Le 4 mai 2018, nous rappelions les décès successifs depuis un an de plusieurs grands starets russes. Entre-temps est venu se rajouter celui du starets Adrian. Et cette triste série se poursuit. Le 17 août 2018, l’Archimandrite Lazare (Abachidzé) est décédé. Il était l’un des auteurs favoris de très, très nombreux fidèles; même dans leur version russe, la plupart de ses livres sont épuisés, malgré les rééditions successives. Le texte ci-dessous est composé à partir de deux originaux russes  publiés les 20 et 27 août 2018 sur le site Pravoslavie.ru sous les titres «Un Prédicateur du Christianisme de la tempérance. A la mémoire de l’Archimandrite Lazare»  et «L’écrivain spirituel Lazare (Abachidzé) est décédé. Le premier texte est dû au Hiéromoine du grand schème Valentin (Gourievitch) et à Madame Olga Orlova.

L’écrivain spirituel, l’Archimandrite Lazare (Abachidzé), est décédé.
Bétanie (Géorgie), le 20 août 2018.

Depuis le 17 août, l’Archimandrite Lazare (Abachidzé) repose en Dieu. Clerc de l’Église Orthodoxe de Géorgie, il fut un zélé serviteur de l’Église du Christ, champion de la pureté de la foi orthodoxe, écrivain ecclésiastique subtil, publiciste et critique de la modernité et de l’œcuménisme dans l’Église.
L’Archimandrite Lazare, originaire d’Abkhazie, naquit le 23 juillet 1959. A la fin de ses études séculières, il reçut la tonsure monastique. Il fut transféré au monastère de Bétanie, en Géorgie, où, grâce à l’Archimandrite Ioann (Maïssouradzé) et à l’Archimandrite du grand schème Ioann (Mkheidzé), qui «travaillaient dans leur propre monastère comme guides pour les excursionnistes», il dissimula son podvig de jeûne et de prière et demeura concentré sur sa vie monastique de prière.
Bétanie, auquel le Père Lazare consacra un de ses remarquables livres (Bétanie, Maison de la Pauvreté), devint le premier monastère masculin que l’on permit d’ouvrir pendant la période soviétique, en 1987. En 1990, le Père Lazare peignit la chapelle dédiée à la Sainte géorgienne, la Princesse Tamara. Il eût l’honneur de recevoir le rang d’Archimandrite et fut l’higoumène de Bétanie jusque 1997. Pendant ce temps, le Père Lazare écrivit au sujet de l’ascétisme, de la prière, des religions païennes et de l’œcuménisme. Il est l’auteur d’une série de livres spirituels et d’articles destinés à nos contemporains, les Chrétiens Orthodoxes de la fin du XXe siècle et du début du XIXe. Sa production littéraire est fondée sur les enseignements des Saints Pères et les règles et canons de l’Église Orthodoxe. L’Archimandrite Lazare intervint plus d’une fois pour dénoncer les vices spirituels les plus souvent rencontrés par l’homme contemporain sur son chemin, comme l’occultisme, l’hindouisme, le yoga, etc. On doit à la plume de l’Archimandrite Lazare le livre particulièrement renommé en Russie et régulièrement réédité ces dernières années : «Le péché et le repentir des temps derniers: Au sujet des maladies secrètes de l’âme».
Le Père Lazare avait adopté une position particulièrement inflexible envers l’œcuménisme. En 1997, il fut un des supérieurs monastiques qui signèrent la lettre au Patriarche-Katolikos de Géorgie, Élie II, exigeant l’abandon de la participation au Conseil œcuménique Mondial de l’Église. Le Patriarche-Katolikos Elie II décida de quitter ce Conseil en 1997.
L’inhumation du Père Lazare eût lieu aujourd’hui, le 20 août 2018.
Royaume des Cieux et Repos Éternel à l’Archimandrite Lazare nouvellement défunt!
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Le désir du Golgotha, un mode de salut.

Dans le livre du Père Lazare «Le Martyre de l’Amour», dont la lecture serait extrêmement profitable à chaque Chrétien, on trouve un rappel désenivrant: le Christianisme, c’est terrible. L’Orthodoxie n’est pas un jeu de piété. C’est une lutte cruelle, mortelle, sur trois fronts: contre soi-même, contre les influences corruptrices agressives de la société de pécheurs, et contre les hordes de démons, satan à leur tête. En effet, le Seigneur a dit :«Car celui qui voudra sauver sa vie la perdra, mais celui qui la perdra à cause de moi la trouvera» (Math 16,25)1. Mais que veut dire perdre son âme?…
Dans le chapitre «O!Si vous entriez par cette porte…» du livre, le Père Lazare explique, figurativement parlant, que dans chaque organisation, il existe une sorte de vestibule, un hall, où l’on rencontre les invités, mais au-delà de cette salle de réception, plus loin, on peut dissimuler une production très laborieuse et même dangereuse. Et l’essentiel n’est pas la splendeur de la salle de réception, mais justement là où l’on crée laborieusement, là où l’on travaille avec opiniâtreté.
Il en va exactement de même dans l’Église: l’Église est une image paradoxale, le signe du siècle à venir, sous forme d’objectif, mais seulement le seuil, le vestibule du chemin qui y conduit. Il faut éviter toute auto-satisfaction «Me voici déjà dans le Royaume des Cieux» et demeurer coincé dans ce «poste de contrôle», émerveillé par ses ornements splendides. Non, l’archimandrite-écrivain nous indique une certaine porte secrète qu’il est terrible de franchir, terrible, mais indispensable pour le Chrétien… Cette porte, c’est Jésus Christ Lui-même (Jean 10,9). Le passage sera long, pénible et terrible.
Bien sûr, il y a ceux, et ils forment la majorité (lisez avec quelle terrifiante franchise l’Archimandrite Lazare dépeint la masse de ceux qui périssent dans le mal!), qui de façon téméraire s’avancent dans un corridor de sortie. A chacun sa porte, mais… «effrayés par l’obscurité ou par un souffle glacial, par un bruissement mystérieux et par la solitude, mais plus encore par toutes sortes d’attachements à ce que l’on a laissé derrière soi et qui est maintenant enterré à jamais de l’autre côté de cette porte, dévorés par une tristesse complexe et par l’ennui, comme s’ils se souvenaient, soit d’avoir oublié d’emmener quelque chose d’absolument indispensable pour la route, soit d’avoir oublié de faire leurs adieux à quelqu’un, ils se dépêchent de faire demi-tour…». Il est terrible de se trouver face à soi-même.
Avec quelle précision l’ascète-écrivain nous dévoile les effets des passions «les plus innocentes»: «Nous avons, par exemple, un besoin de nourriture pour le corps. Chaque jour, d’une manière ou d’une autre, nous mangeons ceci ou cela, le plus souvent sans accorder d’attention au fait que nous mangeons. Une autre fois, nous passons un repas. Tout cela ne génère aucun désagrément. Parfois, avoir légèrement faim nous procure une certaine satisfaction. Mais alors, ne rien manger pendant une journée, ou deux ou trois… Au début, cette succion du vide en nous générera des pleurnicheries, des demandes, des plaintes. Ensuite, un gouffre se dévoilera de plus en plus, et voilà qu’en nous, un horrible dragon, la gueule grande ouverte et les yeux injectés de sang, se met à rugir, exigeant de la nourriture, il remplit tout un précipice en grondant: Donne! Donne! Donne! Pendant les famines, il arrive que des hommes mangent d’autres hommes, leur mère, leurs enfants! Voilà quel monstre assoiffé de sang niche dans nos paisibles et bénignes entrailles!» Sentir la puanteur des ses propres péchés n’est pas la même chose que se titiller les narines des doux aromates de l’encens… N’est-ce pas pour nous sauver par la métanoïa (le repentir, en grec) que l’Église nous donne particulièrement tous ces contrastes: «Vois, homme, combien ton habit n’est pas celui des noces» (Mat. 22,11)… Sur le seuil, souhaite le Golgotha comme salut! Gloire à Toi, Seigneur, crucifie!
Ne garde pas la bouche fermée, homme. Garder la bouche fermée dans le contexte de la parabole des appelés à la noce (Mat.22,12), signifie peut-être vociférer intérieurement avec insistance, c’est-à-dire poursuivre frénétiquement ses objectifs: Me voilà, dit-il, je suis venu seulement pour bien manger, résoudre mes petits problèmes, car Qui est ici et que s’y passe-t-il, je ne m’en soucie pas.
Pour parler à Dieu, nous devons nous taire extérieurement, et notre âme doit se défaire de son mutisme.
Malgré tous les efforts que nous avons déployés immédiatement après l’inhumation en Géorgie, pour demander aux gens d’Église de partager leur souvenir concernant le nouveau défunt, une réponse à la lettre de Tamara Manelachvili vint de l’Archimandrite Raphaël (Kareline), et elle était brève : «Le Père Lazare a vécu une vie recluse et s’est efforcé de préserver son hésychia».
Il n’est pas simple de parler d’un tel homme: il faut garder la bouche fermée, pour se souvenir de lui.
Suivant le conseil qui lui fut donné, Tamara prit contact avec le monastère où le Père Lazare mena son podvig et rassembla quelques témoignages au sujet de sa vie. Nous avons également relu, ces derniers jours, les livres et articles de ce grand prédicateur. (A suivre)
Traduit du russe
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