Écrits

Le Métropolite Ioann de Saint-Pétersbourg et Ladoga, de bienheureuse mémoire, est l’un des auteurs russes les plus traduits sur le présent blogue. Sa vie est longuement abordée dans la rubrique qui est consacrée à Vladika Ioann.
Le texte ci-dessous est la suite de la traduction inédite en français d’un long chapitre, en réalité un addendum, d’un livre édité à partir de leçons données par le Métropolite Ioann, alors encore Archevêque de Samara, à l’Académie de Théologie de Leningrad en 1989, au sujet de la situation de l’Église en Russie au début du XXe siècle, des schismes qui l’ébranlèrent et des grands confesseurs de la foi qui la maintinrent à flots contre vents et marées. La vie de trois d’entre eux est abordée par Vladika Ioann: le Saint Métropolite Benjamin (Kazanski) de Petrograd et Gdov, le Saint Archevêque Hilarion (Troïtski) de Vereiya, et le Saint Hiéromoine Nikon (Beliaev) d’Optino. L’original russe est donc l’addendum du livre «Rester debout dans la foi» (Стояние в вере), publié à Saint-Pétersbourg en 1995, par les éditions Tsarskoe Delo.

(…) Le Métropolite, avec sa douceur caractéristique, mit fin à cette scène oppressante et essaya d’apaiser les passions déchaînées. Pour lui, le plus important était d’éviter les affrontements sanglants entre les fidèles et les agents du pouvoir. Il était impossible de tergiverser. La situation devenait de plus en plus tendue. Il fut décidé d’entamer de nouvelles négociations avec le pouvoir et, à l’insistance du Métropolite, cette tâche fut confiée à Vvedenski et Boyarski, parce qu’ils avaient adopté une position favorisée par le pouvoir.
La suite justifia ce choix. Les nouveaux envoyés eurent rapidement réglé l’affaire. Un accord formel fut conclu entre le Métropolite et le soviet de Petrograd, énoncé en une série de points et imprimé dans la Pravda début avril. On avait encore réussi à obtenir quelques concessions de la part du pouvoir. La plus importante était que les fidèles avaient le droit de remplacer les objets saisis à une église par d’autres biens de valeur équivalente. Le Métropolite, pour sa part, s’était engagé à adresser aux fidèles une déclaration appropriée, qui fut imprimée dans le même numéro du journal. Dans cette déclaration, Vladika, sans s’écarter de son point de vue de principe, priait les fidèles de ne pas résister même en cas de recours à des méthodes coercitives de saisie et de se soumettre à la force.
Il semblait qu’à partir de ce moment, tous les différends et les malentendus entre le clergé et le pouvoir au sujet de la démarche pouvaient être considérés comme terminés. Les saisies se poursuivirent avec grande intensité. Les autorités ne rencontrèrent pas d’obstacles sérieux, à l’exception de cas isolés de petits groupes de la population, d’insultes aux agents du pouvoir et de vétilles similaires. En fin de compte, la saisie se déroula avec un tel succès que le chef de la milice locale lui-même fut contraint de constater dans son rapport officiel que la campagne avait été remarquable et relativement calme (il va sans dire que ce rapport avait été rédigé avant que l’action contre le Métropolite fût prévue).
Mais le coup de tonnerre éclata d’un autre côté. Vvedenski, Belkov, Krasnitski (qui rapidement s’affirmèrent organisateurs du mouvement «église vivante») et d’autres avec eux, ne pouvaient pas et ne voulaient pas s’arrêter à l’étape qui était accomplie. Grâce à la collaboration des autorités, une nouvelle et grandiose perspective s’ouvrait à eux: s’emparer du pouvoir ecclésiastique et l’utiliser comme bon leur semblait.
A Petrograd se répandit au début du mois de mai la nouvelle d’un renversement du pouvoir ecclésiastique, mené par le groupe précité, de l’évincement du Patriarche Tikhon, etc. Mais personne ne disposait d’informations précises.
Vvedenski, qui après ce «coup d’état ecclésiastique» revint de Moscou à Petrograd auprès du Métropolite Benjamin, annonça la formation d’un nouvel organe de direction de l’Église et sa nomination personnelle en qualité de délégué de cet organe de direction pour l’Éparchie de Petrograd.
En réponse à cela, suivit de la part du Métropolite un pas que personne n’attendait, probablement compte tenu de la douceur et de la longanimité étonnantes de Vladika. Mais tout a des limites. Le Métropolite put faire preuve de la plus grande obéissance alors qu’il ne s’agissait que des biens et valeurs ecclésiastiques. Le but déclaré de la saisie et, de plus, le danger qui menaçait les fidèles, justifiaient cette ligne de conduite. Maintenant, face à l’un des usurpateurs du pouvoir de l’Église, le Métropolite comprit immédiatement, non seulement avec sa raison, mais avec tout l’instinct d’un chrétien sincère et profondément croyant, qu’il ne s’agissait plus d’objets sacrés; une vague de rébellion était en train de s’abattre sur l’Église elle-même.
En ce moment funeste, il prit conscience de toute sa grande responsabilité et déclara avec autorité à Vvedenski: «Non, je ne l’admets pas». Et le Métropolite ne se pas limita pas à cela. Le lendemain, Vladika publia une décision au sens de laquelle Vvedenski était déclaré «en dehors de l’Église orthodoxe», indiquant tous les motifs de cette décision. Cependant, la douceur de Vladika se manifesta également ici ; la décision indiquait son caractère temporaire : «jusqu’à ce que Vvedenski reconnaisse son erreur et y renonce». Cette sentence, imprimée dans les journaux, provoqua le mécontentement des autorités et dans la presse on vit paraître des protestations et même des menaces envers le Métropolite. Toutefois, la popularité charismatique du Métropolite chez les fidèles demeurait très grande, et l’excommunication de Vvedenski ne pouvait pas ne pas impressionner énormément ceux-ci. Éliminer physiquement le Métropolite eût été chose facile, mais la sentence qu’il avait promulguée lui survivrait et pourrait avoir de sérieuses conséquences menaçant d’écraser dans l’œuf la nouvelle «église révolutionnaire». Les autorités décidèrent dès lors de recourir à une autre méthode, la voie des menaces et compromis. Quelques jours après l’excommunication de Vvedenski, celui-ci fit son apparitions chez le Métropolite. Il était accompagné d’un ancien représentant de la tchéka de Petrograd et ensuite du comité Bakaev, qui combinait à ces fonctions sa qualité «d’oberprocureur» de la nouvellement fondée «direction révolutionnaire de l’Éparchie». Les deux hommes remirent un ultimatum au Métropolite : ou il retirait sa sentence envers Vvedenski, ou un procès serait organisé contre lui et une série d’autres membres du clergé (dans le cadre de la saisie des biens et valeurs ecclésiastiques), à l’issue duquel il mourrait, ainsi que ceux qui lui étaient les plus proches. Le Métropolite écouta calmement cette proposition et répondit immédiatement et catégoriquement par un refus. Vvedenski et Bakaev s’en allèrent en accablant le Métropolite d’une série de menaces furieuses.
Le Métropolite comprit clairement que ces menaces n’étaient pas des paroles en l’air ; et à partir du moment où il était devenu un obstacle sur la voie des rénovateurs dans leurs démarches visant à former une «église révolutionnaire», il était condamné à mort. Mais il ne pouvait ni ne voulait quitter le chemin qu’il avait choisi.
Pressentant que peu de temps après, il allait devoir entamer son chemin de croix, il se prépara au sort qui l’attendait, donna les ordres les plus importants pour l’Éparchie, rencontra et prit congé de ses amis. Le Métropolite ne se trompait pas en ce pressentiment. Quelque jours plus tard, alors qu’il rentrait à la Laure après un déplacement, il surprit des «invités» chez lui : un magistrat instructeur, de nombreux agents de la tchéka et une sentinelle. Il procédèrent à une longue et soigneuse perquisition, évidemment sans résultat aucun. Ensuite, il lui fut déclaré qu’une procédure avait été entamée contre lui, et contre d’autres, concernant l’opposition à la saisie des biens et valeurs ecclésiastiques, et qu’il se trouvait assigné à résidence. Ces arrêts «privilégiés» ne se prolongèrent pas longtemps, deux ou trois jours, au bout desquels le Métropolite fut emmené dans une maison de détention provisoire où il demeura jusqu’à sa fin en martyr.
En plus du Métropolite, la plupart des membres du Conseil d’Administration de la Société des Paroisses orthodoxes, les recteurs de certaines églises, des membres de différentes paroisses et de simples gens arrêtés au cours des rebellions lors de la saisie des biens et valeurs des l’église furent concernés par la procédure. Ils étaient au total, quatre-vingt-six. La plupart d’entre eux furent placés en détention: l’Archimandrite Serge (Chein) ancien membre de la Douma d’État; le président du Conseil d’Administration de la Société des Paroisses Orthodoxes Unies de Petrograd et professeur de l’Université de Petrograd, Y. L. Novitski; l’ancien avocat juré I. M. Kovcharov; l’évêque de Kronstadt Benedikt (Plotnikov); l’archiprêtre Nikolaï Tchoukov, recteur de la Cathédrale de Kazan et recteur de l’Institut de Théologie; le recteur de la Cathédrale Saint-Isaac, l’Archiprêtre L. Bogoyavlenski; l’Archiprêtre M. P. Tcheltsov; N. F. Ognev, professeur à l’Académie Militaire et Juridique, et l’ancien secrétaire d’état adjoint du Conseil d’État, N. A. Yelich. (A suivre)
Traduit du russe

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