L’Archimandrite Raphaël est un défenseur ardent de la Tradition de l’Église. Il a consacré une grande partie de sa vie longue de 90 ans ainsi que la majeure part de sa production littéraire foisonnante à la défense des dogmes et à la façon de les mettre en œuvre dans la vie de l’Église et du chrétien. L’original russe du texte ci-dessous fut publié le 22 décembre 2008 sur le site Pravoslavie.ru, mais il est également accessible sur le site internet de l’auteur. L’argumentation simple, claire et solide de l’Archimandrite Raphaël a le mérite de tracer un tableau clair de ce qui oppose traditionalisme et modernisme dans l’Église. La biographie de ce clerc de l’Église de Géorgie est accessible ici. Voici la deuxième partie de la traduction de l’original, la première se trouve ici.

Que signifie «rester ce qu’on est»?
C’est penser que le simple fait d’être humain nous rend digne du paradis. C’est considérer que sans lutter contre les passions qui vivent dans notre corps, sans aspirer à la grâce, on peut être sauvé. C’est pourquoi le modernisme contient, comme une graine, une apologie secrète du péché; en outre, dans de nombreuses confessions, en particulier protestantes, elle devient plus évidente.
Que signifie la «parole vraie» que le Seigneur a révélée à l’Église?
Avant tout, ce sont les dogmes chrétiens.Quels sont les positions du traditionalisme et du modernisme envers la dogmatique ?
Les traditionalistes considèrent que les dogmes sont comme un rayonnement de lumière divine qui éclaire l’âme humaine et donne à l’esprit une incorruptibilité intellectuelle particulière. Les dogmes sont inviolables non seulement pour les humains, mais aussi pour les anges. Le premier ange tomba parce qu’il avait violé le premier dogme de l’unité de la Sainte Trinité; il voulait devenir la quatrième hypostase de la Trinité, un être égal à Dieu. La distorsion des dogmes de l’église rend impossible de représenter l’image du Christ dans l’âme de l’homme: il sera remplacé par un autre : un visage faux, sombre et mort.Le modernisme est une lutte contre les dogmes de l’Église qui se dressent comme un mur sur son chemin. Les modernistes ne nient pas explicitement les dogmes, mais essaient de les présenter comme des concepts apparus au cours de l’évolution de la pensée religieuse, comme des idées relativistes et des modèles verbaux de ce qui ne peut être appris. Ici, le modernisme cherche un soutien dans l’agnosticisme. Paradoxe étrange: le modernisme comme pendule d’horloge oscille entre le rationalisme et le scepticisme; il tente alors de définir l’incompréhensible de manière rationaliste : profaner les dogmes, puis, contradictoirement, rejeter leur éternité du point de vue de l’agnosticisme.
Quelle méthode les modernistes utilisent-ils dans la lutte contre les dogmes pour cacher leur adogmatisme et paraître orthodoxes?
Cette méthode est la suivante: les modernistes mélangent les dogmes avec des théologoumènes, les opinions privées des théologiens ou généralement des personnes faisant autorité, et essaient de remplacer le dogme orthodoxe par une mosaïque hétéroclite de citations tirées de diverses sources, déclarations, opinions, hypothèses, conjectures, c’est-à-dire de créer une confusion théologique.
Qu’est-ce qui distingue les dogmes et les théologoumènes?
Les dogmes possèdent ces propriétés et caractéristiques qui définissent l’Église dans le Credo: l’unité, la sainteté, la catholicité et l’origine apostolique.
Arrêtons-nous sur la première propriété des dogmes: c’est l’unité, l’intégrité et la cohérence. Il n’y a pas de pluralité (pluralisme) de vérité, car la vérité ne peut se contredire. La révélation est une vérité holistique qui ne peut être modifiée, modelée et déformée. La détérioration d’un dogme entraîne la détérioration de l’ensemble de la dogmatique, de sorte que rien ne peut être enlevé ni ajouté à l’héritage dogmatique de l’Église. On ne peut pas non plus considérer un dogme de manière isolée et abstraite, indépendamment de la dogmatique toute entière. Un dogme ne peut contredire un dogme, cependant, il est antinomique par rapport à la raison humaine, et ne peut pas être épuisé par elle, puisque le fini ne contient pas et ne limite pas l’infini.
Dans le sens gnostique-raisonné, le dogme reste toujours incompréhensible, mais dans le sens mystique, il est compris par la foi, comme la lumière est directement contemplée. En d’autres termes, par la foi, la personne est incluse dans le champ dogmatique de l’Église, et l’assimilation des dogmes se produit comme l’adhésion de l’âme au dogme, qui, à partir d’un objet externe, devient la dynamique interne de sa conscience spirituelle. Le dogme n’est pas compris, mais accepté. Il n’est pas confronté à la présence de nos connaissances et représentations, fruits de l’expérience terrestre, mais il se fait sentir intérieurement. Et dans cette perception intérieure du dogme s’accomplit la transfiguration de l’esprit humain. C’est un état qui peut être décrit comme l’esprit ressuscitant de la tombe du visible et du tangible, de la limitation et de l’angoisse de l’expérience terrestre, de l’obscurité des complexes intellectuels et des superstition rationnelles.
Quelle est la différence entre l’esprit et la raison?
Pour l’homme moderne, l’esprit et la raison semblent être synonymes, mais en réalité, l’esprit est l’unité des forces cognitives (gnostiques), dont les racines sont dans le cœur, et la raison se réfère à l’esprit en tant que partie de l’ensemble. Les pensées d’une personne surgissent dans le cœur, puis elles prennent la forme d’un mot et sont finalement formées par la raison.
Après la chute dans le péché, les forces de l’âme de l’homme se sont désunies et se sont désintégrées: la force de pensée, les sentiments et la volonté ont perdu leur unité et leur intégrité antérieures et se sont éloignés les uns des autres; ils ont brisé l’harmonie et la synchronicité antérieures et se sont souvent opposés. Lorsque la grâce touche l’esprit et le réveille, les impulsions spirituelles pénètrent dans le domaine de l’âme et unissent à nouveau ses forces. Mais quand la grâce s’éloigne de l’homme, l’esprit cède la place à l’âme, comme s’il se cachait en lui-même, et l’âme est à nouveau déchirée par les forces centrifuges. Ici, surtout, la connaissance religieuse est déformée: la raison, force de l’âme, ayant perdu les impulsions de l’esprit qui l’imprègnent et l’éclairent, devient aveugle et sourde vis-à-vis du monde métaphysique; elle veut connaître celui-ci à l’aide de constructions logiques et fabrique ses propres modèles du monde spirituel, ses représentations plates et mortes.
En outre, les sensations déconnectées de l’esprit cessent de percevoir le mysticisme de la lumière divine et le remplace par l’exaltation et l’extatisme artificiel. Cette mystique fausse, qui n’est que l’incandescence des passions associées à une imagination incontrôlable, est caractéristique du néo-paganisme moderne. Elle captive l’homme par la promesse de percées à travers les obstacles du temps et de la matérialité, la sortie vers d’autres mondes, comme l’homme est captivé par les visions narcotiques, où le ciel et l’enfer échangent leurs places.
Il y a un troisième type de mystique, la mystique du vide, la mystique de l’autodestruction: c’est la mystique du bouddhisme et du lamaïsme, la mystique de l’Himalaya et du Tibet, c’est la joie du suicide, c’est la joie de tomber dans le vide métaphysique sans fond. Maintenant est arrivé le temps de l’absence catastrophique de spiritualité, le temps de la démonisation de la personne humaine. Il semble que la grâce ait quitté la terre, ne trouvant pas de place dans le cœur humain. Chez les contemporains, les intuitions spirituelles sont de plus en plus émoussées et affaiblies. L’homme perd sa vision mystique et spirituelle, cet œil intérieur qui contemple la lumière éternelle et invisible. Par conséquent, à notre époque, la tâche de la théologie est de préserver ce que nous n’avons pas encore perdu.
Quelle est la forme verbale des dogmes identifiés et approuvés par les Pères de l’Église lors des Conciles Œcuméniques?
La forme affirmative. Le dogme dans l’Église signifie la loi, l’affirmation et l’ordre. L’hypothèse, la supposition, l’image, la métaphore, la comparaison, le symbole ne peuvent servir de moyens linguistiques pour exprimer les dogmes. L’image ne peut pas exprimer le dogme: de ce matériau amorphe, l’acier du dogme n’est pas forgé, puisque l’image généralise, mais le dogme ouvre; le dogme ne s’adresse pas à l’imagination de l’homme ni à ses expériences émotionnelles, mais à cette gnose spirituelle qui intervient quand les images terrestres cessent d’exprimer les réalités du monde spirituel.
Le symbole ne peut pas non plus devenir un dogme, car le symbole est encore plus polyvalent que l’image et renferme un sens sémantique pluriel, souvent contradictoire, encore plus large que l’image et peut être plus facilement soumis à des interprétations différentes. Par conséquent, les dogmes sont donnés sous la forme de thèses claires contenant des idées. Ces idées se situent au-delà des perceptions sensorielles et ne sont pas disponibles à l’analyse et la recherche logiques. Ils ne sont pas soumis à la déduction ou à l’induction; ils sont perçus par l’homme directement par la foi, comme s’ils s’incluaient dans un nouvel être. Pour celui-ci, c’est par la prière et l’ascèse que les dogmes deviennent des réalités métaphysiques. L’homme commence à percevoir intuitivement et mystiquement les dogmes comme la lumière de son âme, et la distorsion des dogmes comme une maladie, comme une zone d’ouverture des ténèbres, comme une perte du chemin, comme une perte de respiration intérieure, comme l’ombre de la mort qui aurait recouvert l’âme. On peut dire que par la foi, l’homme perçoit le dogme comme la vérité, par l’espérance, il l’expérimente dans un sentiment spirituel spécial, comme s’il était en contact avec lui, et par l’amour, il assimile le dogme, et en même temps son âme assimile le monde spirituel.
Pour les modernistes, les dogmes sont des constructions relativistes de l’esprit et des simulations de représentations humaines du transcendant et de l’inconnu. La propriété immuable du dogme est la sainteté, car le dogme est contenu dans la révélation divine. La révélation de Dieu est ontologiquement inhérente au dogme chrétien. Le dogme est le reflet du Logos divin. La pureté dogmatique est un attribut constant de l’Église; avec sa distorsion et sa perte, le concept même de l’Église disparaît, et si par inertie il persiste, alors c’est de façon relative et conditionnelle, comme un anachronisme.
Pour les hérétiques, l’Église n’est pas le Corps du Christ, pour eux, il n’y a pas d’Église comme corps vivant. Les communautés hérétiques sont la transition de l’ontologique à des constructions artificielles qui peuvent être démontées et réassemblées dans diverses variantes et modèles. Les dogmes ne sont pas inventés selon le principe de l’heuristique, ils n’apparaissent pas comme quelque chose de connu auparavant et oublié, ne sont pas composés par les esprits philosophiques. Ils sont cristallisés et révélés à partir des Écritures et de la Tradition par la conscience de l’Église; en même temps, ils reçoivent une formulation verbale la plus exacte possible. Mais on ne peut pas parler de l’évolution d’un dogme, de son augmentation et de son enrichissement. Les dogmes ont toujours existé dans la révélation donnée à l’Église, et cela a préservé l’identité de l’Église tout au long de son histoire.
La violation des dogmes pervertit la vie spirituelle de l’homme et le prive de repères solides. Si un voyageur sur un sentier verglacé de montagne perd son point d’appui, il commence à glisser vers le bas à une vitesse de plus en plus élevée. Cette chute se termine le plus souvent au fond de l’abîme.
Traduit du russe
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