Nombreuses furent les higoumènes et moniales filles spirituelles du Saint Père Jean de Kronstadt. Mère Taïssia, higoumène de la communauté des moniales de Leouchino, dont la procédure de glorification est en cours, fut l’une d’entre elles, parmi les plus célèbres. Voic la traduction de deux lettres du Saint Père Jean de Kronstadt à l’Higoumène Taïssia, extraites du livre Lettres du Père Archiprêtre Jean de Kronstadt à l’Higoumène Taïssia)  (Письма о. протоиерея Иоанна к Игумении Таисии.)  punblié  en 1909, à Saint-Pétersbourg, par la Typographie Synodale. (extraits des pages 9-10 et 42-43).

Lettre 14
Le 7 mars 1895. Kronstadt.
Bien-aimée en Christ et pieuse Matouchka Taïssia!
J’ai reçu ta lettre, dans laquelle tu m’interroges au sujet de mon état de santé et tu ajoutes entre autres que cette voie de la maladie physique me permet de reposer mon esprit de la pression des gens et de leurs broutilles. A ce propos, je te réponds ceci : cette maladie a été tellement pénible, qu’elle m’a causé une souffrance lourde, intense, continue qui m’a fait pousser régulièrement des gémissements. Pendant huit jours que je n’ai pu trouver le calme, et je ne parvenais pas même à lire.
Je te remercie pour les livres que tu as envoyés (Les Ménées mensuels en petit format). Maintenant, outre le Saint Évangile, je lis les Œuvres de Saint Basile le Grand. J’étais incapable d’écrire à qui que ce soit. Je recommence à le faire petit à petit. Voici donc ce que je t’écris :
1) Réjouis-toi de ce que, dans ton cœur, tu ressentes la présence de Dieu de façon plus vive, et de ce qu’Il illumine ton cœur, enténébré par les soucis, les tristesses et les afflictions de ce monde. «J’ai constamment l’Éternel sous mes yeux; Quand il est à ma droite, je ne chancelle pas»(Ps.15,8).
2) Quant au second point, tu dis vrai. Remercie Dieu pour ta croix. Ne désespère pas de ce que tu ne parviens pas à accomplir ou de ce que tu ne respectes pas ta règle de prières. Le Seigneur a remplacé ta règle par tes travaux. Mais en l’absence de règle, souviens-toi de Dieu et garde un esprit brisé et un cœur humble, prie pour le pardon de tes péchés et pour le don d’un cœur pur et d’un esprit droit. Évite toute haute opinion de toi et dis : «…Nous sommes des serviteurs inutiles, nous avons fait ce que nous devions faire» (Lc.17,10).
3) Ton travail littéraire spirituel non seulement n’est pas un péché;il est utile pour autant qu’il ne te détourne pas des choses importantes, et utiles à tous. Souviens-toi de fonder fermement tout ce que tu entreprends sur la Sainte Écriture et la Sainte Tradition.
4) Sans aucun doute, l’ennemi déploie sa perfidie envers toi, comme envers nous tous, au moment de la prière. Mais résiste-lui et il te fuira. «Priez sans cesse» (1Thes.5,17), dit l’Apôtre Paul, et «il faut toujours prier, et ne point se relâcher» (Lc.18,1), dit le Sauveur.

Prokoudine-Gorski. La moisson à Leouchino

5) Là où tu vois le mal, particulièrement quand il menace toute la communauté, dénonce-le chaque fois, parle. Si tu es toi-même impuissante, parle à ceux qui sont forts, et souviens-toi que si tu ne dis rien, c’est à toi que le péché induit par ce mal sera imputé : tu savais et tu n’as rien dit. Tu aurais pu prévenir et tu n’as pas fait ce qui aurait été nécessaire. Le mal est partout. Sans cesse il faut le déraciner, et semer le bien.
Cette semaine, j’ai à peine pu sortir pour assister aux offices. Ma jambe me fait encore souffrir ; elle est bandée. J’aimerais célébrer moi-même, et communier. Deux semaines, sans le Pain de Vie et la Coupe du Salut. Cette semaine, je ne confesserai pas les gens, ni ne donnerai la Sainte Communion.
Je te fais une grande métanie, ainsi qu’aux sœurs. Et une métanie à Ornatski.
L’Archiprêtre Ioann Sergueev

Lettre 70
Le 10 juin 1901. Soura.
Bonne Matouchka Taïssia !
Le Christ est entre nous, Il l’est et le sera! Eh bien, je suis arrivé à Soura voici trois jour, accueilli par des hôtes. Je célèbre ici. Cette année, c’est avec grande difficulté que nous avons atteint Soura, du moins certains d’entre nous. Dans la Pinega, le niveau d’eau était très bas, et, sur quatre-vingt verstes, il a été impossible d’utiliser le bateau pour rejoindre ma terre natale. Nous avons dû débarquer à Karpogori, et là nous avons emprunté des chevaux. Le manque d’habitude nous a tous surpris. Moi-même, je n’ai plus l’habitude du tarantass. Après le trai et le bateau, le trajet en tarantass fut éprouvant à l’extrême. Sur le chemin du retour jusqu’à Pinega, où le bateau nous attend, nous avons décidé d’emprunter la petite barge à faible tirant du monastère. Nous ne savons si nous réussirons, avec si peu d’eau. Demain, le onze juin, nous quitterons Soura.

Saint Batiouchka Jean et l’Higoumène Taïssia

Nous nous trouvions dans le bois attribué au Monastère, à seize kilomètres de Soura. L’endroit est enchanteur, par sa situation et du fait de l’énorme nef inversée que dessine la canopée de cette forêt. Celle-ci couvre la majorité du domaine, montagneuse. Au sommet, un bois a été rasé, et dégagée une superficie destinée à accueillir une petite église, du genre des églises de skite. Du sommet, on voit parfaitement le village de Soura, et l’horizon est extraordinairement dégagé, le regard se promène quarante kilomètres à la ronde. Quelle hauteur ! En contrebas de cette élévation, à mi-pente, une maison pour les sœurs a été construite, mais elle n’est pas terminée, pas achevée. Nous y avons bu le thé avec tous nos compagnons de voyage, des prêtres, des diacres, le Hiéromoine Théophane et les Higoumènes Anna Semionovna, Anna Yakovla, I. Lejoeva, et de nombreuses sœurs. Là, j’ai lu pour eux tous l’Evangile à haute voix, la parabole du festin du mariage, celle du vigneron. Et j’ai expliqué ce qui a été lu. Ensuite, ce fut le «Sermon sur la Montagne », qui rappelle la montagne des béatitudes. Nous sommes demeurés à cet endroit plus de deux heures et nous sommes repartis, au moyen de cinq cabriolets, les autres repartant à pieds. Nous avons mis trois heures à l’aller et autant au retour. Le navigation en barge, sans notre bateau, finit par nous mener à bon port ! Seigneur, viens à notre aide ! Je ne suis pas encore allé à Arkhangelsk. J’y passerai, si Dieu le veut, sur le chemin du retour. Je séjournerai à Arkhangelsk trois ou quatre jours. Et de là, je t’écrirai.
Et comment va ta précieuse santé, Matouchka ? Comment vont les sœurs, comment œuvrent-elles à leur salut ? Puissiez-vous recevoir l’aide d’En-Haut ! Les sœurs de Soura vous saluent toutes. Elles sont extrêmement contentes de mon séjour auprès d’elles. Aujourd’hui, j’ai mangé dans la grande salle à manger commune. Il y règne un ordre semblable au vôtre. Les sœurs chantent bien. On sent fort leur zèle pour Dieu et pour les offices. Gloire à Dieu ! Les constructions sont suffisamment spacieuses, et on érige encore un nouveau bâtiment. Il y a là, chez nous, une scierie, une usine à briques et un moulin. Je les ai vus fonctionner, la grande scie, la machine à briques et le moulin. Tout cela est très bien, très utile. Que Dieu permette de parfaire tout cela encore. Je présume que je serai chez toi, avec l’aide de Dieu, le 22 ou le 23 juin.
Au revoir.
Ton indigne intercesseur, l’Archiprêtre de Kronstadt, Ioann Sergueev.
Traduit du russe
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