Le texte ci-dessous est le début de la traduction en deux parties d’un original russe écrit par Monseigneur Clément, Métropolite de Kalouga et Borovsk, qui est également professeur d’histoire à l’Université de Kalouga. Cet article fut publié d’abord dans la «Literatournaia Gazeta» et repris ensuite, le 12 octobre 2017 sur le site Pravoslavie.ru.

Un siècle vient de s’écouler depuis l’année des deux révolutions russes qui ont changé radicalement la vie de notre pays. En Russie, non seulement la structure de l’État précédant fut détruite, mais la relation du pouvoir et des institutions sociales envers l’Église changea radicalement. Une persécution massive et prolongée de la foi commença rapidement; ce fut une époque pendant laquelle souffrirent des millions de nos compatriotes. Le centième anniversaire de ces événements-clés, est une occasion très opportune de se souvenir de ceux qui préservèrent la fidélité au Christ et à Son Église au cours de toutes les épreuves qui s’abattirent sur eux. Le dernier Empereur de Russie, Nicolas II, et sa famille, furent parmi les premiers à accepter la mort. Quelques décennies plus tard, l’Église Orthodoxe de Russie les glorifia dans le chœur des strastoterptsy. Cette décision ne fut en rien hâtive, ni politiquement orientée. Une commission spéciale pesa longuement les «pour» et les «contre», auditionnant non seulement les partisans mais aussi les opposants à la glorification de Nicolas II, ces derniers étant nombreux dans le milieu ecclésiastique. C’est sur base d’un travail d’étude minutieuse des derniers mois de la vie et des circonstances de la mort du dernier couple impérial Romanov et de leurs enfants, ainsi que des nombreux témoignages de leur vie de prière fervente, que fut décidée la glorification de toute la famille : le Tsar Nicolas Alexandrovitch de Russie, la Tsarine Alexandra, le Tsarévitch Alexis, les Grandes Duchesses Olga, Tatiana, Maria et Anastasia. J’ai eu l’occasion d’étudier les documents de cette glorification, les rapports des commissions qui ont analysé divers aspects de la vie et des activités de l’Empereur Nicolas II. Aujourd’hui, je me remémore différents événements de ce passé séculaire, et je souhaite partager quelques pensées aux sujet des Strastoterptsy de la Famille Impériale.
Et je souligne d’emblée que la cause de la vénération de toute l’Église dont ils font l’objet ne réside pas dans leur activité politique; ce n’est pas leur service à l’État, mais leur courage et leur acceptation sans un murmure des souffrances qui leur furent infligées. Pour cette raison, dans le portrait aux multiples facettes du Tsar-Strastoterpets, sa personnalité apparaît au premier plan, et j’orienterai principalement mon propos sur lui en tant qu’homme. Mais il sera inévitablement abordé en sa qualité d’Autocrate, dans les cas particuliers où l’homme et l’empereur se manifestèrent en lui de manière indivisible.
Le chrétien se distingue en premier lieu par sa foi. L’héritage épistolaire des prisonniers de la Famille Impériale, leurs notes et leurs journaux intimes montrent clairement que la souffrance non seulement n’a pas affaibli, mais a renforcé leur foi. Seule la foi, selon l’Impératrice Alexandra Fiodorovna, leur donnait la force et la fermeté d’esprit, «pour tout supporter». La foi les a non seulement aidés à endurer tous les changements douloureux de leur vie, mais elle les a également rapprochés du Christ. Souvent, ils ont senti Son aide, étonnés par leur propre patience. «Le Seigneur est si proche», écrivit à Tobolsk la Tsaritsa, en décembre 1917, «On sent Son soutien, on se surprend souvent à supporter des choses et des séparations qui auparavant nous auraient déjà tués». Il est erroné de penser que le véritable intérêt pour la foi du Christ et de son Église n’est apparu dans la famille du Tsar que pendant sa captivité. Des contemporains ont témoigné de ce que le Tsar Nicolas Alexandrovitch commençait et terminait sa journée avec la prière. Sous son règne, on mena les travaux conduisant à la glorification de plusieurs saints, et en particulier, à la glorification de Saint Seraphim de Sarov. Et le nombre d’églises et de monastères augmenta considérablement dans le pays. L’Empereur comprenait où de nouvelles églises étaient particulièrement nécessaires. Ainsi, sur un rapport qui lui fut présenté, il a écrit: «La construction d’églises en Sibérie est particulièrement chère à mon cœur. Je souhaite que chaque église ait aussi son école». Sous le règne de son père Alexandre III et sous celui de Nicolas II lui-même, de nombreuses écoles paroissiales et d’alphabétisation apparurent. Grâce à cela, l’alphabétisation et l’enseignement primaire devinrent accessibles à la plupart des habitants du pays, y compris ceux des milieux ruraux pauvres. L’histoire connaît beaucoup de dirigeants qui, par tous les moyens, aspirèrent au pouvoir, se battirent pour lui, prêts à aller trop loin dans cette lutte… Nicolas II ne fit pas partie de ces gens. Il grandit dans une famille où les parents, l’Empereur Alexandre III et l’Impératrice Maria Fiodorovna, accordaient une attention particulière à l’éducation de leurs enfants, à leur enseignement et à leur développement. Bien sûr, la plus grande partie de leurs soins parentaux fut consacrée à former l’héritier à accéder au trône. Le Tsarevitch acquit un excellent niveau, polyvalent, dépassant le niveau universitaire de l’époque, de même qu’une formation et une expérience du service dans l’armée.
Lors du service militaire il révéla des qualités chrétiennes telles que le soin sincère des subordonnés et l’aide au prochain, en dépit de l’organisation hiérarchique. Il s’occupait des soldats non moins que des officiers. Il se penchait sur leurs conditions de logement dans les casernes, sur la nourriture et les fournitures matérielles. Dans sa biographie, on lit cet épisode: il a parcouru 30 kilomètres harnaché d’un nouvel équipement complet de soldat pour s’en faire une idée précise avant de décider s’il fallait l’approuver pour l’armée. Il s’intéressait non seulement à la vie militaire des soldats, mais aussi à la situation de leurs familles, qu’il aidait souvent si elles en avaient besoin. Il n’excluait pas les relations directes avec le milieu des simples gens, duquel étaient appelés les soldats. Dans ces relations, l’un de ses compagnons de régiment observa l’expression dans le caractère du futur Tsar-Strastoterpets d’une qualité authentiquement chrétienne et rare pour un monarque : la «simplicité sans prétention».
En tant qu’héritier, Nicolas ne faisait pas qu’observer la vie seulement depuis les fenêtres du palais. Il entreprit de longs voyages, communiqua avec des gens des différentes classes de la société russe, et fut président du Comité Gouvernemental pour la Construction du Chemin de fer Transsibérien. On sait que l’Empereur Alexandre III était particulièrement heureux quand il entendait que ses enfants avaient appris quelque chose de pratique, avaient acquis certaines connaissances et compétences qui pourraient leur être utiles dans la vie quotidienne. De toute évidence, cet Empereur aurait préparé son fils de la meilleure façon pour le rôle essentiel de chef de l’état. Mais survint une chose que personne n’avait prévu. Dans l’histoire russe, il existe des cas où l’héritier est devenu le co-dirigeant officiel du Grand-Prince, recevant du vivant de son père et sous sa direction une expérience pratique dans la gestion de l’État. Par exemple, le jeune Ivan III est devenu le co-dirigeant de son père aveuglé par les ennemis du Prince Basile II, surnommé le Sombre. Ce fut le cas du fils aîné d’Ivan III, Ivan le Jeune, qui, malheureusement, décéda à un âge relativement jeune; il fut donc seulement co-dirigeant avec son père. Bien sûr, il s’agit d’une analogie historique très approximative, mais son sens, je pense, est clair. Malheureusement, le Tsarévitch Nicolas Alexandrovitch n’eut pas l’occasion, du vivant de son père d’être le co-dirigeant de celui-ci, d’acquérir une compétence pratique pour résoudre les problèmes de politique intérieure et étrangère, de se plonger dans les détails et les caractéristiques de la gestion de l’État Russe. Son père, l’Empereur Alexandre III, avait un physique de bogatyr et, pensait-on, une santé enviable, mais il mourut avant d’atteindre son cinquantième anniversaire. Devenu si tôt et si brusquement Chef de l’État, Nicolas II ne s’en réjouit pas du tout. Ses notes de l’époque sont empreintes de la tristesse causée par le départ précoce de son père et de sa préoccupation pour le sort de la Russie. Elles témoignent de ce que Nicolas II était conscient de son devoir élevé et de ce que les habitants du pays attendaient de lui. Ses dispositions intérieures correspondaient à l’éducation qu’il avait reçue. (A suivre)
Traduit du russe
Source