Écrits

Le Métropolite Ioann de Saint-Pétersbourg et Ladoga, de bienheureuse mémoire, est l’un des auteurs russes les plus traduits sur le présent blogue. Sa vie est longuement abordée dans la rubrique qui est consacrée à Vladika Ioann.
Le texte ci-dessous est la suite de la traduction inédite en français d’un long chapitre, en réalité un addendum, d’un livre édité à partir de leçons données par le Métropolite Ioann, alors encore Archevêque de Samara, à l’Académie de Théologie de Leningrad en 1989, au sujet de la situation de l’Église en Russie au début du XXe siècle, des schismes qui l’ébranlèrent et des grands confesseurs de la foi qui la maintinrent à flots contre vents et marées. La vie de trois d’entre eux est abordée par Vladika Ioann: le Saint Métropolite Benjamin (Kazanski) de Petrograd et Gdov, le Saint Archevêque Hilarion (Troïtski) de Vereya, et le Saint Hiéromoine Nikon (Beliaev) d’Optino. L’original russe est donc l’addendum du livre «Rester debout dans la foi» (Стояние в вере), publié à Saint-Pétersbourg en 1995, par les éditions Tsarskoe Delo.

(…) Le Procès commença le samedi 10 juillet 1922. La séance du tribunal révolutionnaire de Petrograd fut tenue dans la salle de la philharmonie (l’ancienne Assemblée de la Noblesse), située au coin des rues Mikhaïlovski et Italienne, et pouvant accueillir environ 2500 ou 3000 occupants.
La lecture de l’acte d’accusation eut lieu le lundi 12 juillet. L’interrogatoire du Métropolite fut menée, essentiellement, dans trois directions :
1) l’attitude du Métropolite face aux dispositions prises par le synode de Sremski Karlovci (De façon générale le procès aborda très longuement ces dispositions, quasiment plus que la saisie elle-même),
2) l’attitude du Métropolite face au décret relatif à la saisie des biens et valeurs ecclésiastiques, et
3) les deux déclarations du Métropolite que nous avons évoquées auparavant, et qu’il avait adressées au Pomgol.
Pour ce qui est de la première direction, le Métropolite déclara que les dispositions prises à Sremski Karlovci lui étaient inconnues, tant officiellement qu’à titre privé.
En ce qui concerne le deuxième point, il déclara qu’il avait considéré et considérait encore qu’il était nécessaire de céder tous les biens ecclésiastiques pour sauver ceux qui mouraient de faim. Mais il n’avait pu et ne pourrait jamais bénir une méthode de saisie qui du point de vue de tout chrétien soit un sacrilège évident.
Mais le centre de gravité, en ce qui concerne la responsabilité personnelle du métropolite, c’était le troisième point. Par les questions les plus variées et les plus insidieuses, on harcela Vladika afin qu’il «lâche» des indications permettant d’apprendre qui était réellement l’inspirateur ou le rédacteur des deux déclarations adressées au Pomgol. On essaya clairement de l’impressionner pour qu’il nomme les «rédacteurs» ou du moins pour qu’il désavoue le contenu de ses déclarations. Et il serait sauvé. Le Métropolite fit comme s’il n’avait pas remarqué les «bouées de sauvetage» qui lui étaient offertes et, regardant droit dans les yeux les membres du tribunal, il déclarait fermement et invariablement : «Moi seul ai pensé et élaboré, rédigé et envoyé mes déclarations. Et d’ailleurs, je n’aurais toléré aucune ingérence dans la résolution de telles questions car elles relevaient seulement de ma compétence en tant que métropolite». Quand il prononça ces paroles on nota une sorte de nuance autoritaire qui, de façon générale n’était pas inhérente à sa personnalité.
Après cela, pour lui personnellement, tout était fini.
On lui déclara que son interrogatoire était terminé et il regagna sa place avec un calme imperturbable.
Commencèrent alors les interrogatoires des autres accusés et puis ceux des témoins.
Le quatre juillet, quand les débats du procès furent terminés, le président proposa au Métropolite (et de la même façon, aux autres inculpés), de prendre une dernière fois la parole.
Le Métropolite se leva et parla. Dans son intervention, il fit remarquer que de tout ce qu’il avait entendu à son sujet, ce qui l’avait le plus affligé, c’était que les procureurs l’avaient qualifié «d’ennemi du peuple». Il ajouta : «Je suis un fils fidèle de mon peuple. Je l’aime et je l’ai toujours aimé. Je lui ai donné ma vie et je suis heureux de ce que le peuple, ou plus exactement, le peuple des simple gens, m’ait payé avec le même amour et m’ait mis à la place que j’occupe dans l’Église Orthodoxe».
Ce fut tout ce que le Métropolite dit de lui-même dans sa dernière intervention. Le reste, qui occupa une partie assez longue de celle-ci, il le consacra à des considérations et explications visant à défendre certains inculpés, faisant référence à des documents et à d’autres informations, faisant montre à cette occasion d’une impressionnante mémoire, de cohérence et d’un calme imperturbable. Une de ses allégations semblait, comme il le reconnu lui-même, non-étayée. Il fit alors remarquer avec le calme sourire qui lui était propre : «Je pense qu’à ce sujet, vous me croirez sans autre preuve. Ne suis-je pas, selon toute probabilité, en train de parler en public pour la dernière fois de ma vie? Ceux qui se trouvent dans cette situation, il est d’usage qu’on les croie sur parole».
Ce moment fut renversant, inoubliable. Tous perçurent clairement la prodigieuse force morale de cet homme qui en de tels instants, s’oubliant lui-même, pensait seulement au malheur des autres et s’efforçait de se porter à leur aide.
Dans le silence empreint de révérence qui régna après les derniers mots du Métropolite, résonna la voix du président de la séance : «Mais vous n’avez fait que parler des autres. Que dites-vous de vous-même?». Le Métropolite, qui était déjà retourné s’asseoir, se leva à nouveau et regarda le président avec une certaine perplexité. Il dit alors calmement et distinctement : «De moi-même? Que pourrais-je vous dire de moi-même? Une seule chose, sans doute… Je ne sais pas ce que vous m’annoncerez dans votre sentence, vie ou mort, mais quoi que vous annonciez, j’élèverai les yeux avec vénération et je me signerai du signe de la Croix, disant cela, le Métropolite se signa d’un geste lent et ample, et je dirai : «Gloire à Toi, Seigneur Dieu, pour tout».
Ce furent les derniers mots du Métropolite Benjamin. (A suivre)
Traduit du russe

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