Le 23 avril 2019, six mois s’étaient écoulés depuis le retour au Seigneur de Geronda Grigorios (Zoumis), l’Archimandrite du grand schème, Higoumène du Saint Monastère de Dochiariou à la Sainte Montagne. Il était capable de dire des choses uniques, que jamais plus tu n’entendrais nulle part. Comment, par exemple, pénétrer l’essence même d’un autre être humain? Mais surtout, qu’est-ce qu’il t’en coûtera? Ils ne peuvent oublier Geronda, ceux qui continuent aujourd’hui encore à se casser la tête pour interpréter ses actes et ses paroles… La traduction ci-dessous est celle du texte préparé par Madame Olga Orlova et publié le 23 avril 2019 sur le site Pravoslavie.ru.

Un entretien actuel
L’archiprêtre Valerian Kretchetov, Recteur de l’église de la Protection de la Très Sainte Mère de Dieu, des Néomartyrs et des Confesseurs de la Foi dans l’Église Russe, à Akoulov :
Geronda Grigorios était un petit vieillard très touchant. Il jouissait d’un tel amour pour les gens! Un jour nous étions arrivés à Dochiariou. C’était une fête particulière pour eux. Nous pensions qu’il allait nous en parler, mais il se mit à m’interroger, et c’est moi qui dus m’exprimer devant les frères.Et c’est lui qui prononça ces paroles très actuelles, aujourd’hui :
Pour commencer, le diable augmente le niveau de la conscience nationale, ensuite il pousse plus loin et il déballe la dimension religieuse ; comme nous sommes exceptionnels, particuliers… Et il nous sépare de tous les autres. Et après, il nous écrase l’un après l’autre!
A un batiouchka qui avait des problèmes avec ses enfants déjà adultes et demandait à Geronda comment il devait se comporter, celui-ci répondit :
Ne te mêle pas de ça, sinon tu traîneras ta culpabilité toute ta vie !
Comment le monachisme peut transformer un musicien rock un peu bohème 
Raphael, ouvrier pauvre :

Photo : Pravoslavie.ru

A Dochiariou les entretiens étaient intéressants. La foi de Geronda Grigorios avait la robustesse du silex! Et Geronda était si humble! J’entrais sur le territoire du monastère pour la première fois. Je vis déambuler un homme vêtu de hardes et autour de lui, environ une centaine de chats gambadaient, la queue en trompette. Des petits chiens courraient au milieu des chats. Je m’approchai jusqu’à lui et il me dit :
Les moines vont venir sans tarder, et on sera tous là… mais il ne faut pas m’accorder d’importance.
Les moines arrivèrent. Il y avait parmi eux un gars qui parlait le russe. Il venait de Russie. Il m’expliqua tout. Plus tard, j’ai appris que ce frère avait été musicien. Il jouait du hard rock. Mais Geronda Grigorios regardait dans le cœur, dans l’âme de l’homme. Peut lui importait comment cet homme avait vécu jusqu’à ce moment. Il appelait, simplement, le pèlerin et lui disait : «reste!».
Deux ans plus tard, je revis ce frère. Il était devenu méconnaissable! Le monachisme l’avait purifié, fondu dans le creuset. Je me rappelle qu’après, nous sommes passés à table. Je regarde, et en tête de table, le vieux petit moine… Cette fois, il avait un autre rasson, pas celui qu’il enfilait pour travailler. C’était donc l’higoumène. Geronda Grigorios. Il commença à parler, et tout le monde restait bouche bée. Il racontait de telles choses! Jamais je n’en ai lu de pareilles dans les livres. C’était un homme tellement spirituel. Et rien que par ses prières, il protégea la Grèce de nombreux maux. Et comme il aimait la Russie! Pour la fête du monastère de Dochiariou, une foule de pèlerins y venaient. De Grèce, et de Russie, et ils emmenaient leurs enfants avec eux, juste pour qu’ils reçoivent la bénédiction de Geronda.

Qu’était-ce ?

Élie Avramenko, scénariste :

Tous ceux qui ont séjourné à Dochiariou savent que Geronda Grigorios avait l’habitude de bénir en donnant une claque. Et on considérait en outre qu’au plus elle était forte, au mieux elle valait. Geronda avait la main lourde ; c’est du moins le souvenir que j’en ai. Je me rappelle encore maintenant comment ma joue en devint brûlante. Dans certains cas, il pouvait aussi «bénir» à l’aide de sa houlette, lorsque, par exemple quelqu’un s’asseyait en sa présence en croisant les genoux (car c’est ainsi que s’asseyaient jadis les pécheresses).

Première icône, grecque, de Geronda Grigorios de Bienheureuse Mémoire

Pendant de nombreuses années, je portai les cheveux longs. Il me semblait que cela correspondait tout à fait à l’image que je me faisais du «monsieur» élégant et bohème. Quand j’arrivai pour la première fois à Dochiariou, le responsable de l’archondarikon m’annonça :
Tu dois te faire couper les cheveux ! Viens, je vais te les couper sur le champ.
C’est nouveau ça, freinai-je des quatre fers, autant ne pas y penser. Ils me plaisent beaucoup comme cela.
Si c’est ainsi, répliqua avec son sens pratique le responsable de l’archondarikon, va vénérer l’icône de la Panagia «Qui entend rapidement», et pars. Nous ne pouvons te garder au monastère. Geronda a béni l’éloignement de tous ceux qui ont les cheveux longs.
Je m’en allai donc. Cette fois, je ne vis donc pas Geronda. Quelques années plus tard, lors des derniers jours de notre pèlerinage sur l’Athos, je me rendis à Dochiariou avec mon fils Ioann, que nous appelons Yanik, dans la famille. Il avait seize ans à cette époque… A la fin du repas, Geronda et les frères quittèrent le réfectoire et sortirent dans la coursive. Des petits chiens couraient aux pieds de Geronda ; visiblement, ils l’adoraient. Un de ces petits chiens voulait tellement être tout près de lui qu’il bondit exactement à l’endroit où Geronda était supposé s’asseoir, ce que celui-ci fit, bien entendu, au même moment. Mais le chien ne couina même pas. Il sortit de sous Geronda, s’ébroua, se secouant comme s’il reprenait sa forme après avoir été aplati, et se fourra tout contre lui, tout à fait heureux. A cet instant, Geronda nous aperçut parmi les nombreux pèlerins. Il dit soudain à Yanik :
Toi, tu vas rester avec nous! Nous allons te donner la tunique maintenant… Tu vivras avec nous et je ferai de toi un moine!
J’étais pétrifié. Quand nous étions partis pour la Sainte Montagne, mon épouse m’avait dit, soudainement :
Arrange-toi seulement pour que le petit ne reste pas là-bas!
Le cœur maternel est sensible, et il semble qu’il avait senti quelque chose… Yanik venait pour la première fois à la Sainte Montagne. Partout, il fut accueilli de façon particulière. A Koutloumoussiou, le Frère Joseph, responsable de l’archondarikon, l’eut à peine aperçu qu’il ôta sa skoufa et en coiffa notre fils… Et maintenant cette proposition de Geronda. Yanik se tut. Il réfléchissait. Il prenait sa décision.

Yanik. Photo: Pravoslavie.ru

Je restai planté, le cœur battant. Je priai et je pensai : «Si maintenant, il accepte, alors, je reste avec lui… serait-ce pour quelque temps… je ne vais tout de même pas le laisser seul?». Une peur effroyable m’habitait. Et Yanik continuait à se taire. «Cela suffit», pensai-je. «Pardonne-moi, mon cher, mais je ne puis accéder à ta demande». Et soudain, j’entendis mon fils articuler
Pardonnez-moi, mais je suis encore jeune.
Geronda l’observa attentivement et demanda :
– Quel âge as-tu donc ?
– J’aurai bientôt seize ans.
– Mais moi, j’avais douze ans quand je suis arrivé ici.
Et alors, visiblement pour ne troubler personne, il détourna la conversation sur un autre sujet.
Bientôt, le regard de l’higoumène se posa sur mes longs cheveux.
Écoute, me dit-il, tes cheveux sont tout de même longs… Il faudrait que je te les coupe.
Non, non, répondis-je, merci beaucoup, mais je ne le souhaite pas. Nous allons vénérer les icônes et nous partirons…
Je me souvenais qu’il en allait ainsi avec ceux qui portaient les cheveux longs….
Mais Geronda ne me lâcha pas.
– Non, attends, pourquoi portes-tu les cheveux longs?!
– «Et toi, pourquoi?», lui répliquai-je effrontément.
Nous, les moines, répondit-il calmement, nous portons les cheveux longs en signe d’humilité. Mais toi, pourquoi ?
Au moyen de cette réponse toute simple, il remit tout en place. Qu’aurais-je pu lui répondre? Car c’était au contraire pour la frime que mes cheveux étaient longs. Et je fis preuve d’humilité.
Alors, allons-y, coupez-les.
Tous se réjouirent, et particulièrement Geronda.
Le Père Jacques, tout alerte, il est des nôtre, c’est un Russe, fila chercher les ciseaux.
Où reste Jacquot ? Où sont les ciseaux ? Tout le monde s’inquiétait et craignait que je ne change d’avis en ne le voyant pas revenir rapidement.

Geronda Grigorios “tonsure” Elie Avramenko. Photo : Pravoslavie.ru

Mais le Père Jacques accourut bientôt. Le Père Gabriel (Giouvris), canonarque du monastère, s’empara des ciseaux, rassembla ma tignasse en un faisceau et commença à trancher calmement celui-ci. Tous se réjouirent et crièrent «Axios»! Je pensai à part moi «Je me demande tout de même pourquoi Geronda ne me pas coupe-t-il pas les cheveux lui-même, après tout, c’est lui qui à insisté, qu’il me les coupe donc». Et je lui dis, en lui tendant les ciseaux :
Geronda, c’est toi qui l’a voulu, c’est toi qui coupe!
Tous furent abasourdis. Le Père Jacques parla en Grec à Geronda. Le silence s’installa…
Plus tard, on m’expliqua que jamais Geronda n’avait ainsi “tondu” personne. Mais soudain, il attrapa les ciseaux et de façon très délicate, il commença par couper une énorme touffe, s’arrêta pour observer, et se remit à couper, comme pour égaliser la taille. Ensuite, il éleva la main tenant les cheveux qu’il venait de me couper, éclata de rire et cria d’une voix forte qui résonna dans tout le monastère : «Axios!».
Tous reprirent : «Axios! Axios !». Geronda dit alors :
A partir de maintenant, ton nom est Mikhaïl…
Et tout cela se passa le jour anniversaire de ma naissance. Quel cadeau incroyable, céleste.
Qu’était-ce? Les uns sont convaincus de ce qu’il s’agit d’une sorte d’acte sacramentel, dont j’apprendrai plus tard la signification. D’autres contredisent et affirment que Geronda a fait un peu le fou, sans doute… D’autres encore disent : sur l’Athos, tu es le moine Mikhaïl, mais dans le monde tu restes, comme avant, Élie, un père de famille. Tu n’as pris aucun vœu.
Geronda me dit lui-même, après cette «tonsure» :
Le monastère est maintenant ta maison. Viens, vis avec nous, autant que tu voudras.

Geronda Grigorios et Elie Avramenko. Photo : Pravoslavie.ru

J’étais à Dochiariou en octobre dernier. Geronda n’y était pas. On m’expliqua qu’il était très malade et se trouvait hors du monastère. Ses petits chiens erraient, l’air un peu perdus. Le Père Gabriel n’était pas non plus présent. Je quittai le monastère. Deux jours plus tard, Geronda Grigorios s’en allait auprès du Seigneur. Mais j’ai la sensation qu’il ne nous a pas quittés, qu’il est à côté de nous.
Dans Ton royaume, souviens-Toi Seigneur, de l’Archimandrite du grand schème Grigorios!
Traduit du russe.
Source.