Le texte ci-dessous est la traduction en plusieurs parties d’un original russe écrit par l’Archiprêtre Alexandre Chargounov et publié le 4 février 2022 sur le site Pravoslavie.ru. Le Père Alexandre pose un regard sur les éléments caractéristiques de nos temps derniers et rappelle les jalons qui permettent aux Orthodoxes qui le souhaitent de vivre cette époque dans la fidélité authentique à la voie tracée par notre Seigneur Jésus Christ. Le titre de l’article original russe a été conservé.

S’il fallait formuler brièvement, en une phrase, le danger qui menace aujourd’hui la pureté de l’Orthodoxie, ce serait ‘la perte de la place centrale de la Croix dans la théologie orthodoxe’. C’est par la Croix que s’accomplit notre salut, par la pureté de la foi. La Croix est la source, le concentré de tous les mystères divins, de tous les dogmes, de tout l’amour, de toutes bénédictions. Nous sommes sauvés par la mort du Christ sur la Croix. La Croix nous donne une paix supérieure à toute intelligence, et c’est par la Croix seulement que vient la «joie pour le monde entier». Sans la Croix, les mystères salvateurs de l’Église n’existeraient pas, et sans la Croix, même la prière serait une stricte perte de temps. L’Église sans la Croix serait un attachement rituel sans vérité, sans justice, sans repentir et sans sainteté.Bien sûr, tous nous souhaitons, probablement, recevoir le pardon de nos péchés, par la Croix du Christ. Mais nous ne voulons pas porter la croix de notre vie. Ce que l’on appelle trop souvent «être raisonnable», «être réaliste», «garder fermement les deux pieds sur terre» n’est en réalité être que la réticence intérieure à accepter et porter notre croix. L’Apôtre Paul dit : «Dieu me garde de me glorifier, si ce n’est dans la croix de Notre Seigneur Jésus-Christ»(Gal.6;14). L’essentiel, ce n’est pas les églises nouvellement construites ou restaurées, ni les nouveaux baptisés, ni les instituts de théologie et les écoles, ni les œuvres sociales, tout cela est merveilleux et la vie de l’Église est impossible sans tout cela, mais ce n’est pas l’essentiel.
Les activités missionnaires, caritatives et éducatives sont essentielles pour l’Église. Cependant, personne ne contestera que les catholiques et les protestants ont réussi et réussiront dans ce domaine toujours mieux que nous. La tentation subtile de rivaliser avec eux dans les œuvres extérieures peut nous conduire à la perte de l’essentiel. Et quand l’essentiel est perdu, tout est perdu.
Je souligne encore et toujours cette idée. Je ne veux en aucune façon amoindrir la signification de ce gigantesque travail quotidien qu’accomplissent nos prêtres et nos laïcs, restaurant non seulement les églises détruites mais aussi, tout les fondements spirituels de la vie de la société.
Nous sommes conscients de ce que la véritable renaissance spirituelle se fait discrètement, comme la croissance d’une plante. Et du fait qu’il faut avant tout de l’humilité, de la sagesse et de la patience. Cependant, ces qualités les plus précieuses doivent faire partie intégrante de la croix, sans laquelle elles se transforment rapidement en leur contraire, ce qui peut être observé dans le monde d’aujourd’hui. L’humilité devient une soumission servile au mal, la prudence se transforme en calcul lâche ou cynique et la patience se révèle être une indifférence décourageante et le renoncement à toutes les positions.
L’essentiel est de faire en sorte que dans tous nos travaux, grands et petits, la croix soit présente comme une dimension permanente de notre vie. Ainsi, c’est en la croix que réside toute la plénitude de la confession chrétienne, et ce n’est pas par hasard qu’on représente les martyrs tenant une croix à la main. Seule l’Orthodoxie compte une telle multitude de martyrs, plus que toute autre confession; c’est le témoignage de sa véracité.
Là où se trouve la Croix du Christ et les Croix des martyrs du Christ, le mal atteint sa limite. C’est pourquoi, lorsque le mal dans le monde se déploiera au grand jour jusqu’à la fin, alors apparaîtra dans le ciel la Croix du Christ, signe de la Seconde et Victorieuse Venue du Christ en gloire. Maintenant que sous nos yeux le mal se déploie sans fin dans le monde, la vénération authentique des martyrs, et la préservation de la pureté de l’Orthodoxie, deviennent particulièrement importantes. D’autant plus que si nous gardons en vue la présence permanente en nos vies d’une perspective eschatologique, la confession de la pureté de l’Orthodoxie signifiera immanquablement que nous devrons être prêts a accepter le martyre. Il faut être complètement aveugle pour ne pas distinguer dans la vie sociale du monde contemporain les griffes de celui qui fut le «meurtrier de l’homme dès l’origine», et qui de l’intérieur de nous-mêmes peut détruire notre peuple, notre humanité.
Qu’entendons-nous sans cesse? Que tout va bien? Qu’on assiste à un épanouissement spirituel extraordinaire? N’aurions-nous pas pitié de ces enfants qui n’ont rien à manger, plongés dans la débauche, qui injurient leur mère devant leurs aînés, et même avec leur leurs aînés! Ni de la jeunesse dont l’immense majorité est intoxiquée par la vodka, les stupéfiants, les jeux informatiques, les réseaux sociaux où ils trouvent de la propagande en faveur du suicide, de toutes sortes de perversions et du terrorisme. La plupart d’entre eux sont psychiquement malades. Pour les autres, les prêtres ne feraient que célébrer des rituels; ils ne s’opposent en aucune façon aux marchands d’illusions. Et aucune enquête , aucun sondage n’est nécessaire, chacun peut voir cela de ses propres yeux. Si nous ne percevons pas le mal dans toute sa puissance destructrice, cela signifie qu’il a instauré sa domination sur nous.
Ce danger a toujours menacé l’Église, mais au plus le mal croît, au plus le danger devient évident. «Les gardiens d’Israël sont tous aveugles, ils ne savent rien ; ce sont tous des chiens muets, qui ne peuvent pas aboyer», s’exclame le prophète Isaïe. (Is.56;10). Et le Bienheureux Augustin dit encore «Comme il est dangereux qu’il se taise, celui qui a été mis en garde». Et Saint Grégoire le Théologien dénonce pareils pasteurs : «Ils fuient devant le loup, s’enfermant dans le silence». On nous dit : «Sois pieux et humble, cela suffira». Mais est-il possible d’allumer la lumière sans mettre à nu les ténèbres?. Il s’agit en fait d’une question de vie ou de mort, de vie éternelle ou de mort éternelle.

Oui, la vigilance du cœur, la prière incessante, le jeûne, la parole de Dieu et, par-dessus tout, le Сorps et le Sang très purs de Dieu sont la vie de l’Église. Mais cela nous est-il réellement donné comme une participation à la Croix du Christ et à Sa Résurrection? Ou tout cela crée-t-il simplement pour nous une sorte de confort spirituel, comme l’a écrit à ce sujet Saint Ignace (Briantchaninov)? Voici la question de la survie de l’Église.
Ici, je voudrais aborder un autre thème important mentionné dans la titre de l’article : la glorification des néomartyrs et confesseurs de la foi de l’Église Russe. La façon que nous considérons leur glorification est semblable à celle dont nous considérons le mystère de la Croix, et est semblable à celle dont nous confessons en fait la pureté de l’Orthodoxie.
C’est ainsi que lorsque nous glorifions les martyrs et les confesseurs de la foi, nous devons nous souvenirs que le confesseur de la foi est celui est prêt à défendre la vérité de l’Orthodoxie jusqu’à la mort, et le martyr, celui que le Seigneur rend apte et digne de réaliser cela. Il est impossible de nier que la glorification des néomartyrs, nous ne la considérons pas avec toute la profondeur requise par la justice de Dieu. Jusque maintenant, leur mémoire n’a pas encore été célébrée avec la solennité appropriée, malgré que le chœur immense des néomartyrs est incontestablement une des manifestations les plus significatives de la vie de notre Église. En témoigne le fait que jusque aujourd’hui, dans certaines églises, on ne célèbre pas l’office du Saint Tsar Martyr et Strastoterptsy Nicolas II le jour anniversaire de son assassinat, ou qu’on célèbre sa mémoire seulement comme celle d’un parmi les centaines de milliers de chrétiens orthodoxes assassinés en dépit de leur innocence, passant ainsi sous silence l’essentiel de son podvig.
Comment pouvons-nous sans cela prendre conscience de ce qu’il advint de notre Russie et de notre Église au XXe siècle, et de ce qui se passe aujourd’hui dans le monde, et dès lors, nous repentir sincèrement? La parole de Dieu nous dit que Sodome aurait pu être épargnée pour dix justes, et Jérusalem pour un seul. «Parcourez les rues de Jérusalem, voyez, renseignez-vous et cherchez sur ses places si vous ne trouvez pas un homme, un seul qui observe la justice, qui cherche la vérité? Alors j’épargnerais Jérusalem» (Jer.5;1), dit le Seigneur par l’intermédiaire de Son prophète, devant Jérusalem dévastée. Voilà pourquoi Dieu cherche avec une telle patience les véritables intercesseurs du peuple. D’un saint glorifié, il en naît d’autres. Il est rare, dans l’histoire de l’Église, qu’un saint existe isolé des autres. La majorité des étoiles scintillent dans des constellations, petites et grandes. Autour de chaque fondateur, il y a un cercle, une couronne de saints disciples. Saint Serge et ses saints disciples, Saint Antoine et Théodose de la Laure des Grottes de Kiev et leurs innombrables disciples, toute la pléiade des startsy d’Optino, de Saint Lev et Saint Ambroise jusqu’aux saints confesseurs de la foi, Nikon et Nectaire. Ou le Saint et Juste Prince Alexandre Nevski et ses successeurs, Saint Daniel de Moscou et Saint Dimitri Donskoï. Et enfin, la constellation la plus lumineuse : le Saint Tsar Martyr et Strastoterpets Nicolas, le Saint Patriarche Confesseur de la Foi, Tikhon et le chœur de tous les martyrs et confesseurs de l’Église Russe. (A Suivre)
Traduit du russe
Source