Écrits

Le texte ci-dessous est la traduction d’un extrait du journal du Métropolite Ioann (Snytchev) de Saint-Pétersbourg et Ladoga. Il fut publié le 22 novembre 2005 sur le site Ruskline.ru. Il a en outre été repris dans divers ouvrages biographiques relatifs au Métropolite Ioann. Ce texte lève un petit coin du voile couvrant l’histoire de l’Église Orthodoxe en Russie à cette époque (1946). Et ce coin de voile est levé par un des acteurs les plus notables de cette tranche d’histoire. Nous lisons par la même occasion la découverte naïve de la capitale par un jeune provincial au cœur pur, auquel le père spirituel avait donné pour obédience de tenir le journal de son pèlerinage. Voici la troisième partie du texte. Le début se trouve ici.

A la Résidence Patriarcale
Le lundi treize mai, au matin après la prière, Andrioucha et moi allâmes à l’église de Saint Jean le Guerrier. La distance depuis chez Tante Thékloucha jusqu’à l’église s’élevait à un peu plus de deux kilomètres. Tante Thékloucha était notre guide. Traversant des arrières-cours, nous arrivâmes rapidement à l’église. Entourée d’une enceinte, rehaussée de couleurs bleue et rose, elle se dessinait distinctement sur le fond du voisinage. Comme d’habitude, des nécessiteux étaient assis près de l’entrée, attendant la miséricorde du Seigneur.Nous pénétrâmes dans l’église. Il y faisait bon et beau. Deux autels étaient disposés devant les parties gauche et droite du mur coupant le narthex en deux au centre de l’église. Au-delà, on apercevait l’autel principal. A proximité de celui-ci, près du chœur de droite, l’icône miraculeuse de Jean le Guerrier reposait dans sa chasuble, tout contre un grand crucifix. Les reliques du Saint étaient accessible sur la solea devant cet autel. Je les vénérais, ainsi que l’icône de Saint Jean le Guerrier, lui demandant de prier pour moi, pécheur. Deux ou trois grands lustres pendaient dans l’église, symboles de la Lumière du Christ. Le Père Cosmes célébrait l’office. Comment célébrait-il ? Je ne sais. Seul le Seigneur Qui voit dans les cœurs connaissait la disposition du cœur du père. Je remarquai que ses cheveux étaient coupés. Nous priâmes dans l’église jusqu’à la lecture de l’Évangile, après quoi nous nous hâtâmes vers le Patriarcat. En passant, vers dix heures, nous nous arrêtâmes à l’appartement de Nina Vassilievna. Nous nous restaurâmes rapidement, et ayant emmené le nécessaire, nous partîmes en vitesse vers le métro vers la Place Okhotny. Nous changeâmes de station et au bout de deux ou trois minutes, le convoi arriva. Nous montâmes dans le wagon, les protes se fermèrent automatiquement et le convoi s’ébranla. Dix minutes plus tard, nous étions à la station «Maison des Soviets». Nous empruntâmes la rue qui menait à Tchisty Pereoulok [La Venelle Propre/Pure. N.d.T.]. Dix à quinze minutes plus tard, nous arrivions à la Résidence Patriarcale. Le bâtiment était très beau. À l’extérieur, il est peint en jaune. L’avant-cour est entourée d’une élégante clôture de métal. À l’intérieur de la cour, le long des grilles, poussent de beaux arbres aux branches largement déployées. Aux alentours,tout était propre, dans la salon de réception était beau et propre, il régnait un silence inhabituel. En entrant dans la Résidence Patriarcale, j’ai parlé, par inadvertance. Androucha me poussa et dit: “Chut, Vania”. J’ai demandé pardon. Nous entrâmes au vestiaire. Un suisse se tenait près de la porte. Au-dessus de celle-ci était accroché une icône du Sauveur. Une lampade électrique brûlait devant elle. Nous priâmes et ensuite expliquâmes au suisse la raison de notre présence. Il nous indiqua où nous devrions aller. Nous ôtâmes prestement nos manteaux et nous nous rendîmes à la salle d’accueil de l’Archiprêtre Nicolas Koltchitski. Il était déjà midi. Il y avait déjà beaucoup de monde dans le salon de réception de Koltchitski. Nous prîmes notre tour et attendîmes dans la salle d’attente. Dans le coin d’honneur était accrochée une icône de la Très Sainte Mère de Dieu. Une lampade brûlait devant elle. A droite, un divan douillet était disposé le long du mur, et en face se trouvait un bureau. Comme la file était longue, nous décidâmes d’aller voir le secrétaire du Patriarcat, L.N. Pariiski. Nous montâmes l’escalier. Nous vîmes l’Archimandrite Gouri (Egorov), le Supérieur de la Laure de la Trinité-Saint Serge, [par la suite, Métropolite de Simféropol et de Crimée]. Nous reçûmes sa bénédiction et bavardâmes avec lui de choses et d’autres. Pariiski arriva. Nous lui proposâmes d’accepter de notre part des obligations pour la Prime du Métropolite Philarète. Il leva les mains en les agitant, et pris de colère, il offensa grossièrement mon Starets-Vladika. «Un hiérarque aussi éduqué, qui imagine de telles idioties! Les étudiants, ils veulent manger! Qu’il les prenne ses obligations, et qu’il les mange! C’est d’argent que nous avons besoin» s’exclama sévèrement Pariiski. Andriouchha lui répondit : «Attendez, attendez! Nous devons vous expliquer de quoi il s’agit!». «C’est bon, attendez ici. Maintenant, je n’ai pas le temps de discuter avec vous!» Et il s’en alla. Stupéfaits, nous dégringolâmes les escaliers jusqu’à la salle d’attente. «Alors, là, il nous a estomaqués», lâcha Andrioucha. «Il ne nous a laissé aucune chance de nous expliquer!».
Finalement, notre tour arriva, et nous entrâmes chez le Père Nicolas. La pièce où il accueillait clercs et laïcs n’était pas très grande. Il y avait un coin aux icônes, et dans des bibliothèques, une grande quantité de livres, et au milieu, près du mur, une table et des chaises. Il nous bénit et nous nous assîmes. Le Père Nicolas parla des affaires de l’Eparchie de Tchkalov et répondit à nos questions. Nous ne pouvions le retenir longtemps car beaucoup de gens attendaient encore après nous. Le Père Nicolas nous bénit et m’invita à concélébrer lors d’une liturgie patriarcale.
Le Métropolite Nicolas Yarouchevitch
Nous décidâmes de visiter l’Institut de Théologie et nous marchâmes jusqu’à l’arrêt du tramway à deux ou trois blocs d’immeubles de la Résidence Patriarcale. Le tramway arriva sans tarder. Nous y prîmes place et nous rendîmes au Monastère de Novodevitchi, où se trouvait l’Institut de Théologie. Le trajet dura dix à quinze minutes. Passant les portes du Monastère, nous nous retrouvâmes dans la cour et y aperçûmes des gens auxquels nous demandâmes où trouver le vice-recteur de l’Institut. On nous indiqua le bâtiment dans lequel se trouvait le secrétariat du vice-recteur. Il se situait dans l’immeuble de l’église-réfectoire. Nous y pénétrâmes et trouvâmes le Vice-Recteur Savine, assis à son bureau. Visiblement, il préparait des documents pour les étudiants. Nous nous saluâmes et prirent place sur des sièges. Andrioucha posa des questions sur l’organisation des études à l’Institut de Théologie. Le Vice-Recteur nous expliqua tout. Nous ne voulions pas le distraire trop longtemps de son travail, et prîmes congé. Nous visitâmes l’église-réfectoire. Elle comptait un seul autel mais était spacieuse. L’iconostase était petite. C’était dommage que, mis à part l’église-réfectoire, tout le monastère était à disposition d’un musée. Cela faisait mal de voir comment les saints lieux de notre Église étaient bafoués par les impies. Si on imaginait combien de moniales auraient pu faire leur salut ici… Mais c’était impossible, et il valait mieux n’y pas penser! D’ailleurs, que la volonté de Dieu soit faite en tout!
De l’Institut de Théologie, nous sommes rentrés chez Nina Vassilievna. Nous y reprîmes des forces. Ensuite comme l’heure des vêpres approchait, nous sommes repartis en hâte vers la station de métro. Andrioucha et moi ne savions pas où se trouvait l’église Obydennaia, nous nous fourvoyâmes, et arrivâmes devant l’église Saint Nicolas de Khamovniki. Nous rebroussâmes chemin et demandâmes en cours de route où se trouvait l’église Obydennaia. On nous indiqua comme nous y rendre. Il s’avéra que nous nous étions éloigné de plus de deux kilomètres. Nous nous hâtâmes au point que mes chaussettes furent trempées de sueur. Gloire à Dieu! Finalement, nous étions devant l’église de Dieu!
A l’intérieur, il y avait foule, et pendant la liturgie, on était serrés les uns contre les autres. Les prêtres étaient déjà prêts à accueillir le métropolite. Ils avaient revêtu leurs ornements liturgiques et attendaient dans le porche de l’église. Vu le nombre impressionnant de fidèles, on nous demanda, à Andrioucha et moi d’essayer de les contenir, afin que les prêtres disposent de suffisamment d’espace pour accueillir Vladika. Les minutes d’attente s’écoulaient, cinq minutes, dix minutes, et toujours rien. Au bout de quinze minutes, on entendit parmi la foule : «Vladika arrive». Un véhicule s’approchait lentement de l’église. Deux hypodiacres et un prêtre s’avancèrent pour accueillir le métropolite. Son Excellence le Métropolite Nicolas (Yarouchevitch) de Kroutitski sortit de la voiture, en kolouk blanc et rasson noir. Son visage était joyeux, il souriait. Entrant dans l’église, il saluait tout le monde par les lumineuses paroles de Pâques : «Le Christ est ressuscité!». Et toute l’église de répondre : «En Vérité Il est ressuscité !». Les hypodiacres enfilèrent rapidement sur Vladika la longue mantia violette. Ensuite, tout se déroula selon la règle de l’office épiscopal.
Il y avait tellement de fidèles que nous ne parvînmes pas à retenir la foule et nous fûmes repoussés. C’était la cohue. Andrioucha et moi, nous tentâmes d’avancer jusqu’au trône du hiérarque, afin de pouvoir observer la célébration du Métropolite Nicolas. Avec l’aide de Dieu, nous y arrivâmes tant bien que mal.Grâce à Die les fidèles se calmaient progressivement., bien qu’en entendisse encore ça et là les voix mécontentes de ceux qui se sentaient écrasés par la foule.
Et les vigiles commencèrent enfin. Les fidèles dirigèrent leur regard du côté de l’autel où se trouvait le Métropolite et les prêtres. Dans le chœur, les chantres chantaient très bien, et surtout, ils chantaient selon les mélodies de l’Église, si bien que mon âme était remplie de joie et de priante consolation. Il est vrai qu’un événement m’attrista quelque peu. Lorsque Vladika, faisant fi de l’importance de la foule, sortit dans le narthex, une énorme bousculade survint et des cris résonnèrent. L’inclinaison à la prière fut ébranlée chez de nombreux fidèles. Certains étaient tellement écrasés qu’ils parvenaient à peine à respirer. Mais tout le reste du temps, les choses se déroulèrent convenablement. J’ai particulièrement apprécié le moment de la sortie du Métropolite, des archimandrites et de tous les prêtres, pour chanter «Nous Te magnifions…». Il me sembla alors que la puissance de la mélodie de la prière faisait frémir toute l’église. C’était une mélodie était harmonieuse, cohérente. On sentait qu’à cet instant, la Très Sainte Mère de Dieu Elle-même était présente, étendant sur tous Son omophore.
Les vigiles prirent fin. Après l’office, le Métropolite prononça une homélie à propos de la signification de la fête d’aujourd’hui, consacrée à l’icône de la Très Sainte Mère de Dieu «Joie inattendue». L’homélie ne me plut pas. Et je ne sais ce qu’en pensèrent les fidèles. A onze heures du soir, nous rentrâmes à l’appartement de Nina Vassilievna. (A suivre)
Traduit du russe

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