Écrits

Le texte ci-dessous est la traduction des pages 24 à 28 de l’essai biographique intitulé «Vie et service du Métropolite Manuel» (Жизнь и служение Митрополита Мануила), écrit par le Métropolite Ioann (Snytchev) l’année qui suivit la natalice du Métropolite Manuel (Lemechevski) qui fut son père spirituel pendant plusieurs dizaines d’années. La version utilisée pour cette traduction est celle qui fut publiée à Samara en 1997, par les Éditions «Samara Orthodoxe».L’auteur bénéficia non seulement de l’accès à de nombreux témoins directs et aux notes du journal que tint le Métropolite Manuel, mais il vécut auprès de celui-ci de nombreuses années et partagea avec lui toutes les épreuves de la vie de l’Église à l’époque de sa persécution impitoyable par le pouvoir. L’extrait ci-dessous propose une tranche de vie, celle des événements qui déclenchèrent la décision de Viktor Viktorovitch, futur héros de l’ascèse et métropolite, d’entrer au monastère. La première tranche de vie se trouve ici.

Vladika Manuel avec le jeune Vladika Ioann

Le 15 août 1909, son frère tomba soudainement malade. Paul vivait alors à Kronstadt où il suivait les cours de l’École de la Marine. La maladie, une pneumonie purulente, était si aiguë qu’il y avait très peu de chances de le voir se rétablir. Les heures de l’affliction étaient de retour dans la famille Lemechevski. Viktor était celui que cette maladie tourmentait le plus. Il aimait ce frère plus que ses autres frères et sœurs.«Nous n’allons tout de même pas devoir nous séparer de lui», pensait Viktor. Pensée pénible, insupportable.
Le lendemain soir, il était attablé pour le thé, mais c’était l’image de son frère souffrant qui se dessinait devant les yeux de Viktor. Ses pensées le torturaient sans relâche : «Comment arracher Paul de l’étreinte de la mort?» Il fallait s’offrir en sacrifice. Le moment décisif était arrivé. Quand il eut terminé son thé, Viktor appela son frère Andrioucha dans sa chambre. En la présence de celui-ci, il alla se placer devant une icône du Seigneur, et de toute la puissance de la douleur de son cœur, il s’écria : «Seigneur, je deviendrai moine, si tu relève mon frère Paul de son lit de mort!». Et des torrents de larmes s’écoulèrent de ses yeux…
Le 17 août, Viktor s’empressa d’aller à Kronstadt, auprès de son frère mourant. Il était alité à l’hôpital Saint Nicolas de la Marine, et souffrait terriblement. En qualité de membre de la famille du malade, Viktor put s’installer dans la chambre n°6, voisine de celle de son frère, et quand il eut recueilli quelques informations au sujet de la situation, il informa par télégramme ses parents de l’état du malade.
Paul état content de l’arrivée de son frère, et il se réjouissait de ce qu’il allait demeurer à ses côtés. Viktor lui avait amené une icône. Le malade la prit en mains et la regarda longuement. Ensuite, il demanda à Viktor de la placer bien en vue. Ce soir-là, vers sept heures la maladie prit une tournure plus aiguë encore. Des crises se répétaient toutes les quatre ou cinq minutes.
«Mon petit Paul, prie le Père Jean de Kronstadt», demanda, implora Viktor.
Et Paul pria. Vingt minutes plus tard, il se sentit mieux. Vers huit heures, il s’endormit. Avant de dormir, Viktor bénit trois fois son frère et traça sur le front et la poitrine de celui-ci une croix, à l’aide d’ouate imprégnée d’huile de la lampade du Père Jean de Kronstadt.
Arriva le 19 août. Une crise commença. Viktor demeurait assis au chevet de son frère nuit et jour et ne se retirait dans sa chambre que très rarement, pour reprendre un peu de forces en dormant.
Les médecins avaient tardé à opérer, et maintenant… difficile à dire ce qui va advenir. Ce serait si pénible de perdre ce frère dans la force de l’âge. Mais allait-il parvenir à l’enlever de l’étreinte de la mort? Viktor pria avec larmes pour son frère. Et il demanda à ses parents, frères et sœurs de faire de même. Il leur écrivit : «Priez! Priez, particulièrement vous et Andrioucha. Mettez en œuvre toutes vos forces de prière afin d’arracher Paul des mains des esprits mauvais, afin que les médecins fassent du bon travail (qu’ils ne tardent pas une seconde fois), que les infirmiers soient efficaces et que Dieu soit miséricordieux et nous écoute».
Mais l’état de santé du malade devint extrêmement critique. Un début de péritonite se déclara. La température monta à 41,2°. Dans la nuit du 21, les médecins annoncèrent la fin. Viktor renforça sa prière. S’étant isolé dans sa chambre, il passa toute la nuit dans les larmes et une prière enflammée à Dieu pour la guérison, et au Père Jean de Kronstadt. La nuit s’écoula. Le matin, craignant d’être confronté au sort terrible de son frère, Viktor se rendit dans la chambre n°2 où se trouvait Paul. Il ne l’avait pas fait la nuit, se refusant de tenter le Seigneur. Une infirmière le reçut. Joyeusement, elle lui dit : «La température est de 36,8°, et le malade a déjà bu trois verres de lait. Il est de belle humeur et veut sortir».
Viktor n’en croyait pas ses yeux. Les médecins aussi étaient stupéfaits, les rougeurs et la tuméfaction avaient disparu… le frère était sauvé ! (…) Paul se rétablit promptement. Et Viktor reçut une sorte de rappel de sa promesse quand, le 1er octobre, revêtu du tablier d’infirmier, il entra à l’église pour les vigiles et entendit une voix : «Viktor! Tu vas bientôt devenir moine!». Tout autour, il faisait calme. Il n’y avait encore personne. Il fut effrayé. Viktor ne voulait pas y croire car il n’avait pas l’intention d’entrer rapidement au monastère. Mais le jour approchait de son départ du monde. Une voix intérieure rappelait sans cesse à Viktor la promesse donnée, et ne le laissait en paix ni le jour ni la nuit. La décision de quitter le monde mûrissait. Début 1910 elle avait tellement mûri que Viktor Viktorovitch décida de visiter quelques monastères dans lesquels il pourrait mener son podvig.
Le 28 février, il visita le Désert Saint Serge, non-loin de Saint-Pétersbourg. Les conditions ne le satisfirent pas. La richesse et le monde présent dans le monastère troublèrent Viktor et il décida de renoncer à accomplir son podvig en ce lieu. (…) Mais la voix de Dieu l’appelait. «Je viens Seigneur!» répondit Viktor, se soumettant à cet appel, et il se hâta le soir même chez son confesseur, le Père Aaron, chef de chœur à la Laure. Il lui fit part de sa décision et lui demanda de désigner le monastère où il pourrait s’isoler.
– Va au Désert Saint Zosime, non loin de Moscou, chez le Père Ambroise. Conseilla le Père Aaron à Viktor.
– Pardonne-moi, Père, répliqua celui-ci, mais je ne peux pas aller là-bas; c’est contraire aux aspirations de mon cœur. Je suis effrayé par la foule qui caractérise le Désert Saint Zosime.
– Réfléchis, et vas-y, conclut le père confesseur.
Et Viktor partit. Rentré à la maison chez ses parents, il fouilla l’encyclopédie, à la recherche d’un monastère qui lui conviendrait. Il feuilleta plusieurs volumes, sans trouver ce qu’il recherchait. L’inquiétude le saisit. Soudain, il y eut comme un tourbillon. Une voix puissante résonna dans la chambre : «Vas au Désert Saint Nicolas-Stolpenski!». Tremblant d’effroi, il se retourna et s’écarta de l’endroit d’où provenait la voix, mais il ne vit personne. Son frère Andriouchka accourut, de la chambre voisine où il se trouvait :
Vitia, qu’est-ce-qui s’est passé? demanda-t-il, apeuré. J’ai entendu comme une rafale s’élever dans la chambre.
Non, rien, il ne s’est rien passé, répondit Viktor, dissimulant son trouble. Je cherche quelque chose.
Quand son frère fut sortit, Viktor prit un livre traitant des monastères, rechercha l’Éparchie de Tver et dans la liste des monastères, il y trouva le Désert mentionné par la voix. Décidé à réaliser son retrait intérieur du monde, Viktor se prépara pour son voyage vers le Désert Saint Nicolas-Stolpenski. Cet événement eut lieu 11 mars 1910.
La communauté de Saint-Nicolas Stolpenski se trouvait sur la berge de la rivière Tvertsa, à une dizaine de verstes de la ville de Vychny-Volotchok. Le 13 mars il se mit en route, et le 14 mars, il arriva au monastère.
Traduit du russe