Rares
furent
en tous temps
les authentiques
vénérateurs de Dieu.
(Métropolite Innocent de Penza)

Entre le 1er janvier et le 15 mars 2021, fut proposée sur le présent site la traduction de dix extraits constituant le début du livre «Le Chemin de Croix de l’Higoumène Boris». L’année 2022 commence avec la traduction de quelques pages de la suite du livre. Le texte ci-dessous est la relation de souvenirs d’un fils spirituel de ce héros de l’ascèse très peu connus en Occident : l’Higoumène Boris (Khramtsov) de bienheureuse mémoire. L’original russe est accessible librement sur l’internet, mais il fut également publié en 2005 sous forme de livre intitulé «Крестный Путь Игумена Бориса» (Le chemin de croix de l’Higoumène Boris) aux éditions Palomnik. Les parties déjà publiées du livre précité se trouvent ici.

Souvenirs de la servante de Dieu Elena
Mon récit sera incomplet. Ces notes ne seront qu’une petite partie de ce qu’a dit le Père Boris, car mon fils et moi sommes encore en vie et je ferai seulement mention de ce qui me paraît possible d’écrire aujourd’hui.
Comment je me retrouvai chez Batiouchka
Nous étions des gens qui fréquentaient l’église et je pensais que nous étions profondément croyants. Mais somme toute, je priais, jeûnais, allais à l’église, sans me rendre compte que ce n’était pas tout. J’ai commencé à croire réellement quand j’ai vu le Père Boris ; tout a basculé dans mon âme et dans mon esprit. Voilà, elle était là, la lumière de la vie éternelle, dans les yeux de cet homme à la voix inhabituellement égale.Quand ces yeux scrutaient mon cœur, je ne peux pas dire que j’en étais heureuse et que je voulais revenir chez le Père Boris. Non, je voulais fuir, de honte. Oui, le Seigneur sait tout de nous et voit tout, mais nous ne Le voyons pas, et donc tout va bien, pas de honte, pas poids à porter, et devant les gens, je suis si bonne, si humble… Et soudain, voici la fin de ma «bonté». Je pensais que j’allais à Dieu, et tout d’un coup, douche froide et dégringolade, je vis que je m’étais trompée. Mais c’était si confortable et bon, et je voulais m’encourir d’ici et retourner à ma réalité «orthodoxe» confortable et vivre dans mon auto-tromperie, je ne voulais pas la vérité, je n’en voulais pas. Je vis la Lumière de la Vérité et j’eus peur. Et c’est arrivé ainsi. Mon fils avait grandi comme un très bon garçon, il allait à l’église, priait, mais étudier, d’une manière surprenante, cela ne lui avait pas été donné. À la fin de la huitième année, on m’a proposé de le retirer de l’école; il était inutile d’insister davantage. Après avoir eu du mal à convaincre les enseignants de le faire passer en neuvième année, je me suis dit: et ensuite? En dixième et onzième, jamais on ne le prendra. Dans un institut technique et professionnel? Là, c’est une jeunesse différente, et notre garçon est si calme, gentil, beau, croyant. Que faire? En 1996, en septembre, en neuvième année immédiatement les deux sur cinq se mirent à pleuvoir. Nouvelle menace d’exclusion de l’école. A l’église, on me conseilla d’aller voir les startsy et leur demander où orienter notre fils, car il était clair que nous avions fini avec l’école. Mais où étaient-ils, ces startsy et comment arriver jusqu’à eux?
J’ai cherché quelqu’un qui m’aiderait, et j’ai trouvé une femme qui me conseilla d’aller à Varnitsy chez le Père Boris, et de faire comme il me dirait. Elle me dit qu’il était clairvoyant et qu’il me dirait tout. Je devais juste me souvenir de chaque mot et ensuite en tenir compte toute ma vie. Elle dit aussi dit que je ne resterais auprès de lui qu’une minute ou deux et qu’il ne prononcerait que quelques mots.
Je me mis en route, imaginant comment tout allait se passer et même à quoi devait ressembler le starets et exactement ce qu’il dirait. Mais j’étais très inquiète, le destin de mon enfant bien-aimé, mais pas doué, allait se jouer.
Varnitsy en 1996 frappait par sa pauvreté et son état dévasté. Moi, élégante, dans mes meilleurs vêtements , mon long manteau blanc, des hauts-talons, et autour, comme si c’était la guerre. Ils m’ont fait changer de tenue, et pour une raison quelconque m’ont remis un manteau de fourrure, et ils m’ont donné deux mauvais seaux et ont dit que le starets n’était pas là, et je devais aller arracher des pommes de terre. C’est ainsi que je me retrouvai au milieu du jardin jusqu’au soir. Ensuite j’aperçus que deux prêtres venaient d’arriver. Tout le monde se précipitait vers l’un d’eux pour recevoir sa bénédiction. Mais moi, où pouvais-je courir dans ce manteau de fourrure, d’énormes baskets aux pieds et mes deux vieux seaux? J’avais plutôt besoin de m’enfuir. Le prêtre me regarda et ses yeux sourirent. On me dit: «Vous restez plantée là, mais c’est lui, c’est le Père Boris». Quelle déception. Dans ma tête, le starets était vieux, gris, les yeux larmoyants, dur, mais aussi aimant. Et devant qui je me trouvais? Jeune, et me regardant drôlement. Mais moi je portais un chagrin, un fils avec des deux sur cinq. Mais qu’est-ce que c’était? Où étais-je tombée? On m’autorisa à aller immédiatement me changer et remettre mes vêtements. Je rangeai les deux seaux et entrai dans le bâtiment, où le Père Boris allait recevoir ceux qui le voulaient. Il y avait tellement de gens que l’espoir d’arriver à lui fondit bien vite. Un homme s’assit à côté de moi, avec qui je maintiens maintenant des relations amicales, et il commença à parler du Père Boris. Il parlait bien et beaucoup, mais cela ne correspondait pas vraiment à mon état d’esprit: des miracles, des guérisons, une étonnante clairvoyance. Les gens entraient chez le Père Boris et ressortaient, et Victor et moi demeurions assis, et il parlait, encore et encore. Ma tête se mit à tourner : tout cela pouvait-il être vrai? Un saint, de nos jours? A une heure du matin, nous nous retrouvâmes seuls. Victor plaisanta : «Vous savez, le Père Boris vous a vu, vous lui avez plu. Vous vous endormirez, et il viendra vous tonsurer. Et voilà tout. Dans la matinée, vous vous lèverez et vous ne rentrerez plus chez vous, vous vivrez ici. Savez-vous ce qu’est la tonsure monastique secrète?». Je n’en savais rien, mais quand j’entendis de quoi il s’agissait, et je fut complètement épouvantée. Mais je voulais dormir. Nous avons été installés dans une maison en bois, et j’ai décidé de lutter de toutes mes forces contre le sommeil pour ne pas être tonsurée. Quelle nuit… Comme j’ai prié! Maintenant, je ne suis plus capable de prier comme ça! Je priai le Seigneur de m’emmener loin de là, promettant de ne plus jamais aller voir un starets de toute ma vie, ni encore dans les monastères. Je m’adressai à tous les saints que je connaissais, qu’ils m’aident à ne surtout pas devenir moniale. Quand vint le matin, je pensai que le danger était passé. Je devais immédiatement m’encourir à la maison. Mais on m’arrêta et on me dit qu’on ne peut rentrer à la maison sans prendre la bénédiction du starets. Je dus attendre la fin de l’office, et après la liturgie, j’allai auprès du Père Boris : «Bénissez pour que je rentre à la maison». Et je voyais comme il me regardait en souriant, ses yeux riaient. Je me demandais ce que je pouvais avoir de risible ? Une salissure sur le visage, peut-être? Et soudain, je sus qu’il connaissait ait tout à mon sujet, mes angoisses de la nuit écoulée. Il avait entendu toutes mes prières. Tout, il savait tout à mon sujet. Le Père Boris ne me donna pas sa bénédiction pour rentrer à la maison. J’insistai, j’exigeai : «Je ne vous demande rien, je veux juste rentrer à la maison».
«Alors, je vous recevrai la première ce matin. Allez m’attendre, j’arrive de suite». J’allai, je m’assis. Il le fallait. Bientôt, ce serait fini, et je retournerais chez moi, et tout serait comme avant. Mais pour moi, plus rien ne fut comme avant. Je rentrai chez complètement autre. Ce jeune, joyeux et beau starets avait bouleversé toute ma vie, et il m’a conduite, me tenant fermement par la main. Cher Batiouchka, surtout, ne lâche pas ma main!
Le Père Boris arriva et me fit entrer. Au début, j’ai refusé de m’asseoir, disant que je ne demandais qu’une bénédiction pour la route, mais j’ai quand même parlé de mon fils. Batiouchka dit calmement que mon fils était un garçon bon et intelligent. Pas d’institut technique et professionnel. Il allait très bien terminer sa scolarité, car il était très intelligent.
«Je suis vraiment désolée que vous ne me croyiez pas; j’aurais dû prendre son journal de notes». Comment pourrait-il terminer ses études? Qui allait le prendre en dixième année, avec des notes «insuffisant» ou «nul».
Le Père Boris répondit qu’on allait le prendre, et le laisser continuer à étudier.Il bénit d’étudier à l’école, et dit à plusieurs reprises qu’il étudierait très bien et continuerait ses études. A mon explication selon laquelle qu’il n’était pas encore parvenu à apprendre l’alphabet anglais en neuvième année, le Père Boris répliqua qu’il lirait et parlerait couramment l’anglais. Qu’est-ce qui se passait dans mon âme? Pourquoi étais-je venue là? Chez qui? Une idiote est une idiote. Eh bien, cela me servirait de leçon. Aller chercher des startsy… Il ne croyait même pas que mon fils était dans de grosses difficultés. Et le Père Boris ajouta encore que bientôt notre fils travaillera dans l’Église, à l’autel. Mais comment serait-ce possible? L’église où nous allions était une église de village, de la gare il y avait encore quatre kilomètres en bus, puis un petit trajet à pied à travers bois. Pour rien, je n’aurais laisser mon fils y aller seul, et le conduire en voiture souvent, mon mari ne pouvait pas. D’ailleurs, sans doute, tout cela n’était-il pas vrai. La tempête soufflait dans mon âme, je voulais partir. Mais le Père Boris commença à me confesser. Il me parla de l’avenir de mon fils. Ensuite il lut sur moi de nombreuses, très nombreuses prières, et il me sembla être près de lui déjà depuis un temps très long. Finalement, je pus partir. Partir pour toujours et oublier cette journée. (A suivre)
Traduit du russe