Le texte ci-dessous est la cinquième partie de la traduction d’un original russe intitulé «10 лет рядом с блаженной Катенькой», de Nika Grigorian, régente du chœur de l’église Saint Alexandre Nevski (la principale église russe de la ville) à Tbilissi entre 1994 et 2004. C’est à proximité de cette église que vécut la Bienheureuse Ekaterina, au sujet de laquelle Madame Grigorian, qui entretint des contacts étroits avec elle, partage ses nombreux souvenirs qui brossent le portrait de Katienka, une folle-en-Christ géorgienne de notre époque, fille spirituelle des startsy de Glinsk. L’original russe a été publié sur le site Pravoslavie.ru le 10 décembre 2021.

Mère Maria
Un jour, nous étions assise au chœur, avec les sœurs, avant l’office. Katia arriva et commença à asticoter une des moniale, Matouchka Maria, Xénia dans le Schème. C’était une grande héroïne de l’ascèse, fille spirituelle du Starets Vitali. Katia la «relançait» souvent, ne la laissant jamais en paix. Katia dit alors quelque chose de vraiment loufoque au sujet de Matouchka et je ne pus m’empêcher de rire. Katia se tourna vers moi et demanda calmement : «Pourquoi ris-tu? Elle, au moins elle a une tirelire, mais toi, pour ton âme, tu n’as rien du tout». Ces paroles résonnèrent très longtemps à mes oreilles…Mère Maria était très gentille et affectueuse, et Katia était très agaçante, car elle ne donnait vraiment aucun répit à Matouchka. Une fois se produisit ce qui suit. Matouchka Maria vint à l’église et se plaignit: «Vous tenez toutes avec votre Katia, vous la flattez sans arrêt. Vous savez ce qu’elle m’a fait aujourd’hui? Je traversais la rue. Elle a sauté vers moi et vlan, elle m’a donné soudainement un poing sur la mâchoire, j’en ai eu des étincelles de mes yeux!» Nous avons essayé de la consoler, de la réconforter. Et quelqu’un demanda à Matouchka: «Mère, peut-être intercèdes-tu pour quelqu’un?» Matouchka sourit, embarrassée, ne répondit rien. Elle était humble.
Mère Maria raconta: avant, elle avait pitié de Katia. Elle l’avait emmenée chez elle pour la nuit. Elle vivait à la périphérie de la ville dans une petite cabane. Sa petite cour était entourée d’une clôture au-delà de laquelle vivaient les voisins. Katia prit l’habitude d’y aller seule pendant que Matouchka était à l’église. Les voisins se plaignirent. Katioucha les embêtait, jurait, entrait chez eux en grimpant par-dessus la clôture, jetait toutes sortes de déchets, etc. Alors Matouchka lui interdit d’apparaître encore chez elle et depuis lors, elle se gardait de Katia.
Malheureusement, à l’époque, Mère Maria ne comprenait pas pourquoi Katioucha se comportait ainsi. Il s’est avéré que plus tard, ces voisins ont commencé à voler constamment Matouchka, bien qu’elle ne possédât rien qui vaille d’être emporté; elle menait un mode de vie tellement ascétique. Puis ils lui ont coupé les fils électriques, et elle est restée très longtemps sans lumière, s’éclairant de longs copeaux allumés. Tout cela, elle le souffrit en silence, sans se plaindre. J’ai rendu visite Matouchka quand elle était malade et j’ai été frappée par la rigueur de sa vie. Dans sa petite cabane où régnait une semi-pénombre, il y avait un lit en fer, une table de chevet, une petite table, un tabouret et du kérosène. Rien de plus. Son seul manteau était accroché à un clou. Avec ses maigres économies, elle avait acheté un bidon de kérosène pour l’hiver mais ses voisins l’avaient «exproprié». Et ils avaient emportés sa seule icône précieuse. Un jour, ils sont allés jusqu’à voler son khatchapouri [Sorte de chausson au fromage, préparation culinaire géorgienne. N.d.T.] qu’elle avait laissé sur la table. Tout cela Katioucha l’avait prévu.
Comment Katioucha prenait soin de moi.

La Bienheureuse Katia

Katia m’avait donné quelques livres de prières et un petit livre intitulé «Les Saints Pères au sujet de la Prière». Ce livre contient de brèves instructions et des paroles des saints pères. Au début, je n’ai pas prêté beaucoup d’attention à ce livre. Après l’avoir regardé, je l’avais mis de côté sur une étagère. Mais un jour que Katia me chassa de l’église, je fus très affligée, et tout à coup ce livre attira mon regard. J’y ai soudain trouvé un grand réconfort dans une paroles sages du Starets Amphiloque, comme si elle avait été écrite spécialement pour moi. Je me suis dit: Katia m’a-t-elle donné ce livre pour me réconforter dans un moment difficile?..
Et un jour, Katioucha m’a donné une bague, toute dérisoire, enfantine, simple, avec de la verroterie au lieu de pierres. Au milieu un faux caillou d’un bleu clinquant, et sur les côtés deux autres, d’un rouge vif. Katia vit un jour que je lisais mon livret de commémoration et me dit: «Ce n’est pas nécessaire de commémorer tous ceux-là». J’ai demandé: «Katienka, et qui dois-je commémorer?». Elle répondit : «Seulement ceux qui vivent avec toi sous un même toit».
Comment Katia m’habillait
En général, j’étais en quelque sorte sous son contrôle. Elle regardait comment j’étais habillée et me donnait des «recommandations» à ce sujet. Ou elle m’enlevait franchement mes affaires, et en retour, elle m’en apportait d’autres, qui à son avis étaient plus appropriées pour moi. Par exemple, elle ne me laissait pas me couvrir la tête avec des châles noirs; elle disait: «ne porte pas de noir, c’est très lourd». En échange, elle m’en a donné plusieurs, bigarrés. Parfois, elle me donnait des choses ridicules, par exemple, en guise de chapeau, un bonnet d’Astrakhan en fausse fourrure, d’une couleur émeraude brillante. J’ai dû rentrer chez moi ce jour-là coiffée de ce couvre-chef loufoque. Pour l’été, elle m’apporta un panama, et elle me l’enfonça si bien qu’à cause des bords, je ne pouvais rien voir autour de moi. J’ai saisi l’allusion : quand tu marches dans les rues, ne regarde pas autour de toi.
Un hiver, elle apporta des vêtements en laine naturelle et je dus les enfiler immédiatement. Ces choses étaient vraiment de bonne qualité et très chaudes. Elle emmena mes anciens vêtements en disant: «C’est mieux», et elle ajouta : «Vous n’avez pas le temps d’aller chercher cela vous-même, j’ai apporté ce dont vous avez besoin». Et question taille, c’était exactement ce qui me convenait.
Une autre fois, je portais de nouvelles chaussures, à mon avis très bonnes et confortables. Mais elles ne plurent pas à Katioucha. En échange, elle m’en apporté d’autres, très chaudes. Je les porte depuis des années et elles ne s’usent pas.
En hiver, dans les années 1990, il n’y avait ni lumière ni chauffage, et il faisait très froid dans l’église. Garder le manteau pendant tout l’office était peu commode, alors je portais un débardeur en peau de mouton. Katia vint à moi, tâta mon débardeur, l’examina, puis dit timidement: «Il faudrait quelque chose de plus simple». (À ce moment-là, par hasard, nous avons été photographiées.) Après cela, j’ai commencé à porter un débardeur en tricot, sans prétention. Katia approuva. Et Katioucha me donna aussi pour l’hiver beaucoup de gants de laine de différentes couleurs, en disant: «Ne les donnez à personne». L’été, quand il faisait très chaud, souvent elle amenait un ventilateur.
Katia parvenait par sa sagesse particulière à faire des allusions et à donner des leçons de façon très subtile.
C’était la saison chaude, j’avais une veste avec des manches courtes (appelées «3/4»). Katioucha me demanda : «Tu ne me donnerais pas ta veste?» Je l’ai immédiatement ôtée et la lui ai donnée. On ne vit plus Katioucha de toute la journée, et le soir, elle me rendit la veste, modifiée : les manches avaient été allongées (elles avaient maintenant une longueur normale, couvrant les poignets). Sur le revers du vêtement, des boutonnières avaient été ouvertes, la dragonne enlevée, et des boutons avaient été cousus. Je n’ai pas immédiatement compris le sens de tout cela, puis j’ai réalisé ce qu’elle voulait dire: ne portez pas de manches courtes, ne marchez pas avec le cou découvert, couvrez-vous. Elle n’aimait pas quand je circulais avec le haut de mon vêtement ouvert; elle s’approchait et fermait tous les boutons du manteau ou la fermeture-éclair de la veste, en disant: «Allons, ne vous découvrez pas, fermez tout cela». Je soupçonne que ce n’était pas sans allégorie.

(A suivre)
Traduit du russe

Bienheureuse Matouchka Katia, prie Dieu pour nous!

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