait enfin à lui faire maudire Dieu. Nos enfants sont une partie de nous-mêmes, et nous en séparer nous frappe au cœur même. Mais se séparer subitement, en un instant, de tous ceux qui au cours de tant d’années furent pour lui l’objet permanent de ses soins et de ses soucis, c’était chose dépassant toute force humaine. Les enfants de Job moururent tous ensemble, soudainement, au moment où il avait justement le plus besoin de leur consolation, après toutes les pertes qu’il venait de subir.
Lorsqu’il fut fusillé, le Tsar vécut la même expérience, mais sous une autre forme. Tout fut accompli en un instant, la séparation et la réunion pour les siècles des siècles. Pour les parents, c’est véritablement une consolation particulière que de voir le plein accomplissement spirituel atteint par leurs enfants. S’ils craignent Dieu et font preuve de dévotion, en vérité ils sont grands, et la place qu’ils occupent dans la vie ne signifie rien. Même s’ils meurent, ils demeurent avec le Seigneur. Peut-on comparer la perte d’un empire terrestre avec l’acquisition du Royaume Céleste? Si la Providence Divine n’octroie pas une longue vie à des enfants, on peut malgré cela dire que ceux-ci ont atteint la plénitude de leurs jours, la maturité et infiniment plus. Voyant ce qui se passa, nous nous réjouissons pour Job, car c’est vraiment en cela que consista son épreuve. Job fut un homme courageusement dévoué à Dieu. Au milieu de toutes les afflictions, il craignait Dieu au-dessus de tout, et s’effrayait du péché plus que de tout malheur extérieur. Il s’humilia sous le puissant bras de Dieu et accepta ce que lui donna la Divine Providence. «Dieu a donné, Dieu a repris» (Job,1,21). Celui-là même Qui avait donné, a repris. Et ce qu’Il veut, quand Il nous prend quelque chose, ne serait-ce pas nous donner infiniment plus? (A suivre)

Traduit du Russe

Source

  1. Selon les propos rapportés par le Ministre des Affaires Étrangères Sazonov et le Président du Conseil des Ministres Stolypine, dans les souvenirs de Maurice Paléologue N.d.A.
  2. A.P. Izvolsky, ancien Ministre des Affaires Étrangères. «Souvenirs» Traduit de l’Anglais vers le russe et édité à Petrograd en 1924. pp 138-139