Écrits

Le texte ci-dessous est la traduction d’un extrait du journal du Métropolite Ioann (Snytchev) de Saint-Pétersbourg et Ladoga. Il fut publié le 22 novembre 2005 sur le site Ruskline.ru. Il a en outre été repris dans divers ouvrages biographiques relatifs au Métropolite Ioann. Ce texte lève un petit coin du voile couvrant l’histoire de l’Église Orthodoxe en Russie à cette époque. Et ce coin de voile est levé par un des acteurs les plus notables de cette tranche d’histoire. Nous lisons par la même occasion la découverte naïve de la capitale par un jeune provincial au cœur pur, auquel le père spirituel avait donné pour obédience de tenir le journal de son pèlerinage. Voici la dernière partie de l’extrait. Le début du texte se trouve ici.

La Laure

Je m’assis sur le parvis et écrivis mon journal. Des pèlerins étaient là, attendant eux aussi l’office. Ils discutaient de moi. D’où venait donc cet homme, de l’un ou l’autre monastère sans doute. Je m’éloignai sans tarder, vers le campanile, pour ne plus entendre leur conversation. On finit par ouvrir l’église. Les cloches appelèrent à l’office. C’était agréable, joyeux même, d’entendre le son des cloches appelant le monde entier à la prière. Je pénétrai dans l’église de Dieu, vénérai les reliques de Saint Serge, et j’attendis ensuite dans le sanctuaire l’arrivée des célébrants et de l’archimandrite. Quelques instants plus tard les frères du monastère entrèrent. Ils revêtirent leurs ornements et sortirent pour accueillir l’archimandrite. Le Supérieur de la Laure apparut. Je lui passai sa mantia sur les épaules, et après la lecture des prières initiales, nous entrâmes tous dans le sanctuaire. La Liturgie fut très priante. Le chœur amateur chanta des mélodies simples. Quand la Liturgie fut finie, on célébra un moleben à Saint Serge et à Saint Michée, son disciple, avec une procession autour de l’église. Les cloches du campanile sonnèrent à toute volée pendant la procession. Ce fut une procession solennelle, avec la salutation pascale «Christ est ressuscité!», et l’exclamation en réponse : «En Vérité, Il est ressuscité!». Après l’office, j’allai demander la bénédiction du Père Hilarion. Ce batiouchka agréable, de belle apparence, avait le visage qui ressemblait à celui de Saint Seraphim de Sarov, et même sa physionomie rappelait le Starets de Sarov ; il était courbé mais costaud. Il me demanda :
– D’où viens-tu donc?
Je lui expliquai et il me dit alors :
– Que Dieu te bénisse, et je te bénis pour devenir archidiacre.
Saisi d’effroi, je dis en moi-même : «Seigneur, prends pitié! Père Hilarion, c’eût été mieux de me bénir pour devenir hiérodiacre, car deviennent archidiacres ceux qui vivent dans le monde, alors que les moines deviennent hiérodiacres».
Tantes Thékloucha et Lelia étaient venues à la Laure pour la fête dominicale. Une fois encore, je vénérai la châsse de Saint Serge de Radonège, et repartis en paix vers Moscou. Le son des cloches continuait à résonner dans mes oreilles.

Départ de Moscou

Une heure et demie plus tard, nous étions déjà à Moscou. Ce jour-là et les jours suivants, je fis le tour des endroits bien connus de mon starets. Je rentrais seulement le soir à l’appartement. Ce soir-là, nous visitâmes à nouveau l’église Saint Jean le Guerrier. Le Père Théodore célébra les vigiles. Il parla de mon starets avec grande révérence, et me transmit une icône pour lui, ainsi qu’une métanie. Je logeai chez Tante Thékloucha.
Le jour de Saint Jean le Théologien, c’est-à-dire le mardi 21 mai, en chemin vers la Résidence patriarcale, Andrioucha et moi allâmes à l’église d’Obydenny. J’y commandai un moleben à la Très Sainte Mère de Dieu et à l’Apôtre Jean le Théologien. Gloire à Dieu, nous célébrâmes le moleben. Ayant remercié le Seigneur, nous sortîmes en paix de l’église. A la sortie, j’achetai auprès d’une femme les livres «Vie des Saints» (Octobre), «Le Psautier expliqué» (deuxième partie) et le magazine «Lecture utile à l’âme». Nous nous hâtâmes vers la Résidence patriarcale.
Là, nous rencontrâmes Nicolas Koltchitski. Andrioucha consigna sa mission, nous éclaircîmes ensuite quelques questions, et prîmes congé et bénédiction. Nous rentrâmes en paix à l’appartement. Le soir, veille de la Saint Nicolas, nous allâmes à l’église Saints Pierre et Paul, où célébrait le Métropolite Nicolas. Gloire à Dieu! Nous assistâmes aux vigiles et vénérâmes Saint Nicolas. Il était déjà onze heures du soir quand nous rentrâmes à l’appartement, chez Tante Thaïna. Grâce à Dieu, nous passâmes une nuit paisible.
Le mercredi 22 mai au matin, jour de la fête du Saint Évêque thaumaturge Nicolas, nous allâmes prier en compagnie de Tante Thaïna à l’église de la Déposition de la Tunique de la Très Sainte Mère de Dieu. Elle était entourée d’une enceinte et se distinguait par sa splendeur. Et les cloches continuaient à y sonner. L’iconostase et les autres icônes étaient très anciennes. Plusieurs prêtres concélébrèrent l’office. Pendant celui-ci, je fus affligé d’une incompréhensible disposition de l’âme. J’étais comme engourdi de sommeil et au cours de l’office… je m’assoupis. J’en éprouvai une telle peine en mon cœur, que j’étais prêt à en pleurer. Mais cette affliction consistait aussi en ce qu’il m’était également impossible de verser la moindre petite larme, malgré tous mes efforts. O Dieu, sois miséricordieux envers moi, pécheur. C’était la deuxième fois qu’une telle chose m’arrivait. La journée entière se déroula dans l’affairement. Je logeai chez Tante Lelia.
Le jeudi 23 mai, au matin, je me rendis de nouveau à la Sainte Laure. J’allai une fois encore me réfugier sous la protection de Saint Serge, auprès de sa châsse. Sorti de l’église, je passai chez le Père Gouri, et reçu une dernière fois sa bénédiction. Il me remit une lettre pour Vladika. Je pris congé et lui demandai ses paternelles prières pour moi, l’indigne. Je fis une métanie et m’éloignai. En sortant j’entrai une fois encore dans l’église pour y vénérer la châsse du Saint de Dieu, je lui demandai sa bénédiction et pris congé de la Laure. J’étais à Moscou pour le déjeuner. Le soir, je reçus un télégramme de Vladika, dans lequel il m’écrivait que je devais faire preuve d’obéissance envers chacun. J’étais tellement fatigué de toute l’agitation du monde que je me couchai dès que j’arrivai chez Tante Lelia, et je m’endormis, complètement moulu par la fatigue.
Le 24 mai au matin, Tante Lelia et moi allâmes rendre visite à la servante de Dieu Maria N. Je passai de nouveau à l’église d’Obydenny, où j’achetai plusieurs livres de spiritualité. Après, j’allai chez le Père Nicolas Koltchitski, où je consignai mon attestation de mission et posai quelques questions. Perplexe, le Père Nicolas s’offusquait du fait que Vladika employait à son service une responsable de l’économat. L’air mécontent, Koltchitski dit : «Il s’entoure de nièces, mais celles-ci feront sa perte, comme ce fut le cas [l’Archevêque N.d.T.] d’Alexis de Kouïbychev». Je lui demandai de me pardonner et je sortis paisiblement. A cinq heures, nous allâmes, Tante Aniouta et moi au Mostorg, où nous achetâmes dans coupons de soie pour la confection d’ornements liturgicaux. Quasiment toute la journée fut consacrée à des visites : pour commencer, Tante Aniouta, de là chez Tante Thaïna, et puis chez Nina Vassilievna, et puis de nouveau chez Tante Aniouta et puis chez Nadejda Théodorovna, et vers vingt-deux heures, chez Tante Lelia. A vingt-trois heures, nous rendîmes visite au brave Ivan C., qui transmit une lettre pour Vladika. Je logeai chez Tante Lelia.
Le matin du samedi 25 mai, je transférai mes affaires de chez Tante Thaïna et Tante Lelia dans l’appartement de Nina Vassilievna. Le soir, je me rendis à l’église Saint Jean le Guerrier, pour les vigiles, célébrées par le Père Théodore. Après la fin de l’office, il célébra un moleben «pour ceux qui vont voyager», ce dont je lui demeure très reconnaissant. Il fit une profonde métanie à Vladika et demanda la bénédiction de celui-ci. De l’église, je rejoignis Tante Thékloucha. Quand j’arrivai,  j’appris que nous ne pouvions obtenir de billets pour voyager demain. Il fallait attendre lundi. Que la volonté de Dieu soit faite en toutes choses! Tante Thékloucha se plaignit amèrement de ce que nous avions emmagasiné tant de choses à transporter et parce que nous ne pouvions acheter des billets ce jour-là. Une fois encore, je me soumis à la volonté de Dieu. Qu’elle soit faite en tout. Je logeai chez Tante Thaïna.
Le 26 mai, semaine de l’aveugle-né, après les prières du matin, je me hâtai vers la Cathédrale d’ Elokhov, et participai à la première liturgie. Ensuite, je rencontrai l’archidiacre Pierre Baïkov. Il me remit une lettre pour Vladika et me dit qu’il espérait sa venue à Moscou. Après le déjeuner, j’accompagnai Tante Lelia à la datcha d’un des filleuls de Vladika. Voici comment Vladika devint parrain de baptême. Lorsque la mère du filleul était enceinte, son mari et elle se demandèrent quel nom donner au bébé. Notre Vladika leur dit alors, que si c’était un fils, ils devaient l’appeler Nicolas en souvenir de ce que ces gens étaient des enfants spirituels de l’Évêque Nicolas (Gorbatenko), dont ils avaient été séparés. Ce fut un fils et les parents accomplirent le souhait de Vladika.
Le lundi 27 au matin, nous entassâmes toutes nos affaires dans une voiture en direction de la gare. Nous attendîmes l’arrivée du train. Tante Thaïna, Vassili Ivanovitch, Nina Vassilievna et Tante Lelia nous avaient accompagnés. Par les prières de notre Vladika, et avec l’aide de Dieu, nous trouvâmes places dans un wagon. Dix minutes plus tard, le train se mit en mouvement, laissant sur le quai ceux qui nous avaient accompagnés… (Fin de l’extrait)
Traduit du russeSource