Écrits

Le Métropolite Ioann de Saint-Pétersbourg et Ladoga, de bienheureuse mémoire, est l’un des auteurs russes les plus traduits sur le présent blogue. Sa vie est longuement abordée dans la rubrique qui est consacrée à Vladika Ioann.
Le texte ci-dessous est la suite de la traduction inédite en français d’un long chapitre, en réalité un addendum, d’un livre édité à partir de leçons données par le Métropolite Ioann, alors encore Archevêque de Samara, à l’Académie de Théologie de Leningrad en 1989, au sujet de la situation de l’Église en Russie au début du XXe siècle, des schismes qui l’ébranlèrent et des grands confesseurs de la foi qui la maintinrent à flots contre vents et marées. La vie de trois d’entre eux est abordée par Vladika Ioann: le Saint Métropolite Benjamin (Kazanski) de Petrograd et Gdov, le Saint Archevêque Hilarion (Troïtski) de Vereya, et le Saint Hiéromoine Nikon (Beliaev) d’Optina. L’original russe est donc l’addendum du livre «Rester debout dans la foi» (Стояние в вере), publié à Saint-Pétersbourg en 1995, par les éditions Tsarskoe Delo.

Le Hiéromoine Nikon (Beliaev) d’Optina

(…)Le 29 janvier 1908, il fut revêtu de l’habit de novice. Le Starets lui donna la bénédiction pour la lecture des livres d’Abba Dorothée, «La Voie du Salut» de Saint Théophane le Reclus, «L’Échelle» de Saint Jean Climaque, les œuvres de Saint Théodore le Studite, des Saints Barsanuphe et Jean, de Saint Marc l’Ascète, du Saint Évêque Ignace (Briantchaninov) et d’autres encore. Cette lecture des œuvres patristiques lui donna une juste compréhension de la vie monastique et l’affermit dans la dévotion. Le novice Nicolas prêtait grande attention à ce que le Starets lui enseignait. Et celui-ci lui enseignait la prière et le sentiment d’humilité. Nicolas marchait sur les traces des novices d’antan. Il ouvrait presque tous les jours ses pensées au Starets et recevait de lui des conseils salvateurs. Certes, Nicolas était parfois lent à exécuter les bonnes instructions du Starets, mais alors il se morigénait profondément, de lui-même, disant : «Il m’a été beaucoup donné, mais beaucoup me sera demandé».
Grâce aux instructions de son Starets et à la lecture des livres saints, il réalisa rapidement que le monachisme était une lutte continue contre le monde, la chair et le malin. Il comprit et intégra profondément la pensée qu’il devait se préparer à la lutte et aux tribulations à venir, que sa situation confortable pour son âme, après tout, selon la loi de la vie spirituelle, devait être remplacée par une lutte acharnée et qu’il devait être patient à l’avance pour ne pas tomber plus tard dans le relâchement et le découragement sous le fardeau de la tentation.
En avril 1910, Nicolas fut tonsuré et devint moine rasophore. Le temps des tentations était arrivé. Le Starets Barsanuphe devint l’objet de persécutions, à l’instigation du mauvais, de certains moines et de religieuses des monastères féminins les plus proches. Cette épreuve se termina par le transfert imposé au Père Barsanuphe vers le monastère de Kolomna Staro-Golutvinski. Nicolas se retrouva sans père spirituel. Et comme il aimait le Père Barsanuphe et avait été guidé par les instructions de celui-ci, la méchanceté d’une partie de la fraternité se répandit sur lui. Tout ce dont l’avait prévenu et lui avait prophétiquement annoncé le Starets se réalisa.
Au départ du Père Barsanuphe, tout sembla s’effondrer. Toute la vie de Nicolas changea. Combien de railleries, de moqueries secrètes et ouvertes et de jubilations triomphantes dut-il endurer de la part de frères déraisonnables! Pour compléter à ras bord la coupe de souffrance destinée à être bue par Nicolas, peu de temps après le départ du Starets, il subit un nouveau coup: tout comme le Père Barsanuphe, il fut expulsé de la Skite, transféré au monastère, et désigné, avec le Père Piotr Kroutikov (qui devint le hiéromoine Parthène) rédacteur du courrier au secrétariat. Et les afflictions continuèrent à tomber. Le 1er avril 1913, le Père Barsanuphe décéda. Conformément à son testament, il fut enterré au Désert d’Optina, à côté du Père Anatole, au pied des portes Sud de l’église de l’Entrée au Temple.
Nicolas n’était pas présent à l’enterrement. Il était à l’hôpital avec une inflammation rhumatismale aiguë des articulations et du cœur. Son âme était déchirée en entendant les chants funéraires et le carillon des cloches du monastère. Personne ne s’aperçut de la grande affliction de Nicolas. Tout s’assombrissait et se ternissait dans ses yeux. La conscience que le Starets n’était plus en vie, que son corps reposait dans la terre humide, que jamais les bons yeux, pleins d’amour du vieil homme ne le regarderaient plus sous les lunettes, que sa voix ne résonnerait jamais plus, que jamais plus un joli sourire d’enfant n’illuminerait son visage sacré, le sang s’épanchait du cœur de Nicolas et les sanglots éclataient de sa poitrine. Et pour couronner le tout, il était privé de la possibilité, à cause de sa maladie, même de dire au revoir au Starets, de lui donner un dernier baiser! L’affliction de Nicolas n’avait pas de limite…
Mais le temps finit par apaiser et guérir, et il guérit Nicolas. Bien que jamais il n’oublia le Père Barsanuphe; pour lui, le Starets continuait à être ce qu’il était pour lui quand il vivait sur terre, à lui servir d’étoile du berger qui lui indiquait le bon chemin dans toutes les circonstances de la vie.
Nicolas poursuivit son podvig salvateur. Avant même sa tonsure monastique, il fut un exemple élevé d’obéissance inconditionnelle, d’humilité sincère, de paix exceptionnelle avec tous, de fermeté et de courage, ne vacillant ni devant la flatterie ni devant les menaces, un exemple d’intégrité exemplaire dans l’exercice de ses fonctions. Il faisait preuve d’un grand sérieux malgré sa jeunesse, réfléchi et en même temps toujours joyeux, il attira l’attention sur lui déjà dans ces années lointaines du passé. Tout le monde comprenait sans prononcer un mot que Nicolas était un moine hors du commun. Le Starets Barsanuphe avait posé un fondement solide et ferme dans l’âme de Nicolas. Tout au long de sa vie dans le monastère, que ce soit dans sa calme cellule, dans l’église ou pendant les obédiences, partout et toujours il posait sur cette base indestructible de plus en plus de nouvelles briques et construisait sa demeure spirituelle pour la gloire de Dieu. Il grandissait sans cesse spirituellement.
Travaillant comme rédacteur au secrétariat du monastère, Nicolas était occupé du matin jusqu’à tard dans la soirée, à l’exception, bien sûr, des heures des offices. Plusieurs fois par jour, il devait aller du monastère à la Skite et revenir pour diverses affaires du monastère, car le nouveau supérieur de la Skite n’était pas encore assez expérimenté. Lorsque le père archimandrite fut atteint d’une maladie mortelle, il fut temporairement remplacé par le Père Théodose, supérieur de la Skite. C’est à ce moment-là que Nicolas, par nécessité, dût se montrer non seulement précis et efficace, mais aussi très énergique, assistant actif dans toutes les affaires pratiques du monastère.
Dans les moments difficiles de sa vie personnelle, Nicolas prenait conseil auprès de l’Higoumène du Désert d’Optino, le Père Archimandrite Isaac, qu’il respectait et vénérait.
Le 24 mai 1915, Nicolas fut tonsuré et reçut la mantia avec le nom de Nikon (commémoré le 28 septembre). Il avait alors 27 ans. Il fut ordonné hiérodiacre le 10 avril 1916. Les frères et les pèlerins remarquèrent que le Père Nikon officiait très bien dès les premiers jours. D’une voix régulière, il prononça des ecphonèses calmement et avec enthousiasme, et il se tenait devant le trône de Dieu avec recueillement et crainte de Dieu, avec le hiéromoine célébrant.
Quand on lui demanda plus tard s’il s’était préparé à l’avance, le Père Nikon répondit: «Non. Avant mon ordination comme hiérodiacre, je n’avais jamais lu le livre des liturgies et des offices, parce que je ne savais pas si je méritais d’être prêtre. J’ai commencé à le lire quand j’ai été ordonné hiérodiacre. Ce sont les frères qui m’ont appris à officier. J’ai écouté tout ce qu’on m’a dit et j’ai même demandé que l’on me signale les lacunes de mon office. Ayant écouté ces instructions, je les ai soumises au raisonnement et j’ai accepté ce qui me convenait. Un jour, officia à Optina un Père Protodiacre de Kalouga. Je lui ai demandé de me montrer comment officier. Il m’a demandé «Avez-vous lu Les Instructions pour les Offices?». J’ai répondu: «Oui, je les ai lues». «Alors, je n’ai rien à vous apprendre», a-t-il répondu. J’étais alors très mécontent de la réponse du protodiacre, mais après avoir relu attentivement ce livre, j’ai compris pourquoi il m’avait répondu ainsi et je lui en ai été très reconnaissant. Dans ce livre, j’ai appris qu’il n’est pas important, lors de l’accomplissement de l’office, de produire des ecphonèses bruyantes et ornementées, mais de servir avec recueillement.» (A suivre)
Traduit du russe

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