Rares
furent
en tous temps
les authentiques
vénérateurs de Dieu.
(Métropolite Innocent de Penza)

Entre le 1er janvier et le 15 mars 2021, fut proposée sur le présent site, la traduction de dix extraits constituant le début du livre «Le Chemin de Croix de l’Higoumène Boris». L’année 2022 commence avec la traduction de quelques pages de la suite du livre. Le texte ci-dessous est la relation de souvenirs d’un fils spirituel de ce héros de l’ascèse très peu connus en Occident : l’Higoumène Boris (Khramtsov) de bienheureuse mémoire. L’original russe est accessible librement sur l’internet, mais il fut également publié en 2005 sous forme de livre intitulé «Крестный Путь Игумена Бориса» (Le chemin de croix de l’Higoumène Boris) aux éditions Palomnik. Les parties déjà publiées du livre précité se trouvent ici.

Souvenirs du serviteur de Dieu Alexandre de Vologda.
Trois ans se sont écoulés depuis que l’âme de l’Higoumène Boris (Khramtsov) a emménagé dans les Célestes Demeures. Le temps a montré les fruits spirituels abondants que produisit son labeur dans les champs du Christ. Dans la chapelle sur sa tombe, on voit toujours des fleurs fraîches, témoignages du souvenir et de l’amour du peuple orthodoxe pour son Batiouchka vénéré. Pourquoi un flot incessant de gens afflua-t-il vers lui quand il était vivant et continue-t-il après son décès? Parce que Batiouchka Boris jouissait de précieuses qualités, rares en tous temps : la délicatesse et l’attention spirituelle, la chaleur du cœur, et l’amour sincère pour le prochain.Dans la Russie Orthodoxe renaissante du début des années ’90 du XXe siècle, le peuple émergeait des ténèbres de l’incroyance et cherchait des foyers de foi vivante. L’un de ces rares lieux fut la Skite de Tchernigov de Gethsémani, où le Père Boris accomplissait son obédience.
«Un doux pasteur, consolateur et guérisseur est apparu». Ce paroles du tropaire à Saint Barnabé de la Skite de Gethsémani peuvent s’appliquer à son successeur dans les podvigs spirituels, le Père Boris de bienheureuse mémoire. Nombreux, très nombreux, furent ceux qu’il aida à acquérir la vraie foi. Batiouchka savait comment s’adresser à l’intelligentsia moscovite si bien qu’aux gens de la province profonde, mais ce furent surtout les affligés, ceux qui souffraient, qui affluèrent vers lui, car ce ne sont pas les bien-portants mais les malades qui ont besoin d’un médecin (Math.9;12). Le Père Boris avait et manifestait gentillesse, affabilité, et attention. Personne ne restait indifférent après la rencontre avec ce merveilleux berger, cet homme au grand cœur. Batiouchka savait trouver l’accès à l’image de Dieu qui est imprimée dans l’âme de chaque homme et femme, malgré la profondeur des péchés et des erreurs de ceux-ci. Il montrait le visage brillant de l’amour divin désintéressé et pur envers ceux que la Providence Divine lui avait amenés, et il apportait la parole salvatrice de Dieu à ceux qui étaient tombés. Il traitait les rejetés, les égarés et les soi-disant-incorrigibles comme des frère aimants, sans jugement ni châtiment, s’affligeant sincèrement de leur souffrance et croyant sans cesse en eux comme en des créatures de Dieu. Illuminer le monde de la lumière homogène de l’amour pour toute créature de Dieu, pour toute créature, travailler avec le Seigneur en toutes Ses œuvres, accomplissant ainsi les paroles du Sauveur: que votre lumière brille devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres et glorifient votre Père Céleste (Math.5;16), voilà ce qu’enseigne toute la vie du Père Boris de bienheureuse mémoire.

Souvenez-vous de ceux qui vous conduisent (Heb.13;7).
La mémoire des gens préserve le bien que Batiouchka Boris leur a généreusement donné. C’est avec une profonde gratitude que je souhaite parler de mes rencontres avec mon père spirituel, l’Higoumène Boris.

Les pirojkis de Batiouchka
Je vivais alors à Vologda. Dans ma vie mondaine débridée, j’étais allé à l’extrême, de sorte que le Seigneur avait permis que je souffre et sois dans l’affliction. Aujourd’hui, c’est moi qui explique correctement ce qu’il en était de moi, mais à l’époque mon âme languissait, ne trouvant pas sa place: j’étais prêt à tout pour alléger, fût-ce un tout petit peu, ma souffrance.
De désespoir, ne trouvant aucune issue, je suis allé à l’église du Pokrov. La femme qui tenait le comptoir de l’église, voyant mes souffrances, me conseilla d’aller voir Batiouchka Boris à la Skite de Tchernigov, non loin de la Laure de la Trinité-Saint-Serge. «Batiouchka Boris n’est pas un simple batiouchka comme les autres, il guérit toutes les maladie spirituelles», me déclara-t-elle.
J’étais très sceptique; je n’avais pas confiance dans les membres du clergé. Que pourrait-il donc me faire de si particulier?
Déjà sur le chemin de la Laure, dans le train, une babouchka vantait ce prêtre: «Cela devient tout à fait insupportable, je suis venue sans tarder auprès de lui… la voisine a ensorcelé mon vieux et toutes sortes de malheurs s’abattent sur ma vie. Mon vieux est devenu possédé et je ne peux plus ni dormir ni manger. Seul le Père Boris peut aider. Quand je serai chez lui, mon âme sera toute légère…». Eh bien, pensai-je, ce n’est effectivement pas un simple batiouchka.
A cette époque, la restauration de la Skite de Tchernigov ne faisait que commencer. Tout autour, c’était la forêt, les travaux, le froid, les courants d’air, la poussière des matériaux de construction. En un mot, c’était inconfortable. Le Père Boris faisait l’office de l’onction d’huile sainte tous les jours dans une église froide et humide, un peu à l’écart de la grande église principale.
C’était le temps du lent réveil du peuple hors des nombreuses années de l’opium de l’athéisme. Ceux qui souffraient arrivaient en masse et tombaient dans cet «hôpital spirituel». Tout le monde demandait où le Père Boris faisait l’onction d’huile sainte. Il s’avère que l’Archimandrite Naum de la Laure de la Trinité-Saint-Serge envoyait beaucoup de ceux qui venaient à lui se faire oindre auprès du Père Boris.
Après un certain temps, la rumeur populaire elle-même parla déjà d’une «source» vivifiante et curative. De longues listes furent établies, car il était nécessaire de rationaliser l’interminable flux humain. Les gens assoiffés de réconfort vivaient à la Skite pendant plusieurs jours, et y recevaient un soulagement de leurs souffrances mentales et physiques.
Dans l’église principale, après les prières du soir, des matelas, des oreillers et des couvertures étaient distribués. On dormait à même le sol de l’église. Il semble que toute la Russie des infirmes et des affligés avait commencé à revenir dans le sein de l’Église du Christ.
J’eus de la chance: le jour même, je reçus l’onction.
«Un batiouchka comme les autres, me dis-je en observant le Père Boris, presque de mon âge». Mais sa voix, bien sûr, était inhabituelle, elle pénétrait jusque dans mon cœur.
Après les prières, l’onction d’huile consacrée, le chant doux avec des cierges: «Seigneur, aie pitié de nous …», l’âme se sent plus légère. Mais je me souvins n’avoir rien mangé depuis plus de deux jours, et ce n’était pas l’heure du repas.
Je me tenais dans un coin de l’église, affamé, mal rasé, «brebis perdue», et si ce n’était que cela… J’espérais pouvoir parler avec Batiouchka. Je regardai, une babouchka lui offrit des pirojkis, le regard plein d’amour. Mon ventre se mit à gronder.
Alors Batiouchka s’approcha de moi avec son bon sourire, me frotta l’épaule, me glissa une pirojki en disant doucement: «Complètement affamé, sans doute?!».
Mon cœur trembla. L’église sembla soudain confortable et familiale. Je devins comme un enfant, bon et chaleureux. Je compris que j’avais vraiment rencontré un être proche de moi, à qui je n’aurais pas peur de confier mes peines et mes malheurs. Je crus que Batiouchka Boris m’aiderait à retrouver la paix perdue de mon âme et m’indiquerait le chemin à suivre. (A suivre)
Traduit du russe