Le Saint Tsar Nicolas II
L'entretien ci-dessous avec l'Archiprêtre Valentin Asmus a été publié sur le site Pravoslavie.ru le 21 août 2000. Le sous-titre suivant lui a été attribué: La vision communément admise de la vie et de la personne de Nicolas II ne correspond absolument pas à la réalité. Cet entretien avec la journaliste Ludmila Boniouchkine fut tenu le lendemain du jour où l'Empereur Nicolas II et sa Famille furent officiellement accueillis dans le chœur des saints par le Patriarcat de Moscou. L'Archiprêtre Valentin Asmus fait autorité dans le domaine de l'histoire de la monarchie en Russie; il enseigne à L'Académie de Théologie de Moscou. Voici la seconde partie de la traduction de l'entretien.

Alexandre III et Nicolas II, Père et Fils
Quelle influence Alexandre III, notre Empereur le plus puissant et couronné de succès, et père de Nicolas II, exerça-t-il sur la formation de la personnalité et la vision politique de son fils? Dans quelle mesure Nicolas II adopta-t-il ses vues politiques?

Le Tsar et la Tsarine Alexandre III, Maria Feodorovna et leurs enfants

L’influence d’Alexandre III sur son fils Nicolas II est évidemment significative. Alexandre III était un partisan convaincu de l’autocratie, et Nicolas II reçut une éducation adaptée de la part d’un groupe d’instructeurs et de professeurs acquis à ces vues. La forte influence de K.P. Pobedonovtsev fut particulièrement significative ; c’était un remarquable publiciste russe, spécialiste de droit public, qui occupait encore dans les dernières années du règne d’Alexandre III le poste de Haut-Procureur du Saint Synode. Occupant ce poste pendant vingt-cinq ans, Pobedonovtsev fut le principal opposant aux institutions représentatives, et en particulier à toutes formes de gouvernement et de vie sociale dans lesquelles se manifestait le démocratisme occidental. Il considérait que ces formes causeraient la ruine de la Russie, et globalement il avait raison; nous le constatons.On dit qu’Alexandre III fut un père très sévère. Cette opinion est-elle justifiée?
Alexandre III éleva ses enfants dans une grande sévérité. Par exemple, le temps alloué au repas ne dépassait pas quinze minutes. Les enfants devaient s’asseoir à table et se lever en même temps que les adultes. Souvent les enfants avaient encore faim s’ils ne s’adaptaient pas à ces règles très dures pour leur âge. On peut dire que Nicolas II reçut une solide éducation militaire. Toute sa vie, Nicolas II s’est senti militaire, et cela se manifesta à travers sa psychologie et bien d’autres aspects de sa vie.
Plus d’une fois, Alexandre III a déclaré que ses relations avec ses sujets revêtaient un caractère familial. Dans quelle mesure Nicolas II s’appropria-t-il cette idée?
Nicolas II a sans aucun doute intégré le style paternaliste d’Alexandre III, toutefois, il se singularisait par une grande retenue qui cachait le plus souvent ses sentiments paternalistes qui lui étaient hautement inhérents.
Nicolas II dans sa vie quotidienne
Maints mémorialistes soulignent que Nicolas II était étranger à ce qu’on appelle la colère de l’empereur, à l’irritation, aux émotions aiguës. On lit souvent que le Souverain n’aimait pas polémiquer. Ses contemporains avaient tendance à considérer ces traits de caractère comme les preuves d’une absence de volonté et d’une indifférence. Est-ce justifié?
Nicolas II se caractérisait par une grande retenue. De l’extérieur, on pouvait imaginer qu’il était apathique et indifférent. Mais ce n’était absolument pas le cas. Il faisait d’énormes efforts pour ne pas montrer ses sentiments quand ceux-ci tendaient à s’exprimer. Cette retenue pouvait même choquer dans certaines circonstances, mais on peut dire que dans les derniers mois de la vie du Souverain, qu’il passa en réclusion avec sa famille, cette retenue manifesta ses meilleurs côtés, car il ne commit littéralement aucun faux pas. Il supporta sa détention d’une part avec humilité, et d’autre part avec la plus grande dignité. Jamais il n’exigea quoi que ce soit pour lui-même, ou pour sa famille. Au cours de ce mois, il afficha en vérité la grandeur du Tsar.
Le journal de Nicolas II mentionne en permanence l’étude de rapports et la réception de ministres. Quelle était la charge de travail de l’Autocrate?
La charge de travail de l’Autocrate était démesurée. Chaque jour il devait examiner des piles de documents et indiquer sa décision sur chacun d’eux. Il disposait pour accomplir cette tâche énorme des qualités mentales nécessaires; tous ceux qui le connaissaient de près l’admettaient. Il jouissait, entre autres, d’une caractéristique héréditaire des Romanov: une mémoire phénoménale, et on peut dire que rien qu’en cela, il était évident que lui-même et ses ancêtres empereurs avaient été prédestinés par Dieu à porter le fardeau du très lourd service propre au Tsar.
A quoi consacrait-il ses loisirs?
Le Souverain n’avait guère de loisirs. Il passait ses loisirs en famille, s’occupant beaucoup des enfants. Il leur lisait de la littérature classique ou des essais historiques. Il aimait énormément l’histoire et lisait de nombreuses études historiques. Il pratiquait les loisirs caractéristiques des militaires professionnels. Il aimait le sport, ainsi que la chasse. C’était là des anciens entraînements militaires qui conservaient toute leur pertinence dans le cadre des guerres du début du XXe siècle.
Dans la vie de Nicolas II, quel rôle joua sa famille?
Nicolas II était le père de famille modèle. Comme je l’ai dit, il s’efforçait de passer tous ses loisirs au sein de son cercle familial, avec son épouse et ses enfants. Il régnait entre tous les membres de cette grande famille un amour vrai et une unité spirituelle.
L’entourage de Nicolas II
De nombreux mémorialistes soutiennent l’avis selon lequel à différentes période du règne de Nicolas II, sa mère, l’Impératrice Douairière Maria, et son épouse Alexandra Feodorovna, exercèrent sur lui une influence significative. Dans quelle mesure cet avis est-il correct?
Les deux impératrices, la mère et l’épouse de Nicolas II, ont pu exercer sur lui une certaine influence. Il n’y a d’ailleurs rien d’étrange à cela. L’une et l’autre disposaient non seulement du droit, mais aussi des talents nécessaires à la participation à la vie du Souverain, que toutes deux aimaient sincèrement et voulaient servir.
Dans l’entourage de Nicolas II, Raspoutine occupe une place particulière, c’est bien connu. De même, d’autres «gens sortis de nulle part» devinrent relativement proches de la personne de l’Autocrate. Quelle relation Nicolas II entretenait-il avec eux?
En ce qui concerne le célèbre Grigori Ephimovitch Raspoutine, il fut introduit à la Cour par des membres très respectés du clergé, parmi lesquels on peut mentionner des personnages influents à Saint-Pétersbourg, comme l’Archimandrite Théophane (Bystrov), recteur de l’Académie de Théologie de Saint-Pétersbourg, qui devint ensuite Archevêque de Poltava, et l’Évêque Serge (Stragorodski), le futur Patriarche.
Pour Nicolas II et son épouse, les relations qu’ils avaient avec cet homme étaient celles qu’ils estimaient devoir entretenir avec un représentant de la communauté paysanne comptant de nombreux millions de membres, et qui pouvait transmettre au Trône les espoirs et aspirations de cette paysannerie. Quant à l’influence de Raspoutine, elle est démesurément enflée par une propagande politique malveillante. Si vous examinez les travaux de S. Oldenburg, que j’ai déjà mentionnés, vous verrez qu’il n’exista aucune influence significative de Raspoutine sur les affaires d’État.
A côté de la thèse des influences sur l’activité de Nicolas II, son entourage avait l’habitude de lier les grandes étapes de ses activités à la tête de l’État non pas à son nom mais à celui de ses dignitaires et fonctionnaires; la réforme des finances étant liée au nom de Witte, la réforme agraire à celui de Stolypine. Dans quelle mesure cette approche était-elle fondée?
Le fait que le règne de Nicolas II fut traversé par des dignitaires de renom, tels que Witte et Stolypine, n’a rien de surprenant car l’une des qualités de Nicolas II était sa capacité à trouver de dignes collaborateurs. On sait comment Stolypine arriva à Saint-Pétersbourg. Chaque jour, Nicolas II examinait avec grande attention les rapports transmis par les nombreux gouverneurs. Parmi cette foule de gouverneurs de province, il en identifia un, Stolypine, et il estima nécessaire de le rapprocher de lui et d’en faire un ministre, et ensuite un premier-ministre. (A suivre)

Traduit du russe.

Source.