Le texte ci-dessous est la deuxième partie de la traduction d’un original russe composé par Monseigneur Clément, Métropolite de Kalouga et Borovsk, qui est également professeur d’histoire à l’Université de Kalouga. Cet article fut publié d’abord dans la «Literatournaia Gazeta» et il fut repris ensuite, le 12 octobre 2017 sur le site Pravoslavie.ru.

L’amour de son pays, exprimé par le service au bien de celui-ci, jusqu’au sacrifice de soi, demeura tout au long de la vie du Tsar-Strastoterpets, son étoile-guide. Comme on le sait, ce fut précisément le motif essentiel auquel firent appel certains de ceux qui l’entouraient pour le convaincre de renoncer au trône. Dans son télégramme à ce sujet, il indiqua que sa disposition à renoncer au trône était un sacrifice «au nom du bien réel et du salut de la Russie». Faisant face à un choix, le développement d’une guerre civile ou le renoncement au trône, il renonça au trône sans hésiter, espérant mettre ainsi un terme à la révolution. Par la suite, V.A. Makarov écrivit ceci au sujet des opposants au pouvoir impérial : «Les portes-paroles de la société, convaincus de tout savoir et de représenter tout le pays… faisaient infatigablement leur propre publicité dans la presse à leurs ordres… refusaient de s’abaisser à collaborer avec le pouvoir précédant, prétendant être le seuls maîtres. Ils le devinrent en 1917, pour leur propre malheur et celui de la Russie».

Le Saint Patriarche Tikhon

En 1918, Saint Tikhon, alors Patriarche de toute la Russie, dans son homélie consacrée à la fusillade qui avait massacré le Tsar et sa Famille, souligna que le souverain avait renoncé au pouvoir sur le pays «par amour pour lui». Pour cette raison, après sa décision, il choisit de ne pas d’aller vivre une retraite paisible à l’étranger; il préféra «souffrir avec la Russie». Le choix de Nicolas II fut partagé par son épouse et tous ses enfants, témoignage de l’unité d’âme de cette famille, qui avait appris et acquis l’amour chrétien. Les Strastoterptsy de la Famille Impériale ne furent pas des victimes accidentelles de la pression des événement; leur décision fut réfléchie, nonobstant le danger du chemin qu’ils avaient choisi. Ils formèrent une famille régnante unique en son genre.
Tout le monde sait que dans les dynasties régnantes, les mariages sont avant-tout une affaire d’État. Ils étaient conclus comme des alliances politiques, auxquelles ne se joignait pas toujours l’amour des cœurs. Il n’est pas rare que dans le cadre de ces unions dynastiques, les époux vivent toute leur vie sans devenir proches l’un de l’autre, même lorsqu’ils avaient assuré leur propre descendance. Ils observaient à la lettre «l’étiquette», les apparences, de la dimension officielle de leur union, mais leur relation ne correspondait pas à l’existence d’une famille, avec la concorde, les soins mutuels, la fidélité entre époux, la vie commune. Parfois, c’était différent. Dans notre histoire nationale et à l’étranger, on peut trouver des exemples de mariage qui furent initialement basés sur la sympathie ou, du moins, sur l’intérêt mutuel. Mais par la suite, les époux ne purent préserver leur relation. De façon générale, les conjoints, pas seulement les membres des familles royales, ne parvinrent pas toujours à porter tout au long de leur vie l’amour qui autrefois les liait, de le développer et de le faire grandir. Le mariage de Nicolas et Alexandra fut un mariage d’amour, et ce sentiment l’un pour l’autre, ils l’ont nourri toute leur vie. Même les détracteurs les plus déclarés du Tsar, qui l’accusaient de nombreux défauts, péchés et erreurs, ne trouvèrent aucun prétexte permettant de douter de lui en tant que père de famille.

Le Tsar Alexandre III et sa famille

Mais cette alliance ne fut pas conclue immédiatement. Le jeune héritier était fasciné par sa future compagne et il demanda à ses parents de donner leur bénédiction pour ce mariage. Mais le Tsar Alexandre III et Maria Fiodorovna avaient d’autres projets liés aux intérêts internationaux du pays. Le futur empereur ne pouvait pas aller contre la volonté de ses parents. Mais son humilité devant leur détermination et avec cela l’espoir que sa constance dans le désir de devenir le mari de la future Impératrice Alexandra Fiodorovna serait comprise et prise en compte par ses parents, conduisirent au résultat souhaité. Ainsi, il montra la capacité de patienter, de convaincre, d’accepter, et de ne pas exiger des autres l’accomplissement rapide de ses propres désirs, ce qui est l’une des qualités humaines les plus importantes, en particulier lors du mariage. Il témoigna de sentiments vraiment sérieux et donna des raisons de penser que ces sentiments pourraient être préservés. La future tsarine se convertit à l’Orthodoxie, et devint Alexandra Fiodorovna. Les époux vivaient dans l’amour et la concorde. Des enfants apparurent dans la famille : les quatre premiers furent des filles. Mais pour tout couple impérial, la naissance d’un garçon est importante, car c’est le fils qui doit succéder au père comme chef de l’État. En effet, s’il n’y avait pas de fils dans la famille du chef de l’État, la situation autour du trône perdait inévitablement sa stabilité. Il existe toujours des gens attirés par le pouvoir, souhaitant devenir des commensaux, des proches du souverain. Et si dans l’ordre direct de succession au pouvoir du père au fils, il n’existe pas de faille favorable à ceux qui souhaitent fomenter des troubles, en l’absence de fils du souverain, il y a toujours des groupes qui voudront placer leur homme de paille sur le trône et se battront pour cela. Pareille lutte comporte un risque élevé de dégénérer en conflit armé et de causer des pertes en vies humaines et des souffrances à des innocents. C’est pourquoi le souhait du couple de monarques d’avoir un héritier n’est pas tant dû au désir de devenir parents d’un garçon qu’au souci de renforcer la stabilité de l’État, d’éviter la lutte pour le pouvoir dans le pays, accompagnée d’intrigues et de troubles.
Lorsque naquit l’héritier Alexis, c’est tout l’Empire qui se réjouit avec la famille du Tsar. Mais bientôt, la tristesse s’est jointe à la joie: on constata que le petit garçon était atteint d’hémophilie. Sa capacité à devenir plus tard souverain était remise en question, car la maladie menaçait non seulement son état de santé, mais aussi sa vie elle-même. Le couple impérial écouta avec douleur les prévisions peu réconfortantes des médecins réputés. Au début du siècle dernier, il y avait moins de possibilités d’aider une personne atteinte d’hémophilie qu’aujourd’hui, et la maladie elle-même n’avait pas fait l’objet de beaucoup d’études. Mais ce malheur n’affaiblit le couple impérial, au contraire, il l’unit plus encore. Jour après jour, ils essayaient de protéger l’héritier, tout en réalisant qu’il était impossible de le garder complètement isolé de la vie. En effet, l’isolement pourrait tout aussi négativement affecter la formation de sa personnalité. Ils ne cessèrent jamais de prier pour tous leurs enfants et firent pour le bien de ceux-ci tout ce qu’ils purent. Peu de gens y pensent, mais la nouvelle de la maladie du Tsarevitch Alexis concernait aussi directement ses sœurs. Les filles pouvaient être porteuses de l’hémophilie comme leur mère Alexandra Fiodorovna, et tout le monde savait que la maladie pourrait dans ce cas se manifester chez leurs fils. Il ne s’agit pas de prédestination: elles pouvaient ne pas être porteuses de ce gène, et si elles l’étaient, elles pourraient transmettre la maladie à leurs fils et filles, ou pas. Mais tout le monde comprenait que ce danger n’était pas exclu. Ainsi, la maladie du Tsarévitch affectait toute la famille; la crainte ne portait pas seulement sur l’avenir du jeune héritier mais sur celui de la famille. Toutes les difficultés et toutes les victoires, tout le bonheur et tout le chagrin, la famille impériale les a vécu ensemble, restant unie jusqu’à la fin. Pour chaque adulte et chaque enfant, les chagrins des autres membres de la famille étaient plus importants que les leurs propres. On prenait plus de soin des proches que de soi-même. Dans cette famille régnait l’amour sacrificiel chrétien, qui inspirait les moyens de sortir de situations apparemment désespérées. Ce fut le cas, par exemple, à Tobolsk, lorsque Nicolas II dût partir pour un nouveau lieu d’exil : Ekaterinbourg, alors que le Tsarévitch, à cause de sa maladie, n’était pas en état de prendre la route. La Tsarine était profondément troublée, ne pouvant se résoudre à abandonner ni son époux ni son fils malade. Mais la solution fut trouvée ensemble. La famille fut obligée de se séparer pendant un certain temps: Alexandra Fiodorovna suivit son époux avec leur fille Maria et les autres sœurs restèrent auprès de l’héritier malade. Lorsque la maladie diminua, les enfants rejoignirent leurs parents et toute la famille fut à nouveau sous le même toit, et cela donna de la force aux parents et aux enfants.
Alors qu’ils étaient en détention, les prisonniers impériaux pensaient plus au destin de la Russie qu’à leur propre sort. Sa détermination à rester avec son pays jusqu’à la fin et de partager avec son peuple toutes les épreuves qui s’étaient abattues sur lui était plus importante pour toute la famille du Tsar que l’anxiété au sujet de son propre destin. L’une des amies proches de l’impératrice J.A. Den se souvint que «le Souverain et l’Impératrice ne souhaitaient pas quitter la Russie. «Je préférerais encore me retrouver tout au bout de la Sibérie», avait déclaré l’Empereur. Il ressort de ce témoignage, et d’autres sources, que le couple du Tsar et de la Tsarine espérait avoir la possibilité de vivre dans la Russie post-révolutionnaire et n’aspirait pas à sortir des frontières du pays. Ayant l’intention de rester, ils n’essayèrent pas de rassembler des partisans et d’organiser un coup d’État, qui aurait occasionné une guerre civile, parce qu’ils ne voulaient pas d’effusion de sang, ni la mort d’innocents, ni de nouvelles souffrances pour le pays et son peuple. «Il n’a rien fait pour améliorer sa situation, il s’est soumis au destin sans ménagement», écrivit Saint Tikhon à propos du Tsar. De la correspondance qui nous est parvenue, on sait que les Strastoterptsy impériaux ne voulaient pas que des gens meurent à cause d’eux. Ils se souvenaient de la valeur de la vie de chaque personne, y compris celle des gardes qui surveillaient leur détention. Les lettres des membres de la famille du Tsar au cours de leur emprisonnement témoignent de leur foi dans le destin lumineux de leur pays, dans le fait que le Seigneur sauvera la Russie. Cette foi, cette prière commune et ce soutien mutuel les ont aidés à traverser ensemble toutes les souffrances. Le titre de cet article est une observation très fidèle que fit le Général P. G. Kourlov sur le caractère du Souverain Nicolas II et sur la façon dont beaucoup l’ont jugé incorrectement: «la longanimité du Souverain a été prise pour une faiblesse». Les derniers mois de la vie du Tsar montrèrent à quel point le Général avait raison. Le Tsar n’était pas un homme faible, et cela se manifesta pleinement pendant la période de détention, lorsque sa longanimité l’aida à endurer de nombreuses humiliations. Dans l’une des lettres, Alexandra Fiodorovna écrivit à propos de son époux: «Il est extraordinaire: une telle force d’esprit, alors qu’il souffre sans cesse pour le pays».
Traduit du russe
Source