Texte de l’Archimandrite Raphaël Kareline, défenseur ardent de la Tradition de l’Église. Il a consacré une grande partie de sa vie longue de 90 ans ainsi que la majeure part de sa production littéraire foisonnante à la défense des dogmes et à la façon de les mettre en œuvre dans la vie de l’Église et du chrétien. Le texte ci-dessous est la deuxième partie du texte russe paru le 27 janvier 2011 sur le site Pravoslavie.ru, où il était repris du site de l’auteur. Le 14/23 janvier, l’Église célèbre la mémoire de Saint Nina de Géorgie, Égale-aux-Apôtres. Quelques éléments de biographie de l’Archimandrite Raphaël sont accessibles ici.

Par la volonté du Sauveur et la bénédiction de la Très Sainte Mère de Dieu, elle vint de Palestine jusqu’à la capitale géorgienne, Mtskheta, qui devint la deuxième Jérusalem. Le jour de son arrivée, le 6 août, c’était la nouvelle-année et la fête de la divinité zoroastrienne ormuzd, la principale célébration des adorateurs du feu. Sainte Nina, engagea un duel contre ormuzd, et le vainquit, comme Saint George vainquit le dragon. Par la force de la prière, le dragon fut défait et l’idole d’ormuzd tomba et se fracassa dans la poussière. Ce jour devint le nouvel an spirituel dans la vie du peuple géorgien. Mtskheta reçut Sainte Nina dans un tintamarre festif, des processions solennelles et une mer de lumières allumées en l’honneur de la divinité ormuzd. Chez les mazdéens, chaque premier jour du mois était consacré à ormuzd, mais le premier jour de la nouvelle année était célébré avec une solennité particulière. Sur la rive droite de la Koura, en face de Mtskheta, le Roi Parnaoz avait fait construire une forteresse et un temple païen appelé armazi. Sur la rive gauche, en face de Mtskheta, au sommet de la montagne se trouvaient des idoles de divinités zoroastriennes, forgées en métal et ornées de pierres précieuses. L’une d’elles brandissait une épée nue dans sa main tendue et se tenait au-dessus de Mtskheta comme un envahisseur inspectant la ville depuis les hauteurs de la citadelle.Sainte Nina, agenouillée, pria pour que le Seigneur fasse tomber les idoles par Sa force, comme les idoles de Memphis vacillèrent et s’effondrèrent lorsque la Très Sainte Mère de Dieu et l’Enfant passèrent les portes de la ville.
Le miracle se produisit. Une tempête se leva. L’horizon était couvert de nuages, comme si le ciel fronçait les sourcils. Les nuages, comme des glaciers ténébreux, flottaient au-dessus de Mtskheta. La lumière du soleil fut remplacée par le crépuscule, comme si le temps allait à rebours et que la nuit revenait. La foudre déchira les nuages. De ce coup de tonnerre, il sembla que toute la terre s’était effondrée. Un tourbillon semblable à une tornade bascula ormuzd dans l’étroite vallée, comme dans un duel, le preux renverse son rival en bas du cheval . Une averse s’abattit, mélangée à de la grêle, comme si des machines de siège jetaient des pierres sur une forteresse. L’eau de l’Aragvi était couverte de mousse, comme si elle avait bouilli: les vagues s’élevaient haut, comme si elles voulaient atteindre les sommets des montagnes. On aurait dit que des rivières dévalaient sur Mtskheta et allient la faire sombre dans leurs abysses. Les gens terrorisés se mirent à courir entre les maisons. La ville se vida comme un cimetière. Mais l’orage passa aussi vite qu’il avait commencé. Le soleil brilla de nouveau dans le ciel dégagé par la tempête et lavé par la pluie. Au sommet de la montagne, il n’y avait plus d’idoles visibles, comme si Sainte Nina avait arraché la bannière militaire des murs de l’Acropole. Dans l’orage et la tempête, dans les éclairs éblouissants, une nouvelle page des annales chrétiennes de la Géorgie s’est ouverte, majestueuse comme la nature du Caucase.
Sainte Nina séjourna dans la maison du jardinier du roi, le juif Anastase. Elle se construisit une cabane de branches recouvertes d’argile, en bordure du jardin du roi. Son lit, c’était un morceau de feutre posé en guise de tapis sur le sol. Là, elle priait la majeure partie de la nuit et elle s’endormait avant l’aube. C’est en ce lui que s’élève aujourd’hui le Monastère de Samtavro, dédicacé à Sainte Nina. Dans sa kelia vide se trouve la croix faite de sarments de vigne, que lui avait remise la Toute Sainte Vierge Marie. Cette Croix est conservée en tant que grand trésor de la Géorgie, à Tbilissi, dans la Cathédrale de Sion.
Dans les chroniques grecques, Nina est appelée Nona, c’est-à-dire moniale et ermite. Le désert, pour le cœur du moine, c’est le lieu de rencontre avec le Christ. Sainte Nina se retirait souvent dans les environs de Mtskheta, surtout sur la montagne, maintenant couronnée par le l’église de Jvari, où le bruit de la ville et les remous de la rivière ne perturbaient pas le silence. Dans les montagnes, le silence est comme un mur de cristal imperméable et transparent. Là, elle pria Dieu pendant des heures, et quand les premières étoiles apparaissaient dans le ciel, comme des cierges allumées par une main invisible devant l’iconostase, elle descendait dans la capitale, où les fenêtres des maisons brillaient comme des étoiles tombées sur le sol.
La prédication de Sainte Nina était accompagnée de la manifestation de la puissance de Dieu, en particulier la guérison des malades. Grâce aux Juifs installés dans le Caucase depuis au moins le 7ème siècle avant Jésus Christ, les peuples de Géorgie s’étaient familiarisés avec les enseignements bibliques. Les communautés chrétiennes, fondées par les Apôtres dès le Ier siècle, îlots isolés, se muèrent progressivement en un archipel, étendu au milieu de la mer du paganisme. À la fin du IIIe siècle, le christianisme était la deuxième religion la plus importante après le mazdéisme. La Géorgie se trouvait déjà face à un choix: paganisme ou christianisme, que choisir, l’Évangile ou l’Avesta, la lumière de la Croix ou les feux de Zarathoustra?
La reine Nana, guérie d’une maladie mortelle par la vierge Nina, devint chrétienne. Le roi Mirian, fils du Shah persan, avait appris depuis son enfance que l’Iran était un pays de la lumière, entouré à l’Est et à l’Ouest, il est entouré par le royaume des ténèbres, Touran et Rome. Les prêtres de Zarathoustra persuadèrent le roi, de ce que le christianisme était le précurseur de la catastrophe, prophétisée par Zarathoustra, la religion des femmes et des esclaves, indigne des ariens, et que la vraie foi périrait par une femme, comme il l’avait écrit un sage indien, cinq siècles avant la Nativité du Christ, et que l’Iran avait créé les grands héros qui vainquirent les géants venus de Touran, et que les Chrétiens étaient la cause de la chute de la Judée et enfin, que le crépuscule de Rome était arrivé.
Le Roi était plongé dans la plus grande perplexité. Où était la vérité? Où devait-il mener son peuple? Son nom serait-il béni ou maudit par sa descendance? Les plateaux de la balance de l’histoire hésitaient entre ses mains. Quelle était la coupe qui ferait pencher la balance? Mais un miracle résolut le doute du roi. Il fut sauvé d’un danger mortel quand il fit appel au Dieu inconnu de Sainte Nina. Le roi Mirian devint alors le premier roi chrétien de Géorgie. Selon les Chroniqueurs grecs, la conversion de la Géorgie eut lieu en 318 après Jésus Christ, le baptême de la Géorgie, selon les «Chroniques de la Géorgie», en 326, et la période de l’organisation hiérarchique de l’Église Géorgienne en 337. Les prêtres et les évêques envoyés de Constantinople baptisèrent les peuples géorgiens dans l’Aragvi. L’endroit où le Roi Mirian et les princes furent baptisés s’appelle encore aujourd’hui «la cuve des nobles». En aval de la rivière, le peuple a été baptisé dans ses eaux, comme dans une gigantesque cuve baptismale. Dans les eaux de l’Aragvi s’éteignirent les lumières de Zarathoustra. Dans les vagues de l’Aragvi fut lavé le sang des sacrifices humains, versé devant les idoles jusqu’au règne de Reva le Juste (2e siècle avant Jésus Christ), et balayée fut la boue des théurgies et de la magie païennes. Dans l’Aragvi, des fragments d’idoles brisées furent jetés comme des cadavres dans une fosse commune. Le Saint-Esprit est descendu sur les eaux de l’Aragvi pendant le baptême de la Géorgie, comme sur les eaux du Jourdain. Sainte Nina parcourut avec ses prédications la Kartlie et de Kakhétie. Elle montait dans des villages de montagne pareils à des nids d’aigle, accrochés aux falaise abruptes au-dessus de l’abîme. Elle prêchait dans les palais des nobles et les huttes des pauvres. Elle passait jour et nuit à s’occuper du peuple nouvellement baptisé, comme le fait la marraine avec tous ses enfants de baptême.


Bodbe

Le podvig de la vie de Sainte Nina se termina dans la région orientale de la Géorgie, l’Héréthie, dans le village de Bodbe. Telle un monument mémorial se dresse sur sa tombe l’église de Saint Georges le Victorieux. Ici repose le saint corps de Nina l’Égale-aux-Apôtres, mais son âme, elle repose dans chaque église, dans chaque ville, dans chaque village de Géorgie. Elle est dans le cœur de la Géorgie, et la Géorgie dans son cœur.

Traduit du russe

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