Le texte ci-dessous est la traduction des dernières pages du Journal que Saint Jean de Kronstadt tint pendant un demi-siècle, entre 1856 et 1908. Il s’agit des notes qu’il écrivit les 28 octobre et 11 novembre (ancien calendrier) 1908. La dernière partie de son journal, concernant le second semestre 1908. Cet extrait est intégré dans le Journal complet, au vingt sixième et dernier (pour l’instant) volume, pages 316 à 320, publié en 2019 à Moscou par le «Fond social régional à la Mémoire des martyrs et confesseurs de l’Église Orthodoxe Russe». Les cahiers de notes couvrant les périodes de 1894 à 1896 et de 1898 à la fin du premier semestre de 1908 n’ont toutefois pas encore été tous retrouvés. Saint Jean de Kronstadt naquit en 1829 et décéda le 21 décembre (ancien calendrier) 1908. Il était donc âgé de quasiment quatre-vingts ans lorsqu’il écrivit les notes ci-dessous.

Le 28 octobre. Mardi.
L’entêtement pervers de la malice de mon vieil homme ? J’en suis moi-même ébahi. Pendant la première liturgie, on a chanté l’hymne des chérubins, sur une mélodie superbe, robuste, fidèle et sensible. Et quoi ? Cela ne plut pas à ma vieille canaille ; pourquoi la même mélodie plusieurs fois de suite ! Il eut fallu varier. Et voilà de l’animosité envers le chef de chœur, et envers les chantres et envers la mélodie ! C’est avec difficultés que je suis parvenu à me persuader, à m’apaiser et à me faire comprendre que l’hymne était bien équilibré, sensible, et de plus, qu’il ne fut pas répété à de trop nombreuses reprises ! Cela ne demande tout de même pas un gros effort, que de se régaler le cœur et l’oreille avec une mélodie unique pour un irmos, un thétokion, un tropaire, un kondakion, plutôt qu’en être agacé!
Maudit vieil homme idiot! Gredin! Méchant imposteur!5 heures du matin. Souviens-Toi, Seigneur, d’Olga, 17 ans, qui a perdu la tête et s’est amourachée d’un juif de quarante ans, père de famille, marchand de journaux. Souviens-Toi, Seigneur de Domna, 28 ans, qui est malade.
J’ai reçu un transfert d’argent de Nifont Ivanov;je l’ai retransféré au diacre Alexandre Ivanov. La Bachmakova veut vivre à mes crochets, en me donnant d’inutiles exploitations aurifères en Sibérie. Tu essaies de me tromper, moi, le vieux. Mais comme tu es rusée, mémère! Elle veut m’imposer son saint-frusquin et me dévaliser.
Souviens-Toi de ta créature Alexis (Poldniev), alcoolique et délivre-le des griffes de l’ennemi invisible. Je Te prie aussi pour sa femme. Amin (La sœur de Vassili Pavlovich Kroutov).
Seigneur, montre-moi où traîne mon message au Saint Synode. Il le faut! Il fait nuit.
Le lait frais est nocif pour moi ;il m’irrite les glandes. Seigneur, prends pitié! Je me suis rempli le ventre quand il ne le fallait pas, avec un petit gâteau au lait ;je me suis idiotement surchargé à cause de cette passion de gourmandise. A cause du péché, l’homme se dédouble et chute loin de Dieu. On ne peut travailler pour Dieu et pour mamon. (Mat.6,24) Solide vérité psychologique.
Le 11 novembre. Mardi.
Ce matin lors de la première liturgie, pendant les minutes les plus importantes, j’ai ressenti une effroyable détresse en mon âme et c’est tout juste si je n’ai pas été englouti par la baleine spirituelle, le diable, lorsque je fus pris d’une injuste animosité secrète envers les chantres qui chantaient en étirant les notes, lentement. L’ennemi me troubla tellement fort et m’agrippa l’âme au point que j’étais comme mort. Mais immédiatement, je me repentis de toute la force de mon âme, me condamnant sincèrement, justifiant les chantres, car ils chantaient harmonieusement et de façon enthousiasmante. Dieu eut pitié de moi.
La relation de l’église catholique avec l’Église Céleste est tout à fait lamentable, froide, brève, dépourvue de vie, alors que dans l’Église Orthodoxe, elle est vivante, sage, pleine, toute de sincérité, et très pieuse. Partout, le pape, et encore le pape. Partout on lui rend hommage, et pas aux saints. Les saints de l’Orient et de l’Occident sont amoindris, dissimulés dans l’ignorance, et on les montre juste une fois de temps à autre aux fidèles, et particulièrement aux touristes, pour qu’ils les voient. Et le congé liturgique est tellement cavalier, tellement froid, dans l’église catholique ; ite missa est. La célébration est terminée. Alors que chez nous, dans l’Église Orthodoxe, quelles acclamations pieuses, humbles et pleines d’espoir envers en le Christ : «Que le Christ, notre vrai Dieu, par les prières de Sa Mère Toute Sainte, et de tous les saints, aie pitié de nous et nous sauve, car Il est bon et ami des hommes». Le pape dispose du destin céleste et terrestre de l’église, il dispose arbitrairement des mérites des saints, les envoyant au purgatoire et les en sortant selon son bon-vouloir, il distribue les indulgences aux fidèles. On trouverait tout cela risible, si ce n’était extrêmement regrettable et désastreux. Et comment ces papes, cardinaux et prélats, prêtres et jésuites ne le remarquent-ils pas eux-mêmes ? La foi catholique fut déployée à toute allure, par sa nature. Tout fut vendu. Le pape prit tout sous son pouvoir, y compris le salut des catholiques. Maintenant, il n’y a plus de saints glorifiés. Il n’en est que de fabriqués, par volonté du pape. Mais l’Église Orthodoxe, pareille au Jardin d’Eden, est parsemée de Saints. Voyez ce nouveau Saint, Ioasaph (Gorlenko) l’archevêque de Belgorod, voyez combien de miracles il a accompli, et il n’est pas encore officiellement admis dans le chœur des Saints. O, Église Orthodoxe! Comme tu es vivante, sainte, vénérable, et tant aimée par tous les vrais chrétiens orthodoxes.
Écoutez l’Apocalypse de Saint Jean le Théologien, de quelle église parle-t-il : «parce que tu es tiède, et que tu n’es ni froid ni bouillant, je te vomirai de ma bouche»? [Apoc.3,16 N.d.T.] Je pense qu’il parle des églises catholique et réformatrice. Avez-vous vu ce que les papes ont fait de la Foi Orthodoxe du Christ? Quel non-sens? Qui est le pape? Une idole et non le Christ ; ses serviteurs lui ont dit publiquement : tu es vicaire du Christ.
Seigneur! L’ennemi m’a attrapé au moyen du Prophète et Roi David, l’Ancêtre et Père de notre Seigneur. Délivre-moi de sa <mot manquant> et fais-moi toujours aimer ses psaumes.
Où seront-ils lors du Jugement Dernier, nos professeurs de l’Académie, des hautes institutions, des universités, et de toutes les écoles supérieures, moyennes et inférieures, avec tous leurs étudiants? Chacun recevra selon la dignité ou l’indignité de son esprit. Mais ce sera plus réjouissant pour les Sodomites, les Gomorrhiens, les Tyriens, les Sidoniens, les Ninivites etc…, que pour les chrétiens qui appartenaient à l’Église du Christ, qui avaient l’Évangile, les liturgies et les Mystères, et qui auront négligé tout cela. Eh quoi? Il est cruel, le Seigneur? Hâtez-vous de vous corriger, le Jugement approche.
«Si quelqu’un n’a pas l’Esprit de Christ, il ne lui appartient pas» (Rom.8,9). Réfléchis profondément à ces paroles. Observe-les dans ton cœur, et incarne-les dans ta vie. A propos de tant de choses et de gens il faudra dire : cela n’est pas de Lui, et celui-ci n’est pas de Lui mais de quelqu’un d’autre, voilà des tolstoïens, ou des hérétiques, ou un joueur invétéré, et voici un fanatique du billard, et celui-là est amateur de courses de chevaux, quant à celui-ci, c’est le petit esclave de Marie, ou de Varenka, ou d’Olenka, et celui-là, c’est l’esclave et adorateur de son maître, riche chez les riches, qui ne comprend rien à la véritable miséricorde, sans laquelle la vie n’est rien. Car seule la miséricorde sincère peut sauver nos âmes.
Ainsi se termine le Journal du Saint et Juste Père Jean de Kronstadt [N.d.T.]
Traduit du russe.