Le texte ci-dessous est la traduction (en deux parties) de la version russe, mise en ligne le 25 juillet 2017 sur le site Pravoslavie.ru, d’un extrait du livre d’Athanasios Rakovalis: «Le Désert de Kapsala» («Пустыня Капсала», traduction du livre grec: Η έρημος της Καψάλας). L’auteur y brosse le portrait d’un grand Geronda athonite de notre temps, Geronda Irodionos (1904-1990). Voici la deuxième partie du texte; la première se trouve ici.

Geronda Irodionos s’ouvrait aux petits, aux faibles, aux nourrissons spirituels, mais jamais aux curieux, à ceux qui n’étaient pas animés par un motif spirituel. Nous étions nous-mêmes des nourrissons spirituels, faibles, inexpérimentés, misérables, et c’est pour cela qu’il nous entourait de son amour et partageait avec nous sa richesse spirituelle. Mon ami se fit un jour accompagner par un autre jeune père qui voulait quitter son monastère. Il était torturé par les pensées et la tension qu’elles engendraient. Le combat ne cessait jamais. C’était l’hiver. Des mètres de neige couvraient la terre et le ciel était lourd de sombres nuées.

Geronda Irodionos (Crédit photo : Ahdoni.blogspot.be)

L’ayant écouté, Geronda lui dit:
Les pensées sont comme les sombres nuées qui nous cachent le soleil, c’est-à-dire la Grâce de Dieu. Si tu veux te réchauffer spirituellement, il faut de toutes tes forces chasser les pensées, sinon, tu t’engourdiras.
Geronda, comment faire pour les chasser?
Pour Dieu, ce n’est pas compliqué du tout que de les chasser, seulement tu dois toi-même y travailler assidûment.
Le moine ne répondit rien, mais visiblement, il ne croyait pas Geronda.
Veux-tu que je prie pour que tes pensées se dissipent? Si tu veux, je vais prier le Seigneur de chasser les sombres nuées, afin que nous nous réchauffions un peu au soleil?
Une fois encore, le jeune moine ne répondit rien. Il continuait à douter.
Partez, gros nuages sombres, partez! Dit alors Geronda.
Et le vent chassa toutes les nuées et les rayons du soleil éclairèrent soudainement les trois hommes. Nous étions stupéfaits.
Tu veux que j’agite la main et que la terre se couvre de fleurs ? Demanda l’ancien au jeune moine?
Non, Geronda, ce n’est pas nécessaire! Répliqua le moine, secoué d’émotion. Il se leva, remercia chaleureusement Geronda, lui demanda de prier pour lui et s’en retourna au monastère, rempli de force spirituelle. Instantanément, son état spirituel s’était transformé.
J’aimais beaucoup Geronda Irodionos. Chaque fois qu’il m’était donné de me rendre à la Sainte Montagne, je m’enquérais à son sujet et je voulais le rencontrer. Et Geronda m’accueillait. Malheureusement, je ne pouvais y aller souvent. Et vint le moment où Geronda vit ses forces diminuer très rapidement. Lorsque Geronda se senti tout à fait épuisé, il demanda à un moine roumain de veiller sur lui. Ce dernier le prit avec lui dans sa kelia, dans la partie basse de Kapsala. J’étais convaincu de ce que ce moine n’était guère avancé dans la vie spirituelle. C’était plutôt un bourreau du travail qu’un bourreau de la prière. Il travaillait sans relâche. J’eus l’impression que Geronda acceptait d’être transféré dans la kelia de ce moine afin d’aider celui-ci dans sa vie spirituelle. Je ne sais si ce fut le cas et si ce moine parvint à recevoir la nourriture spirituelle que Geronda lui offrit. Quand j’arrivai et demandai l’autorisation de rencontrer Geronda, ce moine me fixa de façon très étrange. Sans doute pensait-il que j’étais un peu «dérangé»! Je n’étais pourtant pas le seul à manifester respect et vénération envers Geronda Irodionos. Mais pour son compagnon de kelia, c’était tout à fait incompréhensible.

Geronda Irodionos jeune

Voici comment se déroula notre dernière rencontre. A cette époque, je m’intéressais beaucoup à Abba Dorothée qui écrivit: «Ne vous attachez à rien. Si un frère vient à vous et vous demande l’un ou l’autre bien, et si vous ne le lui donnez pas, c’est que vous préférez les choses périssables à l’amour du frère». Cette maxime me plaisait beaucoup et je m’efforçai de la mettre en pratique… Quand je fus en présence de Geronda, il me demanda de lui donner un des biens que je possédais, ce que j’étais prêt à faire avec joie. Il me demanda de lui donner mon sac-à-dos dans lequel il se mit à farfouiller. Je n’aimais pas cela du tout et commençai à maugréer. Dans le sac se trouvait le komboschini que m’avait offert Geronda Païssios. Il retourna mon sac-à-dos et commença à le secouer. «Aïe, pensai-je, maintenant, il va me prendre le komboschini!». Et j’en étais très troublé. Je me disais que pour rien au monde je ne céderais ce komboschini. C’était exactement à cela qu’Abba Dorothée faisait allusion… Geronda comprit ce que je venais de ressentir et à quelle conclusion j’étais arrivé. Il me regarda, interrompit son manège, remit mes biens dans mon sac et me le rendit. Comment avait-il deviné à quoi je pensais, comment savait-il que j’essayais de mettre en pratique les paroles d’Abba Dorothée? Mon âme était comme un livre ouvert devant lui. Il était pareil aux ascètes de jadis dont nous parlent les paterikons. Notre geronda avait des charismes, il était éclairé par Dieu. J’imagine les tours et les numéros qu’il effectua pour éveiller spirituellement ce moine roumain dont il partageait la kelia.
Plusieurs années s’étaient écoulées depuis mon séjour à Kapsala. Mes visites à la Saintes Montagne se faisaient rares, et courtes. Un jour, subitement, je me hâtai d’aller au Mont Athos pour un bref séjour. Arrivé à la kelia, où j’étais toujours accueilli, on m’avertit que l’inhumation de Geronda Irodionos allait avoir lieu une heure plus tard. Je courus vers le lieu de l’inhumation. Les gens qui aimaient Geronda s’y étaient rassemblés. Moi je venais de Thessalonique, un autre d’un coin d’Athènes, un autre encore d’un coin opposé de la capitale. Chacun, nous avions senti «par hasard» la fin de Geronda, comme par coïncidence. Geronda nous avait rassemblés. Et il était malaisé de désigner par le terme ‘funérailles’ ce qui se produisait. C’était Pâques! Une fête! Un triomphe! Tous nous ressentions de la joie. Le lendemain, je me rendis chez Saint Païssios et lui racontai tout. Après m’avoir écouté avec attention, il confirma ce que je ressentais par ces paroles : «Les portes du paradis sont grandes ouvertes pour Geronda Irodionos!».

(Photo Pravoslavie.ru)

Et un événement semblable se produisit quelques années plus tard lors de l’invention des reliques de Geronda Irodionos. Comme par hasard, nous étions à nouveau rassemblés lorsque sa tombe fut ouverte. Lors du transfert des reliques, il régnait une atmosphère de joie, ainsi que la conviction que Geronda séjournait désormais dans les demeures célestes. Ses os avaient la couleur du vieil ambre.
Geronda Irodionos fut incontestablement un grand héros de l’ascèse. Il mena une vie sévère, faite en permanence de renoncement et de dénigrement de soi. Les simples forces humaines ne permettent pas d’atteindre pareil niveau ; il faut pour cela que l’Esprit du Seigneur enflamme le cœur. Sous le manteau de la folie-en-Christ, Geronda Irodionos dissimulait son ascèse exigeante et son niveau spirituel élevé. Si nous parvenons à débarrasser les yeux de notre esprit du voile qui les couvre, nous verrons clairement se dessiner devant nous les traits de l’un des tout grands ascètes. Le Seigneur m’a offert cela, Sa Providence Divine ayant voulu affermir ma foi de la sorte. Chez d’autres, ce processus revêt une forme différente, selon les dispositions de leur cœur. Quand Dieu voit que nous Lui sommes reconnaissants pour de petites choses, Il nous en offre d’autres plus grandes. Dieu ne nous abandonne jamais. Toujours Il nous offre de nouvelles possibilités. Mais nous les écartons. Le problème, c’est nous qui le créons.
Par les prières de Geronda Irodionos, Seigneur Jésus Christ, aie pitié de nous! Amen.
Traduit du russe.
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