maxresdefaultPuissant texte paru sous le titre : La maladie de la religion et sa guérison par l’Orthodoxie, rédigé par le P. Jean Romanidès, et précédé d’une introduction par le Père Georges Metallinos . Ce texte fut composé d’extraits du livre du P. Romanidès Théologie Patristique, lui même rédigé à partir de cours et conférences universitaires donnés en 1983.
«Dernièrement, certains se sont mis à écrire des articles concernant la relation entre Orthodoxie et religion. Il est un fait qu’après les premiers siècles du Christianisme, notre Foi a été qualifiée de religion. Mais dans quelle mesure est-elle une religion?
Plutarque assimile la religion au culte. L’Orthodoxie inclut certainement un culte, ais elle ne se réduit pas à une «communauté cultuelle». Elle est Église et Corps du Christ.
Nulle part dans le Nouveau Testament l’Église n’est qualifiée de religion, mais bien de «chemin» (Actes 9:2), un chemin et mode de vie conduisant à l’union avec le Christ, à la déification. La «voie» ultime est le Christ Lui-même (St Jean 14:62).
Le Christianisme (l’Orthodoxie) ne peut alors être qualifié de religion? Si, mais pas dans le sens dans lequel les diverses autres confessions, fussent-elles monothéistes, comprennent la religion.
Dès lors, plutôt que nous enfermer dans d’inacceptables disputes à propos d’un sujet inexistant du point de vue patristique, tournons-nous vers les enseignements pertinents d’un dogmaticien dont l’importance ne peut être mise en cause, le Père Jean Romanidis. Ce texte est reproduit en qualité de pieux tribut à sa mémoire.» (1 novembre 2001).

L’Orthodoxie n’est pas une religion.
Nombreux sont ceux qui ont l’impression que l’Orthodoxie est une des nombreuses religions, et qu’elle s’occupe avant tout de préparer les membres de l’Église à la vie après la mort, c’est-à-dire, à obtenir une place au Paradis pour chaque Chrétien orthodoxe. Ainsi, ils estiment que la doctrine orthodoxe offre une garantie supplémentaire (car elle est orthodoxe), et si quelqu’un ne croit pas en la doctrine orthodoxe, il s’agit là d’une raison supplémentaire pour qu’il aille en enfer, supplémentaire au fait que ses péchés l’y enverront plus que probablement.
Tout Chrétien orthodoxe qui imagine que c’est cela l’Orthodoxie associe celle-ci de façon exclusive à la vie future. Il ne fait dès lors pas grand chose dans la vie présente, mais attend plutôt de mourir pour pouvoir aller au Paradis puisque pendant sa vie il aura été un Chrétien orthodoxe ! Une autre partie des Orthodoxes est active dans le domaine de l’Église, s’intéressant non pas à la vie future, mais essentiellement à celle-ci. En d’autres termes, ce qui les intéresse est la manière dont l’Orthodoxie peut les aider à bien vivre la vie présente. Ces Orthodoxes prient Dieu, demandent aux prêtres de prier pour eux, de bénir de l’Eau Sainte, de lire des Canons d’intercession, de les oindre d’Huile Sainte, etc…, pour que Dieu les aide à vivre une vie agréable, à ne pas tomber malade, à protéger leurs enfants, à obtenir une belle dot, à trouver un bon mari pour leur fille, à trouver  de jolies jeunes filles riches qui veuillent épouser leurs fils, et même à les aider à faire de bonnes opérations en bourse ou dans leurs affaires. En cela, nous voyons que ces Chrétiens ne sont pas significativement différents des fidèles de religions diverses, qui accomplissent à peu près les mêmes choses.
En d’autres mots on voit, de ce qui précède, que l’Orthodoxie a deux points en commun avec les autres fois. Tout d’abord, elle prépare le fidèle à la vie après la mort, de façon à ce qu’il puisse aller au Paradis, comme on l’imagine. Et ensuite, elle garantit aux Chrétiens d’éviter les tristesses, les angoisses, les désastres, les maladies, les guerres, etc… en cette vie ; c’est-à-dire que Dieu prend soin de tout selon leurs besoins et désirs. La religion joue donc un rôle majeur en cette vie , particulièrement dans la vie quotidienne, pour le second groupe de Chrétiens.

Plus fondamentalement, qui parmi les Chrétiens précités, se préoccupe de savoir si Dieu existe ou non ? Qui Le cherche ? Pour de tels gens, que Dieu existe ou pas, cela importe peu. Ce serait simplement mieux si Dieu existait vraiment, et qu’ils puissent alors faire appel à Lui et Lui demander de satisfaire leurs besoins, de les aider dans leurs activités professionnelles et de leur apporter un peu de bonheur dans cette vie. On voit donc que l’homme a une très forte tendance à vouloir que Dieu existe et à croire que Dieu existe dans la mesure où l’existence de Dieu répondrait à un besoin humain, Dieu fournissant toutes les choses que nous venons de mentionner. Dès lors, l’existence de Dieu répondant à un besoin humain, ergo, Dieu existe !
Si l’homme n’avait pas besoin de Dieu et pouvait s’assurer lui-même d’une autre manière son bien-être en cette vie, personne ne sait combien seraient ceux qui croiraient en Dieu. Il s’agit d’une situation fréquente, même en Grèce. Et on voit ainsi de nombreux hommes et femmes, au départ indifférents à l’égard de le religion, devenir religieux à la fin de leur vie, peut-être après qu’ils eussent été effrayés par l’un ou l’autre événement. Ils ne peuvent plus vivre sans faire appel à Dieu, pour les aider, c’est-à-dire, par superstition.
Pour ces raisons, la nature humaine aide l’homme à devenir religieux. Cela ne concerne pas les seuls Chrétiens orthodoxes ; cela s’applique aux fidèles de toutes les religions. La nature humaine est pareille en tous lieux. L’homme après la chute, noirci par nature, ou plutôt contre nature, tend vers la superstition. La question qui se pose est alors : où finit la superstition et où la vraie foi commence-t-elle ? Les Pères ont des positions et des enseignements clairs à ce propos. Quelqu’un qui suit (ou plutôt qui croit suivre) l’enseignement du Christ et va simplement à la liturgie chaque dimanche, communiant régulièrement, recourant au prêtre pour la bénédiction de l’Eau, les onctions, etc., sans explorer ces choses en profondeur, s’en tenant à la lettre de la loi et non à l’esprit de la loi, tire-t-il quelque bénéfice personnel particulier de l’Orthodoxie ? Ensuite, quelqu’un qui prierait exclusivement pour la vie future, pour lui-même et pour autrui, tout en demeurant complètement indifférent vis-à-vis de la vie présente, tire-t-il quelque bénéfice particulier de l’Orthodoxie ? La personnification de la première tendance est celle du prêtre de paroisse et de ceux qui sont rassemblés autour de lui dans l’esprit évoqué ci-dessus, la deuxième tendance étant personnifiée par le geronda d’un monastère (habituellement, un archimandrite), vivant en retrait et attendant de mourir, entouré par quelques moines.
Dans la mesure où ces deux tendances ne sont pas centrées sur la purification et sur l’illumination, d’un point de vue patristique elles sont fausses dans le but qu’elles poursuivent. Mais dans la mesure où elles seraient centrées sur la purification et l’illumination, ainsi que sur la mise en œuvre de la démarche ascétique entreprise pour acquérir la prière noétique, telle que cette démarche est prescrite par la patristique orthodoxe, alors, la situation serait convenablement fondée.
Les deux tendances sont orientées respectivement vers des extrêmes opposés. Elles sont dépourvues d’un axe commun.

L’axe commun soutenant l’Orthodoxie assurant sa cohérence, son seul et unique axe dans toutes les questions qui touchent à l’Orthodoxie, qui fonde tout de façon correcte, est l’axe: purification, illumination, déification.

Les Pères ne sont pas, de manière exclusive, intéressés par ce qu’il advient de l’homme après sa mort; ce qui leur importe au premier chef est ce qu’il sera en cette vie. Après la mort, il n’est plus de traitement pour l’esprit. Le traitement doit commencer en cette vie, car «il n’est pas de repentir en l’Hadès». C’est pourquoi la théologie orthodoxe n’est pas une théologie de l’autre monde, une futurologie, ni une eschatologie; elle est purement de ce monde. La sollicitude de l’Orthodoxie est destinée à l’homme dans ce monde, dans cette vie, et non après la mort.
Mais pourquoi purification et illumination seraient-elles nécessaires? Pour que l’homme aille au Paradis et échappe à l’enfer? Est-ce pour cela que nous en avons besoin ? En quoi constituent purification et illumination, et pourquoi l’Orthodoxe les recherche-t-il ? Pour en identifier la raison, pour répondre à cette question, il faut disposer d’une clé de base : tous les êtres humains sur cette terre auront une fin identique, du point de vue de la théologie orthodoxe. Qu’un homme soit orthodoxe, bouddhiste, hindou, agnostique, athée ou quoi que ce soit, (c’est-à-dire, donc, tout homme sur cette terre), il est destiné à voir la Gloire de Dieu. Il verra la Gloire de Dieu lors de la fin commune de l’humanité, lors du Second Avènement du Christ. Tous les êtres humains verront la Gloire (la Lumière Incréée) de Dieu, et de ce point de vue, tous auront la même fin.
Tout le monde, donc, verra la Gloire de Dieu, mais il y aura une différence: les sauvés verront la Gloire de Dieu comme une Lumière des plus douces et qui ne s’éteint jamais, alors que les damnés verront la même Gloire de Dieu comme un feu qui consume et qui les brûle. Il est un fait, attendu et véridique, que tous verront la Gloire de Dieu. Voir Dieu, voir Sa Gloire, Sa Lumière, est une chose qui se produira, que nous le veuillons ou non. Cette expérience de la Lumière ne sera pas la même pour tout un chacun. Dès lors, la tâche de l’Église et du clergé n’est pas de nous aider à voir cette Gloire, car cela va se produire, d’une façon ou d’une autre. Le travail de l’Église est centré sur le ‘comment‘ chacun verra Dieu, et non sur le ‘si‘ chacun verra Dieu. En d’autres termes, la tâche de l’Église est de proclamer aux gens qu’il existe un vrai Dieu, que Dieu est révélé soit comme Lumière, soit comme feu qui consume, que tous verront Dieu lors du Second Avènement du Christ. Sa tâche est de préparer ses membres à voir Dieu non pas comme un feu mais bien comme Lumière.

Cette préparation des membres de l’Église, et de tous ceux qui veulent voir Dieu comme Lumière, est essentiellement un traitement thérapeutique, qui doit commencer et se terminer en cette vie. La thérapie doit avoir lieu et se terminer en cette vie. Car après la mort, il n’est pas de repentir. Ce traitement est l’essence et le contenu fondamental de la Tradition orthodoxe, de même que la préoccupation principale de l’Église orthodoxe. Il est composé des trois étapes suivantes d’ascension spirituelle : la purification des passions, l’illumination par la Grâce du Saint Esprit et la déification, de nouveau par Grâce du Saint Esprit. Il est un fait que si quelqu’un ne parvient pas au moins à l’état de l’illumination partielle en cette vie, il est et sera incapable de voir Dieu comme Lumière en cette vie et dans la vie future. Il est ainsi clair que les Pères de l’Église se préoccupent de l’homme tel qu’il est aujourd’hui, en ce moment. Et celui a besoin du traitement, c’est chacun, et chacun porte la responsabilité devant Dieu de se mettre à l’œuvre dès aujourd’hui, en cette vie. Car dans cette vie, il est capable de le faire, après la mort, il ne le sera plus. Et c’est chacun qui doit décider de suivre, ou non, cette voie thérapeutique. Le Christ a dit : «Je suis la Voie». La Voie vers quoi ? Pas seulement vers l’autre vie. Le Christ est d’abord la Voie en cette vie. Le Christ est la Voie vers Son Père et notre Père. Le Christ est révélé à l’homme d’abord en cette vie, et il lui indique la voie vers Son Père.
Cette Voie, c’est le Christ, Lui-même.

La question qui se pose maintenant est : la religion est-elle assimilable à un enseignement à propos de l’immortalité de l’âme de même qu’à un enseignement concernant l’existence de Dieu dans la vie future ? Et encore, est-elle identique à la victoire de la justice totale ? En d’autres mots, avons-nous besoin de religion parce qu’il doit y avoir un Dieu Juste, qui prononcera le jugement dernier de tous les hommes, afin que les injustes  soient punis et aillent en enfer et que les justes, les bons enfants, soient récompensés au Paradis ?
Si la réponse est oui, alors, la religion doit exister, avant tout pour que la justice puisse prévaloir en dernier recours, et ensuite, pour que le désir de béatitude de l’homme ne demeure pas inassouvi. En d’autres termes serait-il possible que l’enfant bon ne vive pas une vie de béatitude après la mort ? Impossible! Et ajoutons qu’il fut lésé en cette vie. Serait-il possible que tous ces hommes lésés, les bons enfants, ne fussent pas réconfortés dans l’autre vie? Ce n’est pas possible! Ne devraient-ils pas pouvoir y vivre une vie agréable, une vie de béatitude? Bien sûr! Mais pour cela, il faut qu’il y ait une vie après la mort, de même qu’un Dieu juste et bon, qui rétribue de façon juste et bonne. N’est-ce pas ainsi ? Il doit y avoir un tel Dieu, selon la compréhension qu’on avait au Moyen-Age, c’est-à-dire selon la théologie occidentale.
Toutefois, la psychologie moderne apparaît et explore tout cela. Elle nous dit que ces perceptions sont psychologiques, car l’homme a en lui-même un sens de la justice. Et c’est ce qui exige que les mauvais enfants soient punis et que les bons enfants soient récompensés ! Et dans la mesure où cette récompense n’apparaît pas en cette vie, l’imagination humaine avance l’idée que ces choses doivent s’accomplir dans une autre vie. Et c’est pourquoi le faible, de même que celui qui aime la justice et éprouve un sentiment profond et sérieux pour la justice, deviennent  religieux et croient en la doctrine de la religion qu’ils suivent. Ils croient donc dans la mesure où la doctrine en laquelle ils croient répond à leur besoin psychologique de voir justice rendue. Mais cette raison n’a pas de fondement philosophique, métaphysique, elle n’a que des bases psychologiques.
Ce qui est toutefois correct dans cette manière de penser, c’est que si justice et béatitude doivent jamais prévaloir pour les bons, elles doivent prévaloir en cette vie. En effet, ces gens ne savent pas s’ils auront une autre vie, puisque les arguments mentionnés en faveur de l’existence de cette autre vie sont purement psychologiques et non pas scientifiques, c’est-à-dire fondés sur l’expérience et une méthode scientifique. Ce gens croient donc en une vie après la mort simplement parce qu’ils veulent y croire. C’est pourquoi l’essence de leur religion est l’existence d’une autre vie où l’injustice et punie et la justice récompensée.
Dès lors, on peut aujourd’hui voir en Europe et aux États-Unis que les gens sensés qui n’acceptent plus de telles bases à la religion ont été conduits à agnosticisme, et en Europe de l’Est à l’athéisme. Récemment, on a pourtant constaté que de nombreux communistes ont abandonné leur dur athéisme et sont devenus agnostiques, ressemblant ainsi  aux agnostiques d’Europe et des États-Unis. Mais il continue à exister des gens qui dans les pays communistes et aux États-Unis, vont à l’église et continuent à croire en la vie après la mort parce que, comme nous l’avons expliqué,  ils veulent croire, sans disposer d’argument scientifique soutenant leurs croyances.
Voilà le tableau général de la situation. Quelle est la position orthodoxe en la matière ? (A Suivre)

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